Il n’est pas simple du tout d’avoir les chiffres exacts de suivi des éditions régionales de France 3. Dans le rapport pourtant très complet réalisé par Anne Brucy en 2014, ancienne directrice de France Bleu et de de France 3 Nord-Pas-de-Calais-Picardie, (voir le site) , on ne trouve pas expressément les chiffres comparés des audiences et du suivi selon les régions. A moins d’une erreur de recherche, on ne les a pas trouvés. Comment faire ?
Un indicateur partiel et lacunaire est alors d’ouvrir les pages Facebook des 23 éditions et tout simplement de voir les nombres « d’afficionados » (mention j’aime) des différentes antennes régionales. L’analyse permet d’avoir une statistique qui vaut ce qu’elle vaut. Elle permet ensuite de s’interroger sur le lien entre identité régionale et diffusion.
Tout d’abord, si l’on se base sur la date du 3 juillet 2016, on constate une popularité très différente selon les antennes (courbe bleue de notre graphique). France 3 Nord-Pas de Calais est en tête avec 409 163 j’aime sur Facebook, suivie de France 3 Normandie (236 028), de France 3 Aquitaine (170 228) puis de France 3 Bretagne (152 701). A noter que la Corse est sixième avec 133 849 « j’aime » sur sa page Facebook.
Car, en effet, tous ces chiffres sont à mettre en relation avec le nombre d’habitants présents dans les régions et qui est représenté cette fois par la courbe orange.
Les décalages sont alors bien plus saisissants qu’il n’y paraît. Ainsi, la chaîne régionale corse ViaStella compte sur Facebook 133 849 afficionados quand la population de l’île est de 330 000 habitants ! On est donc ici théoriquement à 40,7 % des habitants de l’île qui sont des afficionados, bien qu’il existe bien sûr une forte diaspora corse.
Toutefois, en appliquant ce même ratio théorique (il existe aussi des diasporas en Bretagne ou en Auvergne), toutes les autres éditions régionales ont un pourcentage théorique de représentation égale (le Nord-Pas de Calais) ou inférieur à 10 % de leur population (8,6% en Champagne-Ardenne, 7,5 % en Franche-Comté, 6,9 % en Normandie, 6,6 % en Poitou-Charentes, 5,1 % pour France 3 Aquitaine). En suivant ce même indicateur, France 3 Bretagne suit avec un indice de 4, 6 % (il existe 152 701 j’aime sur la page Facebook, la Bretagne administrée compte 3,3 millions d’habitants). Les « Pays de la Loire » sont à 2,6 %...
Nous n’avons pas représenté sur cette courbe les 5 éditions régionales de France 3 ayant sur leur page Facebook moins de 26 000 mentions « j’aime », tout simplement car les périmètres de diffusion régionaux ne correspondent pas au découpage démographique régional. Il s’agit successivement de France 3 Côtes d’Azur : 25 586 « j’aime », de France 3 Alpes (24 177), de France 3 Rhône-Alpes (23 318), de France 3 Provence-Alpes (19 388) et de France 3 Centre-Val de Loire (17 002). Les pages Facebook de ces antennes régionales sont donc en queue de peloton et les moins « liker » de toutes. En appliquant la méthodologie précédente, l’indice d’audience est dérisoire au regard de la masse démographique des régions (6,5 millions d’habitants pour Rhône-Alpes, 5 millions d’habitants dans l’actuelle région P.A.C.A). Et ne parlons du site de France 3 Ile-de-France, région de 12 millions d’habitants !, dont le nombre de like sur la page Facebook est de … 21 691 !
A l’heure du redécoupage régional, tous ces chiffres sont intéressants et riches au moins de trois enseignements.
Comme l’évoquait d’ailleurs le rapport Brucy, l’étude montre de façon manifeste le lien entre la clarté de l’offre régionale et la fréquentation. 133 849 mentions j’aime sur la page Facebook de France 3 Corse-ViaStella (330 000 habitants) et … 99 316 j’aime sur la page Facebook de France 3 Pays-de-la-Loire (3, 7 millions d’habitants !). Aujourd’hui, les éditions régionales affichant une image claire comme le Nord (qui devient pourtant les … « Hauts de France ! ») ou la Normandie sont en tête. La Bretagne ne s’en sort pas trop mal (elle est 4e sur Facebook). Toutefois, comme les décrochages régionaux nous parlent pendant la semaine d’une Bretagne administrée et nous bombarde pendant le week-end d’une édition Bretagne-Pays de Loire ou « grand » ouest, il n’est pas sûr que les clients s’y retrouvent. De fait, la fréquentation de la chaîne ne suit pas le sentiment d’identité régional « extrêmement fort » souligné par différentes cartes dans l’annexe 5 du rapport Brucy. Le paradoxe est d’autant plus vif que sur les 10 meilleurs scores des émissions régionales diffusées le samedi en 2013 à l’échelle régionale, on trouve 6 émissions bretonnes (notamment le reportage réalisé sur Jean-Louis Le Floch). L’émission « Des racines et des ailes » attire en moyenne 4,1 millions de téléspectateurs (15,5 % de parts d’audience nationale !) et réalise notamment des « cartons » d’audience quand elle traite clairement des identités régionales : 17,3 % d’audience et 4,55 millions de téléspectateurs pour l’émission de 2012 « la Bretagne côté nature », 17 % d’audience et 4,8 millions de spectateurs pour celle intitulée « Passion patrimoine, un balcon pour la Provence ». En 2016, avec des chiffres toujours en hausse, 28,7% d’audience pour une émission sur le Beaujolais et l’Ardèche, 23,3 % d’audience pour une nouvelle émission sur la Bretagne… Si les France 3 régionaux veulent de l’audience, la notion d’identité est, comme l’évoquait le rapport Brucy, fondamentale.
Toutefois, la fréquentation dépend aussi bien sûr de périmètres techniques. Si ViaStella est autant appréciée, c’est aussi car elle est en Corse directement visible sur le canal 3. Elle fonctionne en fait de manière inverse. Alors que la plupart des chaînes abusivement qualifiées de « régionales » n’opèrent que quelques décrochages (pour les actualités, pour les informations, pour quelques documentaires du type « Génération Bretagne », etc.), la Corse dispose elle d’une appellation claire, d’une information claire, d’un périmètre de diffusion clair et tout simplement élargi.
Tout ceci pose évidemment sur le fond la question du centralisme médiatique en France. Aujourd’hui, si les antennes « régionales » de France 3 ont le mérite d’exister et proposent souvent des contenus d’excellente qualité, elles butent souvent sur le fait de devoir affirmer une identité sans pouvoir l’exprimer. Que seraient en France de véritables chaînes régionales avec de belles éditions Provence, Val-de-Loire, Occitanie, Bretagne, Normandie… ? Le succès des épisodes de l’émission des racines et des ailes reprenant ces intitulés (et parlant d’ailleurs naturellement de la Bretagne à cinq départements, de la Provence, du Val de Loire…) laisse songeur sur leur potentiel. Toutefois, comme ces chaînes apparaissent aujourd’hui sur des périmètres tronqués et avec des appellations tronquées (Pays-de-la-Loire et Centre-Val-de-Loire par exemple), elles ne sont tout simplement pas lisibles. On constate sur notre graphique des décalages entre les deux courbes, particulièrement forts en Pays-de-la-Loire et dans une moindre mesure en Midi-Pyrénées, en Bretagne et en Languedoc-Roussillon. Dans ces régions à l’identité forte (la Bretagne, l’Occitanie, la région Val de Loire reconnue « patrimoine mondial » par l’UNESCO), il existe à l’évidence un potentiel publicitaire et marchand mal exploité. De fait, comme pour combler le vide, d’autres chaînes de pays sont apparues et sont particulièrement nombreuses dans ce magma Bretagne-Pays de la Loire-Centre (carte jointe). On peut citer en Bretagne Tébéo, TVR35, TéBéSud, Télé Nantes. Certaines d’entre elles mutualisent de plus en plus leurs programmes pour avoir une dimension … régionale ! Les scores d’audience des chaînes sont d’ailleurs d’autant plus forts qu’elles assurent une couverture régionale à différents événements (les élections par exemple). Cette situation d’ensemble pose la question de fond de l’utilisation de l’impôt avec, ne l’oublions, pas la présence de programmes qui reposent largement sur des fonds publics. En Bretagne, le CSA a d’un côté refusé deux fois à TV Breizh une diffusion libre à l’échelle bretonne. Et de l’autre, on confine les chaînes qualifiées de régionales à des périmètres réduits ou peu cohérents qui nuisent à leurs popularités et lisibilités. Cela dit, les choses évoluent, seront évaluées avec d’autres données chiffrées, et le bon sens apparaîtra peut-être un jour pour de simples raisons commerciales. Il n’apparaîtra pas avec la création de régions institutionnelles illisibles, hors-sol ou moroses (de types « grand » Est ou « hauts de France ») qui feront fuir le chaland. A l’instar des belles réussites apparentes de la Corse et même de la Normandie, elles apparaîtront tout simplement pour des raisons marchandes (audience, impératifs budgétaires, rentrées publicitaires). Ces dernières naissent avec des régions cohérentes évoquant tout simplement des réalités et une identité.
Le Comité de rédaction de Construire la Bretagne