Monsieur,
Suite à la parution dans votre journal d'une caricature signée par Riss, nous tenons à vous faire part de notre indignation. En effet ce dessin, affublé d'un encart qui se veut "spirituel", est injurieux pour la population bretonne parce qu'il laisse accroire que les écoles où est enseignée la langue bretonne seraient un repère de personnes non seulement "ringardes" mais aussi bêtement racistes. Ce qui est tout le contraire de la réalité puisque, et c'est clairement dit dans leurs statuts, ces écoles accueillent les enfants sans aucune référence ni à leur origine sociale, ethnique ni au type de croyance pratiqué ou non dans leurs familles.
Ce dessin cultive aussi la bêtise puisqu'il incite à penser que les "petites langues" ne mènent nulle part alors que bien au contraire elle participent à la richesse culturelle de l'Humanité puisqu'il est admis par les gens éclairés que chaque langue, si restreint que puisse être le nombre de ses locuteurs, présente une conception du monde. La multiplicité linguistique est une richesse. On assiste d'ailleurs actuellement à une prise de conscience au plus haut niveau dans de nombreux pays et à un regain d'intérêt pour non seulement maintenir mais revivifier cette pluralité linguistique.
Si votre dessinateur avait eu une vision un peu moins courte, moins provinciale des choses, il aurait su que rien qu'en Europe la plupart des pays, à l'exception de la France et de la Grèce, ont ratifié la Charte Européenne des Langues Minoritaires. Il aurait aussi su, pour prendre un exemple, que la Norvège (laquelle a largement démontré qu'elle chérissait la liberté d'expression) reconnait dans sa constitution trois langues nationales : le Nynorsk, le Bokmaal et le Same. Ce dernier idiome ne compte que 45.000 locuteurs et pourtant cette minorité linguistique bénéficie du même statut, et donc des mêmes outils linguistiques (écoles, vie publique, radio, télévision) que les deux autres. Il aurait même pu savoir que tout récemment vient de se tenir à Washington (U.S.) un important colloque réunissant des politiques, des linguistes, des professeurs issus des plus prestigieuses universités américaines pour relancer les langues amérindiennes. La langue bretonne, elle même, vient de faire sa rentrée dans les programmes de l'une de ces université où l'on cultive l'excellence — Harvard.
Et on trouvera bien d'autres exemples dans le monde.
La France, quant à elle armée d'une constitution qui ne reconnait aucune altérité, reste en queue de peloton. Chaque fois qu'il est question d'en finir avec un dogme datant de Robespierre (cf. l'article récent de Mr Claude Hagège dans le Monde), on crie en haut lieu au péril communautariste ! Les autorités françaises si promptes à donner des leçons aux autres peuples devraient faire preuve d'un peu plus de modestie. Elles s'honoreraient en reconnaissant enfin aux langues qu'elles ont stigmatisé les moyens indispensables, non pas à leur maintien en coma assisté, mais à leur plein épanouissement.
Les Bretons n'ont pas à faire la démonstration qu'ils sont tout autant que d'autres attachés à la liberté d'expression dont vous prétendez être l'étendard. Mais cette liberté d'expression ne vous autorise pas à insulter et à dénigrer les gens qui ne demandent qu'une seule chose : que leur soit reconnue la libre expression de ce qui fait leur singularité. Il n'y a que les tyrans du genre Robespierre et leur héritiers contemporains du genre Pol Pot qui ont eu pour ambition, sous couvert d'égalité, de "régénérer" à la façon que l'on connait la personne humaine.
Aussi invitons nous votre journal et certains de vos collaborateurs à méditer cette phrase de Camus "La liberté n'est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité".
Salutations bretonnes.
Jean-Louis Le Mee,
Président de l'Alliance Fédéraliste Bretonne - Emglev Kevredel Breizh