De septembre à décembre 2015, des dossiers avaient été proposés par le collectif Construire la Bretagne, dont plusieurs membres, comme Jean Ollivro et Michel Bouvier, font partie du think tank Bretagne Prospective, afin de poser les enjeux majeurs de la Bretagne de demain. Les dossiers ont été regroupés dans un ouvrage de 110 pages, 20cm x 20cm disponible en librairie ou sur commande.
Le livre est bien structuré, a des titres bilingues, porte sur la Bretagne historique, mais oublie le plus souvent le formidable pôle industriel de Saint-Nazaire, le principal pôle productif en Bretagne historique. Les chantiers navals ont des commandes pour les 10 prochaines années. (les 4 dernières commandes ont été annoncées récemment toutefois). Le texte devrait systématiquement écrire "région Bretagne", plutôt que Bretagne car le lecteur le plus souvent se demande de quelle Bretagne on parle, surtout quand des chiffres sont cités.
De l’unité bretonne à la démocratie participative, en passant par l’équilibre territorial, l'agriculture, la maîtrise énergétique, le tourisme, l’ouverture internationale, ces dossiers ont abordé 20 thèmes essentiels de la vie bretonne. Pour chacun, il a été établi un état des lieux et des propositions. Un travail très documenté qui peut servir aujourd’hui de base à une réflexion plus profonde. On regrettera que le controversé aéroport de Notre-Dame-des-Landes ait été glissé sous le tapis. Des sujets qui fâchent certes, mais on attendait justement d'un tel collectif, des perspectives objectives, non partisanes, une liste du "pour" et du "contre" et un point de vue à long terme dans la perspective de la décentralisation.
Dans le contexte de l'actualité, ABP s'est penché tout particulièrement sur le dossier de l'Agriculture, le dossier 13, l'économie de la terre. Le dossier dénonce bien des normes excessives, une opposition artificielle entre le bio et l'agriculture intensive "la force de la Bretagne c'est précisément qu'il existe différents systèmes". Sur la méthanisation le dossier tape dans le mille : 7 700 méthaniseurs en Allemagne et seulement 28 en Bretagne (chiffres de 2013). Par contre le dossier oublie de dire que le prix du KWh racheté est subventionné en Allemagne, comme l'est le prix du KWh produit en France par l'éolien ou le solaire. Certains chiffres ne sont pas sourcés et c'est dommage. Le livre affirme dans le chapitre agricole que 30% des revenus des agriculteurs allemands viendraient des énergies alternatives (principalement méthanisation) sans citer la source de ce chiffre étonnant.
D'une façon générale, le dossier analyse bien les causes indirectes de la crise du monde agricole, charges excessives, couches de réglementations abusives etc... Le dossier oublie de mentionner la cause directe de la crise : l'effondrement des cours des produits agricoles en 2015 et les conséquences que l'on connaît pour les producteurs et les éleveurs bretons très mal préparés pour cette éventualité qui était pourtant prévisible.
D'une façon générale, on s'étonne du manque de critique à l'égard de l'État. L'État français, avec des gouvernements de gauche comme de droite, n'a pas su préparer l'agriculture bretonne face à la mondialisation de l'agriculture. Jusqu'à récemment et seulement une fois élus à la présidence, les socialistes ont menti systématiquement aux électeurs en ce qui concerne la mondialisation de l'économie et l'inadaptation du modèle social français (fallait pas se mettre à dos les syndicats et les fonctionnaires). Quant à la droite, elle en parlait, mais sans avoir le courage d' implémenter les réformes nécessaires à la survie de l'économie productive du pays.
Les agriculteurs assommés de charges et de règles, avec un coût du travail au-dessus des autres pays, (pas dans le livre, les agriculteurs allemands ne payent pas de charges sur les travailleurs saisonniers), le dumping social (qui n'est pas abordé franchement dans le dossier), n'ont pas eu de réserves financières suffisantes, et le plus souvent aucune, pour investir et moderniser afin de faire face à la compétitivité mondiale. Comme l'expliquait Philippe Chalmin en janvier 2014 à Locarn : "vous n'avez pas encore compris que le prix du lait en Bretagne dépend de la météo en Nouvelle Zélande". ( voir notre article )
Il aurait aussi fallu expliquer que les banques sont plus intéressées par les marchés financiers que par les agriculteurs et les PME. Et l'État a laissé faire. On peut reprocher à ces dossiers la même chose que l'on pouvait reprocher à l'institut de Locarn en 2006 quand il organisait un colloque : 100 projets pour la Bretagne. Ca sert à quoi d'avoir des projets et des idées si les projets doivent délocaliser pour survivre ou si seuls les Chinois peuvent investir ? La Bretagne a plein de projets et de perspectives et n'a simplement plus la possibilité de les réaliser dans des conditions obsolètes définies par l'Etat central et l'administration. Les exceptions à cette règle existent. Elles sont rares mais on se doit de citer un projet breton qui a réussi en répondant à un besoin, c'est bien sûr Produit en Bretagne.
Comme l'agriculture n'est pas délocalisable, l'agriculteur n'a plus qu'à se suicider ou demander le RSA. Comme le rappelle Jean Ollivro, aucun jeune n'est prêt à se mettre en agriculture "car ça coûte 500 000 euros." Il rappelle aussi que d 'un autre côté, sans aucun vote à l'Assemblée Nationale, "la ville de Paris se construit un métro de grande ceinture qui va coûter 25 milliards" et propose de préparer les JO de 2024 pour 9 milliards d'euros. Les agriculteurs "qui ne représentent plus que 3% de la population active, donc des électeurs, contre 53% en 1954" (page 64) ne pèsent pas le poids contre les 12 millions d'habitants de la région parisienne où siège un pouvoir central démesuré.
Il reste que ces 3% génèrent, en tout avec l'agro-business, 35% des emplois industriels en région Bretagne et 34% des exportations.