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- Dépêche -
Compte rendu des débats à l'Assemblée Nationale à propos de l'amendement Le Fur
M. le président. Je suis saisi d'abord d'un amendement n° 3. La parole est à M. Marc Le Fur, pour le soutenir. M. Marc Le Fur. L'objet de cet amendement diffère sensiblement de celui du débat que nous venons d'avoir. Il n'en a pas moins paru nécessaire à la
Par Philippe Argouarch pour ABP le 16/12/06 14:48

M. le président. Je suis saisi d'abord d'un amendement n° 3.

La parole est à M. Marc Le Fur, pour le soutenir.

M. Marc Le Fur. L'objet de cet amendement diffère sensiblement de celui du débat que nous venons d'avoir. Il n'en a pas moins paru nécessaire à la trentaine de députés qui l'ont cosigné de profiter d'une réforme de la Constitution pour régler le point particulier des langues régionales.

M. Gérard Charasse. Le patois bourbonnais !

M. Marc Le Fur. La République s'honorerait à manifester d'une manière quelconque son respect, son attention, sa bienveillance à l'égard des langues régionales, qui constituent des éléments de notre patrimoine, tant pour le territoire métropolitain que pour l'outre-mer.

La diversité fait partie de notre histoire et de notre géographie. La France est ainsi, elle est complexe et multiple. Je voudrais que chacun d'entre nous, même ceux qui connaissent peu ces sujets, soient conscients de l'extrême sensibilité d'une partie de nos compatriotes à cette question. Ne limitons pas ces préoccupations aux seuls locuteurs des langues régionales. Beaucoup, même ignorants de ces langues, y sont attachés parce qu'ils y voient leurs racines. À ceux qui me parleront de folklore ou de nostalgie, je répondrai que ce sont souvent les plus jeunes de nos compatriotes qui leur manifestent le plus grand attachement. J'ai pu le constater en Bretagne, comme d'autres en Provence, en pays d'Oc, en Alsace ou bien outre-mer.

Évitons également de dénoncer je ne sais quel extrémisme. Au contraire, la reconnaissance de la République à l'égard de ces langues est la garantie de la lutte contre les extrémismes.

Pourquoi une réforme constitutionnelle ? Parce qu'il se trouve que la France a signé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires le 7 mai 1999, mais que nous ne l'avons toujours pas ratifiée.

M. Jean-Pierre Soisson. Vive le français !

M. Marc Le Fur. Le Conseil constitutionnel a considéré en effet qu'une réforme constitutionnelle était un préalable à cette ratification et que l'article 2 de la Constitution : " La langue de la République est le français ", était un obstacle, alors que ledit article, adopté en 1992, n'avait pas pour but d'interdire les langues régionales mais s'inscrivait dans le cadre d'un débat qui concernait l'anglais. Ce débat a été tronqué et erroné et le Conseil considère que cette disposition de notre Constitution interdit en l'état la ratification de la charte.

Cette ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires est attendue et souhaitée ; la plupart des pays européens y ont déjà procédé. Nous sommes, avec la Turquie, les seuls à ne pas l'avoir encore ratifiée.

M. Jean-Pierre Soisson. Heureusement !

M. Marc Le Fur. Il faut mettre un terme à ce particularisme français qui nous singularise, à tort, en Europe. Voilà pourquoi je vous propose d'adopter cet amendement.

M. le président. Je suis saisi par le groupe UDF d'une demande de scrutin public sur l'amendement n° 3.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Didier Quentin, rapporteur. La commission des lois a repoussé l'amendement n° 3.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l'outre-mer. Monsieur Le Fur, disons les choses clairement : le présent amendement est tout à fait respectable. Qui ne souhaite, en effet, préserver les langues régionales qui font partie de notre patrimoine ? Toutefois, sa rédaction ne me paraît pas de nature à répondre à vos préoccupations. Quelle portée normative accorder en effet à la formule qui vous est soumise et qu'il vous est proposé d'inscrire dans la Constitution ?

S'il s'agit d'un simple vou, vous conviendrez qu'il n'a pas sa place dans notre loi fondamentale, notre loi suprême, dont le rôle n'est pas d'émettre des signes forts. S'il s'agit de permette la ratification de la Charte européenne relative aux langues régionales et minoritaires, je suis navré de vous dire qu'il est inopérant. En effet, le Conseil constitutionnel a déclaré le 15 juin 1999 qu'en l'état de notre Constitution cette charte ne pourrait pas être ratifiée par la France pour deux raisons principales.

D'abord, parce que la charte porte atteinte à l'unité du peuple français, à l'indivisibilité de la République et à l'égalité devant la loi, en conférant des droits spécifiques à des groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires.

M. Jean-Pierre Soisson. Très bien !

M. le ministre de l'outre-mer. Or une atteinte à de tels principes ne saurait être acceptée. Elle ne pourrait évidemment pas résulter de l'amendement qui vous est proposé sans qu'il le dise expressément, et je suis persuadé que ses auteurs, et vous-même monsieur Le Fur, ne le souhaitent même pas.

Ensuite, le Conseil constitutionnel a relevé que cette charte reconnaît à chacun le droit de pratiquer une langue autre que le français, non seulement dans la vie privée, ce qui est tout à fait acceptable, mais aussi et surtout dans la vie publique, c'est-à-dire devant la justice et les services publics. Là encore, si c'est bien le but recherché par les auteurs de l'amendement, sa rédaction ne convient pas.

En outre, je vous demande de bien réfléchir aux conséquences d'une telle évolution quant au fonctionnement de nos services publics et de notre justice. Si toute personne pouvait prétendre y utiliser la langue régionale ou minoritaire de son choix, faudrait-il mettre en place des systèmes de traduction, faudrait-il recruter des magistrats ou des jurés parlant la langue en question ?

M. Marc Le Fur. Caricature ! Vous avez été mal renseigné, monsieur le ministre !

M. le ministre de l'outre-mer. On imagine assez aisément les graves dérives communautaristes auxquelles on aboutirait, sans même parler des questions pratiques et concrètes de fonctionnement des services publics.

M. Bernard Accoyer. Bien sûr !

M. le ministre de l'outre-mer. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement vous demande de retirer cet amendement, car ce n'est ni le lieu ni le moment d'examiner un tel sujet. À défaut, il souhaite son rejet.

M. le président. Monsieur Le Fur, retirez-vous l'amendement ?

M. Marc Le Fur. Absolument pas !

M. le président. La parole est à M. Christian Ménard.

M. Christian Ménard. Je tiens à vous rassurer : l'amendement de M. Le Fur et d'un certain nombre de nos collègues n'a pas pour objet de démanteler la France. Il vise seulement à répondre à l'aspiration de millions de Français - Bretons, Occitans, Basques, Corses et autres locuteurs de langues régionales - qui souhaitent faire fructifier ce qui est un atout pour nous.

Alors que la France est le seul pays, avec la Turquie, à ne pas avoir ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, nous avons une occasion unique de réparer cette erreur et d'en faire le préalable à sa signature.

Pour moi qui suis Breton, la langue bretonne est une richesse et ce serait un signe très fort que la France puisse enfin reconnaître ceux qui l'ont créée.

À lieu de nous diviser, vous avez là, mes chers collègues, l'opportunité de nous réunir sous le drapeau français. Alors, ne ratez pas cette occasion !

M. le président. Avant de donner la parole à M. René Dosière, je vous rappelle que, si je respectais le règlement à la lettre, je ne pourrais donner la parole qu'à un orateur pour l'amendement et un orateur contre.

M. René Dosière. Ça tombe bien, monsieur le président, car après un orateur pour, vous allez entendre un orateur contre. (Sourires.)

Je ne me prononcerai pas sur le fond car, comme une grande partie de mon groupe, je suis plutôt favorable aux langues régionales. Mais le problème aujourd'hui n'est pas là.

Nous venons de consacrer plusieurs heures à une question grave, la mise en application de l'accord de Nouméa, et les arguments échangés nous le montrent. Ainsi, nous avons entendu avec émotion ceux de Jacques Lafleur et de Christian Blanc.

Mais ceux qui ont déposé cet amendement veulent-ils vraiment que le texte sur la Nouvelle-Calédonie soit voté ? Je leur rappelle qu'un projet de loi constitutionnelle doit être adopté dans les mêmes termes à l'Assemblée et au Sénat. S'il s'agit de prolonger les débats et les navettes, continuons à y ajouter des choses qui n'ont rien à voir avec la Nouvelle-Calédonie ! Les socialistes se sont engagés à l'égard des Calédoniens à ce que ce texte soit voté. Il ne faut donc pas le polluer avec des cavaliers, aussi intéressants soient-ils !

M. Maxime Gremetz. Ce sont des cavaliers législatifs !

M. le président. Comme plusieurs d'entre vous souhaitent intervenir, je vais modifier quelque peu le règlement et donner la parole à un orateur par groupe.

M. Maxime Gremetz. Très bien !

M. le président. Pour le groupe UMP, la parole est à M. Roland Chassain.

M. Roland Chassain. Je ne peux que soutenir l'amendement de M. Le Fur car, vivant dans une région où l'on parle beaucoup le provençal, il me semble que l'enseignement et la diffusion de la langue régionale sont indispensables pour défendre notre patrimoine, notre culture et notre territoire.

Arles est le pays de Mistral. Defendons touti la longo nostro et votons cet amendement !

M. le président. Pour le groupe UDF, je vais donner la parole à M. Jean Lassalle, mais je lui demande de ne pas chanter ! (Sourires.)

M. Jean Lassalle. C'est promis, monsieur le président.

Notre groupe s'associera à cet amendement. À ceux qui pensent que ce n'est pas le moment, cher René Dosière, je répondrai que ce n'est jamais le moment ! J'ai déjà entendu cet argument au cours des cinq ou six débats enflammés sur la question auxquels j'ai participé. Nous parlons de ce qui constitue notre patrimoine commun et je ne trouve pas qu'il soit déplacé, au moment où nous débattons du difficile problème de la Nouvelle-Calédonie, d'aborder la question des langues régionales. Le sujet pourrait devenir sérieux un jour, si nous ne le traitions pas. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Faute d'être entretenues, les langues régionales risquent de disparaître, comme pourrait le faire le français, compte tenu de la vitesse à laquelle l'anglais progresse partout dans le monde.

M. Marc Le Fur et M. Christian Ménard. Très juste !

M. Jean Lassalle. Je vous demande de voter cet amendement pour régler le problème une fois pour toutes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. Marylise Lebranchu s'associe à mon intervention, monsieur le président, puisque vous vous en tenez à un strict respect du règlement.

Je souscris totalement à l'amendement de Marc Le Fur et de ceux de nos collègues qui l'ont cosigné.

M. Paul Giacobbi. Très bien !

M. Victorin Lurel. Ce n'est hélas jamais le moment !

La République s'est fort bien passée, pendant près de deux siècles, de la mention qui figure désormais à l'article 2 de la Constitution. Nous n'avons qu'une seule langue officielle, mais il y a soixante-quinze langues nationales qui font nos différences au sein de la République ! Comment voulez-vous que j'ignore mon identité, qui s'exprime notamment par le créole, le créole guadeloupéen, lequel coexiste avec le créole martiniquais et guyanais ? Je pense à toutes les langues amérindiennes et aussi aux langues kanak. Comment continuer à ignorer le breton, le basque, le poitevin, que sais-je encore ?

M. Gérard Bapt. N'oubliez pas l'occitan !

M. Victorin Lurel. Il faudra bien un jour ajouter à la Constitution " dans le respect des autres langues de France ".

M. le président. Une précision, monsieur Lurel. Je n'ai pas appliqué strictement le règlement, au contraire. J'ai été laxiste, ce qui m'étonne de moi ! (Sourires.)

La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Je suis attaché aux langues régionales, au moins autant, sinon plus que les auteurs de cet amendement. Mais on risque, avec un tel cavalier, d'introduire la polémique, voire de polluer le débat sur un texte à dimension historique.

M. Jérôme Lambert. L'amendement aussi est historique !

M. Michel Vaxès. Oui, je suis inquiet ! Avec les navettes entre le Sénat et l'Assemblée nationale, nous risquons de retarder pour quelques années encore un texte essentiel pour l'équilibre fragile de la Nouvelle-Calédonie.

C'est pourquoi, tout en réaffirmant mon intérêt pour les langues régionales, que je défendrai avec passion, je ne peux pas accepter un tel amendement aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains, et sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)

M. Thierry Mariani. Vous êtes pour, mais vous votez contre !

M. Maxime Gremetz. C'est un coup de poignard dans le dos, cet amendement !

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin public, précédemment annoncé, sur l'amendement n° 3.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants :..............................................110

Nombre de suffrages exprimés :.......................... 101

Majorité absolue :...................................................51

Pour l'adoption : ................44

Contre :...................................................................57

L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

(voir le site)

Philippe Argouarch

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Philippe Argouarch est un reporter multi-média ABP pour la Cornouaille. Il a lancé ABP en octobre 2003. Auparavant, il a été le webmaster de l'International Herald Tribune à Paris et avant ça, un des trois webmasters de la Wells Fargo Bank à San Francisco. Il a aussi travaillé dans des start-up et dans un laboratoire de recherche de l'université de Stanford.
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