La journée de vendredi 5 mars a été consacrée aux témoignages de policiers qui sont intervenus dans l'enquête, les arrestations, gardes à vue et perquisitions concernant le dossier de l'Armée révolutionnaire bretonne. Leurs déclarations reprenaient les éléments déjà évoqués lors de la lecture de l'arrêt de renvoi, mais en version personnalisée. Chaque témoignage étant suivi de questions posées par le président de la cour d'assises spéciale, théoriquement (rarement) ses confrères magistrats " jurés ", l'avocat général, l'avocat de la partie civile (famille Turbec et SOS Attentats) et enfin les avocats des accusés.
D'une manière générale, les policiers témoins ont décrit l'Armée révolutionnaire bretonne comme un mouvement d'amateurs, liant leurs actions de violence à leurs soirées au bistrot, sans réelle motivation politique, contrairement aux mouvements corse (" "Les Corses ont le canal historique, l'ARB a le canal grotesque") et aux Basques (" Le terrorisme basque est structuré militairement, le terrorisme de l'ARB est épidermique, il n'y a pas en Bretagne d'oppression historique "). A plusieurs reprises, il sera longuement fait état de la complicité intellectuelle mais non concrète dans les attentats entre l'ARB et le mouvement clandestin basque ETA, " son grand frère ".
" Je pense, il me semble... "
Ces témoignages de professionnels pourraient passer pour des certitudes si certains détails n'avaient pas montré que les policiers ne sont pas plus crédibles, quatre ou cinq ans après les faits, que le commun des mortels. Un exemple : le commissaire Ejarque cite comme une certitude l'horaire de la déflagration entendue par un témoin au MacDo de Pornic (entre 5 h 45 et 6 h). Me Omez fait remarquer à ce policier que le seul témoin qui a évoqué cet horaire a admis ne pas pouvoir préciser avec certitude la date. " C'est ce qu'il me semblait... Mais le témoignage est si lointain... " reconnaît le commissaire.
Ce même policier a évoqué un message internet signé (avec une faute d'orthographe) par le groupe Sarah affirmant que " la révolution ne se fera pas sans violence ". Un second message, avec la bonne orthographe, arrive derrière pour affirmer que le premier était un faux. Le commissaire a bien cité le premier, mais " n'a pas souvenir " du second...
A plusieurs reprises, le président de la cour d'assises ou l'avocat général ont demandé aux policiers leur point de vue personnel sur les accusés ou sur l'ARB en général, ce qui vaudra à une avocate de demander à l'un de ces témoins : " Vous avez reçu une formation en psychologie ? ".
A la limite de la légalité
Par deux fois, les avocats de la défense devront faire remarquer aux témoins policiers qu'ils ne sont pas dispensés de respecter les principes légaux. Par exemple lorsque l'un d'eux fera état de la condamnation d'un militant connu d'Emgann, ensuite amnistié.
Me Apperé demande ensuite à Georges Lebbos, commissaire de police de la DNAT chargé des affaires corses, venu donner un coup de main à ses confrères en charge des affaires bretonnes, s'il lui paraît normal que les avocats venus rencontrer leurs clients en garde à vue se trouvent obligés de s'entretenir avec eux par le biais d'un micro. " Je vous certifie l'entière confidentialité de ce système ", assure le policier. L'avocat insiste : quelle preuve y a-t-il de cette confidentialité ? Et le policier d'expliquer qu'il est bien connu que lorsqu'un gardé à vue appelle un avocat précis au lieu d'un commis d'office, c'est bien parce qu'il a des informations à lui faire passer...
Ce qui déclenche un conflit entre les avocats de la défense d'un côté, le policier témoin, le président et l'avocat général de l'autre. " Un témoin dit ce qu'il veut ", intervient le président. " Vous devez accepter ". Le conflit se terminera par un quart d'heure de suspension d'audience.
Les gardés à vue chouchoutés...
Si l'on en croit les témoins policiers, rien de plus simple qu'une garde à vue. Ceux qui souhaitent confier leurs aveux le font, les autres pas.
Me Tcholakian, avocat de la défense, a un petit doute là-dessus. Il explique que le Comité de prévention de la torture a effectué une enquête sur les gardes à vue, et dans le cadre de cette enquête, le cas de Gaël Roblin a été pris en exemple. Et un texte rédigé par la DNAT a été inclus dans l'enquête, indiquant qu'il " ne fallait pas donner de couverture ni éteindre la lumière dans la cellule de Gaël Roblin ". Quelle explication le commissaire Bruno Le Boursicaud donne-t-il à cet ordre ?
" A partir du moment où l'on a soumis à Gaël Roblin les informations sur les enquêtes concernant l'ARB, il a dit qu'il n'avait plus rien à déclarer. A partir de là, il est d'usage de placer les gens sous surveillance constante, pour des questions de santé et de sécurité. En voyant les choses s'accumuler contre lui, il peut prendre une décision de violence contre lui. Notre rôle est d'éviter qu'il porte atteinte à sa propre sécurité. " " N'est-ce pas un mauvais traitement d'empêcher Gaël Roblin de dormir, de ne pas lui donner de couverture ? " insiste l'avocat. " Non, assure le policier. Si Gaël n'a pas beaucoup dormi, moi non plus... et les couvertures, vous savez, elles ne sont pas toujours très propres... ".
... et Paskal Laizé rendu adulte
La garde à vue, c'est aussi le moyen de transformer des amateurs inconscients qui refusent de reconnaître leurs actes délictueux en adultes responsables. C'est du moins ce qu'a tenté de démontrer le commissaire de la DNAT Georges Lebbos, qui a pris en charge la garde à vue de Paskal Laizé, lequel, au moment de son arrestation, était gravement blessé suite à un accident de voiture.
" Au début, Paskal Laizé refusait de s'exprimer, lors des 10 ou 12 interrogatoires des deux premiers jours de garde à vue. Au bout de 48 h, lorsque sa garde à vue a été prolongée, il a voulu se démarquer des personnes avec qui il s'était impliqué. Il a reconnu son appartenance à l'ARB, et donné des déclarations sur les actions qu'il avait commises. (...). " Paskal aurait dans un premier temps évoqué un complice sans le nommer, puis aurait donné des noms d'accusés actuels. " La garde à vue s'est terminée de façon surprenante, dans un climat de confiance, assure le policier. " En l'occurrence, Paskal Laizé a indiqué où étaient cachés des explosifs à son domicile afin d'éviter un accident postérieur.
Et le professionnel de la garde à vue d'expliquer : " Une personne en garde à vue, il ne faut pas la brusquer. Il faut la convaincre qu'elle a tout intérêt à parler, lui ouvrir les yeux, la rendre adulte. Souvent, dans ce milieu, on a l'impression d'avoir à faire à des enfants... " Ce que confirme l'avocat général : " Si les uns ont parlé, c'est parce qu'ils voulaient bien. S'ils se sont tus, c'est qu'ils le voulaient bien... "
Me Tcholakian donne une autre version de la garde à vue de Paskal Laizé. Il a été interrogé dans le cadre de trois dossiers différents. Ce qui s'est traduit par un emploi du temps particulièrement tendu (voir le détail de la garde à vue). " Au total, sur 96 h de garde à vue, il y a eu 36 h d'auditions, calcule Me Tcholakian, dont 20 h 50 de nuit, à quoi s'ajoutent les transports et les procédures. "
Ce qui ne bouleverse nullement le policier Lebbos : " Je vais vous citer un exemple : quand nous avons transporté Paskal Laizé de Rennes à Paris, nous avons discuté dans la voiture. C'est là qu'il a ouvert les yeux. Moi, je me serais bien couché à deux heures du matin, mais nous avons continué les auditions. Moi je propose, lui peut refuser. Je peux vous assurer que ce jour là, il n'était pas fatigué. Je ne comprends pas la raison de votre interrogatoire. Paskal Laizé s'est prêté volontiers aux interrogatoires. "
" N'y avait-il pas un temps de fatigue ? " s'interroge l'avocat. Et de citer une étude d'un expert de l'Inserm témoignant de ce que " la privation de sommeil est un moyen classique pour inféoder les individus "...
Mais au fait, le temps de déplacement en voiture de Rennes à Paris n'était-il pas supposé être un temps de repos ? " Si ", reconnaît le policier. " Alors comment se fait-il que vous ayez profité de ce temps pour lui faire " ouvrir les yeux " ? " Là encore, c'est Paskal qui a tout fait pour, en pure volonté...
Dès sa comparution devant le juge d'instruction après sa garde à vue, Paskal Laizé a déclaré : " Je suis très fatigué. J'ai un état de santé déficient. Je veux dire que les mises en cause que j'ai faites de X et Y ne sont pas exactes. "
La semaine à venir
A partir de lundi 8 mars, seront étudiés un à un les actes reprochés aux accusés. L'affaire de Pornic et de Quévert devrait arriver dans le débat à partir de jeudi 11 mars.
SK VZH : 05/03/2004