Lettre ouverte à M Jacques Auxiette
À l'occasion de son ouvrage "Les Pays de la Loire, région française dans le monde d'aujourd'hui", M Jacques Auxiette entend par la même occasion apporter sa contribution au débat des présidentielles. Dans son ouvrage il se montre ardent partisan d'une vigoureuse relance de la régionalisation, pour "une responsabilité accrue accordée aux régions", l'État devant conserver seulement ses "fonctions régaliennes: la défense, la police, la justice". Favorable au maintient des communes, il souhaite coupler régions et départements.
En tant que fédéraliste breton, luttant de longue date contre le centralisme jacobin qui règne dans les sphères dirigeantes parisiennes, nous ne pouvons que saluer les déclarations de M Auxiette. Malheureusement, là où le bas blesse, c'est quand M Auxiette, non seulement se montre déterminé à refuser le retour de la Loire Atlantique dans la famille bretonne, mais pire encore, il en vient à dénoncer chez les partisans de la réunification "une forme de repli ethnique" en s'interrogeant sur ce que peut vouloir dire une "identité bretonne, vendéenne, irlandaise" ! On reconnait bien dans ce discours les procédés sémantiques d'une longue tradition républicaine "française" où se côtoient Marine Le Pen, Jean Pierre Chevènement ou autre souverainistes. Cette conception politique, sous couvert de réaliser "une communauté de citoyens égaux devant la loi" confond tout à la fois état, nation et peuple. Par une construction de l'esprit purement artificielle on en arrive à nier les particularités, les réalités vécues des individus et des communautés humaines. Dans le droit fil de cette pensée moniste, M Jacques Auxiette se glisse dans la campagne de désinformation utilisée en haut lieu pour stigmatiser les peuples de l'hexagone (breton, basque, corse). Il n'y a pas si longtemps nous avions droit au thème: mouvement breton=nazi¹. Cette campagne a fait long feu et actuellement le nouveau slogan est: régionalisme=communautarisme. C'est là la seule parade qu'a trouvé un État-Nation artificiellement construit sur la négation des nationalités et confronté à de nouveaux défis [les banlieues] au lieu de procéder aux réformes institutionnelles indispensables pour faire face aux interrogations et aux défis de notre temps. Et pourtant ce large mouvement de reconnaissance des peuples et des autonomies régionales est le mode de gouvernance qui se pratique pourtant chez nos partenaires européens. Dernier exemple en date, l'Andalousie, à l'initiative du socialiste Zapatero, vient d'approuver un très large statut d'autonomie régionale. Seule la France, en compagnie de la Turquie, s'arcboute sur un modèle hérité de l'empire autoritaire napoléonien.
J'aimerais aussi, avec courtoisie, rappeler à M Jacques Auxiette que l'amputation de la Loire Atlantique (Loire Inférieure à l'époque) du reste de la Bretagne a été imposée par un décret de Vichy sans aucune consultation des populations concernées. Est-ce à dire qu'un responsable du parti socialiste cautionne cet acte inique ? Plus haut dans l'histoire, le socialisme en Bretagne a été introduit par la section de Nantes. Voyez-vous M Auxiette les peuples sont ainsi faits qu'ils ont la mémoire longue. Cromwell, au milieu du 17ème siècle, avait cru mettre fin définitivement à l'id(entité) irlandaise et pourtant en ce début de 21ème siècle le peuple irlandais est toujours là bien vivant et même régi sous deux états il constitue une Nation. De la même façon la majorité de la population de la Loire Atlantique ne se reconnait pas dans vos "Pays de la Loire" - dont deux départements d'ailleurs ne sont aucunement riverains de ce fleuve - et aspire à retrouver le dynamisme breton. On nous dit que votre région vient d'être frappée d'une nouvelle maladie, la Ligériose. Comme toutes les pathologies émergentes cette affection est difficile à traiter et il est à craindre que vos millions d' €, dispersés à tout vent au frais du contribuable pour relooker l'histoire du sud Bretagne, n'y pourront rien.
Quant à votre argument de repliement, il ne tient pas quand on se souvient que le corps électoral breton (Loire Atlantique comprise) a voté OUI au referendum sur la constitution européenne. Sans doute voyait-il là, tout en ignorant pas les insuffisances de cette constitution, le moyen de signifier sa volonté de participer à la construction et aux orientations de cette Europe des peuples (avec ou sans état) sur laquelle on ne pourra faire l'impasse face à la montée en puissance d'états où cohabitent aussi de nombreux peuples. C'est là un aspect inattendu de la biodiversité.
Au fond tout cela avait été fort bien dit par le grand poête breton Tristan Corbière: "Bretagne est univers". Puisse cette citation vous inspirer quelque révision "déchirante" de vos craintes et de vos jugements hatifs.
Jean Louis Le Mée
¹ rappelons à ce sujet que le mouvement Sao Breizh, dont certains fondateurs étaient originaires de la Loire inférieure, a été parmi les premiers à rallier Londres après la débacle de 1940