ENFANTS RESPONSABLES ET JUSTICE IRRESPONSABLE
L'actuel président de la République vient de lancer l'idée illogique de faire porter directement par des enfants de 10 ans la mémoire d'enfants martyrisés voici soixante ans. Par civisme, plaide-t-il.
Nous notons qu'une fois de plus cette notion fort idéologique de « l'intérêt supérieur des enfants », surexploitée dans les chambres familiales des tribunaux français, est exploitée sans raison ni modération par le pouvoir en place.
Pourquoi les enfants d'aujourd'hui supporteraient-ils le poids du martyre d'autres enfants ? Précisément parce qu'ils seraient encore enfants eux-mêmes ? Comme si les enfants nés sous régime nazi avaient commis l'holocauste ? Comme si les enfants peuvent réparer ou prévenir les crimes de leurs parents ? Comme si les crimes de masse étaient plus graves quand ils touchaient aussi les enfants, autrement dit comme si le meurtre d'un enfant était plus criminel que le meurtre d'un adulte ?
Volant au secours de cette idée populiste, une des ministres du chef de l'État, madame Pécresse, a posé la cerise sur ce gâteau, en déclarant sur les ondes publiques qu'elle espérait être à l'avenir aussi reconnue pour ses actions politiques que Simone Weil ne l'est, ajoutant qu'elle avait bien lu elle aussi Le Journal d'Anne Franck , « rédigé dans sa cave ». Marche-t-on sur la tête, à propos du devoir de mémoire ? Avant d'expliquer que l'Éducation nationale ne suffit pas pour inculquer la mémoire des crimes nazis, les représentants du Peuple ne devraient-ils pas retourner à l'école et apprendre à lire?
Inculquer une idée morbide dans l'esprit d'un enfant, lui faire porter la mémoire des adultes, s'assimile à une démarche para-mystique, une religiosité proche d'un nouveau sectarisme sous couvert d'éducation civique. Loin de toute spiritualité, nous sombrons dans une nouvelle forme de morbidité expiatoire, supportée par des enfants sans même que l'initiateur de cette « idée-poudre-aux-yeux » se demande quelles conséquences psychologiques une telle démarche autoritariste (et totalement inutile, au-delà de l'affichage misérabiliste) pourront survenir chez les enfants ainsi conditionnés sur un de ses coups de tête.
Et décidément, l'enfance a bon dos.
Récemment, sur les épaules du président de la République en vacances, un enfant qui n'était pas le sien se cachait le visage pour échapper aux photographies. Qui s'en préoccupe ?
Pour tous ces enfants d'aujourd'hui, instrumentalisés eux aussi dans des histoires d'adultes qui les font souffrir, ici et maintenant, aucune compassion politique particulière. Aucun service public pour aider leurs parents désemparés, jetés en pâture au lobby judiciaire.
En réalité, que ce soit par ses effets d'annonce comme par ces actes apparemment impulsifs, le président de la République nous a habitués à confondre son rôle spécifique avec des incidents de procédure itératifs et agaçants, destinés à troubler l'opinion qui le juge.
Pourquoi ne pas plutôt demander à chaque juge, à chaque avocat de France, de porter la mémoire d'un juif, d'un communiste, d'un tzigane ou d'un homosexuel déporté durant la collaboration historique du pouvoir judiciaire avec l'occupant nazi, dont aucun représentant de ce pouvoir ne s'est jamais excusé ?
Les professionnels de ce secteur sont devenus tellement nombreux et sont tellement avides de toutes affaires qu'ils devraient se faire un devoir de porter ce message…
Cette démarche, républicaine et non plus populiste, aurait au moins le mérite de responsabiliser d'une part le pouvoir le plus impuni, hier comme aujourd'hui, et d'autre part des adultes conscients plutôt que de jeunes enfants dont l'insouciance, parfaitement respectable, est de notre responsabilité d'adultes.
Responsabiliser et éduquer les gens de justice aurait des conséquences bien plus salubres sur la population en général et l'enfance en particulier que de se réfugier derrière des déclarations d'intentions infantilisantes.
P. Dazin, pour l'ARE, 19 février 2008