Surpris par l'irruption des Bonnets rouges, mouvement bien accueilli par nombre d'agriculteurs en Bretagne, les médias parisiens ne se sont pas privés de déverser des tombereaux de clichés et certains lecteurs de leurs forums en ont rajouté, révélant parfois une hargne profonde contre « les Bretons », mais, les tribunaux refusent que considérer ce genre de propos racistes comme punissables, au motif allégué que les Bretons ne sont pas un peuple ou un groupe social. Voir ici un article de Bakchich Info et les commentaires http://www.bakchich.info/2013/11/04/bonnets-rouges-ou-chapeaux-ronds-62866.
On passe ici en revue quelques légendes et approximations.
La gratuité des routes à quatre voies en Bretagne ne date pas de la Duchesse Anne de Bretagne et pas, non plus, d'une décision spéciale du gouvernement De Gaulle. Les nationales à deux voies ont été converties en plusieurs étapes, pendant plus de 30 ans : déviations des villes et doublement d'une voie sinueuse par une voie moderne, avant de construire une voie complète, mais, sans caractéristiques autoroutières.
Selon le droit français, il n'était et n'est toujours pas possible de mettre un péage universel sur un itinéraire non doublé par une voie gratuite. Pour le secteur autoroutier qui s'est rué sur l'appel d'offres pour l'écotaxe, la beauté conceptuelle était de contourner ce principe d'un autre âge et d'assujettir le transport des marchandises au péage, sans contrevenir, en apparence, au principe constitutionnel de la libre circulation, qui est un héritage de la Révolution française.
A l'image de Plogoff, dont les habitants, électrifiés en 1953, étaient totalement insensibles au charme du tout électrique et ne craignaient pas le retour de la bougie chez eux, la Bretagne, terre d'élection des petits transporteurs, à la fois parce que l'agriculture les emploie et que le réseau routier est de très bonne qualité, ne pouvait pas laisser menacer, sans réagir, deux pans majeurs de son économie.
Le dumping social par l'utilisation ; à grande échelle, et, parfois, frauduleuse, des travailleurs détachés, a asséché le fret de retour pour les entreprises bretonnes. Le transport routier est un maillon fondamental de l'économie agroalimentaire bretonne et même l'économie tout court. Y toucher, c'est perturber un très fin réseau d'interdépendances qui concernent des dizaines de milliers d'emplois.
Certains commentateurs ont décrit, avec des plumes surchauffées et vengeresses, une économie agricole « affamée de subventions ». Ils auraient été plus crédibles, s'ils n'avaient pas oublié de rappeler que les subventions européennes concernent fort peu l'élevage, sous toutes ses formes, à l'exception, très limitée, du poulet congelé export pour le Moyen-Orient (1). Et l'économie céréalière de la Beauce, autrement plus subventionnée, qui s'en occupe à Paris ? Ceux qui ont saccagé le bureau de Dominique Voynet, ministre de l'Aménagement du territoire et des Transports, le 8 février 1999, ne venaient pas de Bretagne. Vidéo http://youtu.be/6LCfdVY5sBc
Les agriculteurs de Beauce arrosent leurs champs de pesticides et polluent les nappes phréatiques sous le Bassin parisien. Il y a fort peu de nappes phréatiques en Bretagne (principalement, des gisements d'eau), mais les nitrates sont effectivement un problème. L'épandage du lisier de porc sur les terrains a lieu sous la responsabilité de l'État qui les impose même aux propriétaires qui n'en voudraient pas.
L'actionnaire d'EDF, découvre tardivement que les méthaniseurs pourraient aider à régler le problème, et à produire de l'électricité, mais, il n'est plus en position de l'organiser. Le progrès viendra des agriculteurs eux-mêmes, si on leur facilite la tâche.
Les ramassages d'algues vertes connaissent des variations surprenantes, mais, la Justice a confirmé que c'est à l'Etat de mettre en ½uvre les solutions et de les financer. Cependant, beaucoup d'agriculteurs ont modifié ou introduit des pratiques, en créant, par exemple, des bandes herbeuses le long des cours d'eau ou en renonçant au maïs-fourrage au profit des prairies.
Des projets de d'usines à vaches ou à porc commencent à émerger, mais, il y en a de bien plus importantes au Danemark et en Hollande, pays pourtant plus soucieux de propreté et de bien-être animal.
Selon Marc Andro, un spécialiste de l'agriculture, il n'y a pas de course effrénée à la production, puisque, globalement, elle stagne en valeur depuis 1995. ( voir notre article )
La conversion nécessaire et devant être accélérée, vers le bio, ne peut pas, aboutir à laisser les autres pays européens ou du reste du monde devenir nos principaux fournisseurs agricoles. Par exemple, la Bretagne est particulièrement bien placée pour produire du lait, très recherché au niveau mondial. On voit une tendance à produire plus de fourrage de prairie et on constate l'arrivée de capitaux chinois dans la transformation (usine Synutra, inaugurée le 10 janvier 2014 à Carhaix).
Certains ont décrit une agriculture bretonne au bord de la faillite, à partir de la chute présumée de Doux et de Tilly-Sabco, mais, l'un et l'autre continue de fonctionner, et la chute d'un abattoir porcin était redoutée de longue date par la profession. La préférence donnée à l'abattoir Gad de Josselin, plus à l'Est, est, peut-être, due à la perspective de l'instauration de l'écotaxe.
Les très nombreuses usines agroalimentaires de Bretagne ne sont pas, pour le moment, signalées comme étant en grave difficulté. Quelques fermetures relèvent de micro-stratégies (réduction du nombre de sites) décidées par les actionnaires.
L'économie de la Bretagne ne se porte pas bien, le chômage y augmente, mais dire que le pays est économiquement détruit est une exagération, la même qui consiste à dire que tous les Finistériens redoutent les inondations, alors que l'immense majorité n'habite pas au niveau de la mer, ni près d'une rivière. Cela n'empêche pas de penser aux milliers de Bretons, sur 4 millions et demi, qui ont été durement touchés, ni de songer à ceux qui ont perdu ou risquent toujours de perdre leur emploi.
(1) Certains ont trouvé inconcevable que les poulets Doux et Tilly-Sabco soient abattus à 38 jours. Ils étalent leur ignorance de la demande des acheteurs du Moyen-Orient qui veulent des poulets de petite taille.
Christian Rogel