Charlie Hebdo riait de tout et se moquait du reste, faites l'humour pas la guerre, pourra-t-il, pourra-t-on continuer ? Je l'espère. Quoique faire de l'humour derrière un cordon de CRS sera sans doute moins drôle. Personnellement, je ne lisais pas Charlie, mais le Canard Enchaîné de temps à autre. Cabu, mon beauf et l'adjudant Kronenbourg me manqueront. Je ne me souviens pas d'avoir été choqué par des caricatures quelles qu'elles soient, au pire je m'abstenais de les regarder. On parle beaucoup de l'humour anglais, mais le français est plus caustique, irrespectueux, un rien anar, plus politique aussi ; voir l'illustre « Assiette au beurre ». L'humour, la satire, sont un trait du génie français, au même titre que le vin et les fromages.
Cette presse satirique a sans doute participé et permis l'avènement de la démocratie en s'attaquant aux « puissants » : l'église, les patrons, les gouvernants, les ploutocrates, les injustices, les sots en général dont nous sommes parfois, en évoquant les sujets de société, la prostitution, les fous, l'argent, le racisme, les colonies, etc. Ce serait un tort de ne voir que la dérision, cela en serait un aussi de rester au premier degré. Les têtes de Turc de Cabu étaient les militaires et les curés, mais on pouvait se contenter d'en rire car la bêtise est universelle. Il est facile de rire des autres et moins de se voir moqué. D'ailleurs, le Canard n'aimait pas les Bretons, qu'il voyait encore comme des Chouans réacs, eux les meilleurs citoyens de France, pourtant ! (1)
Et bien ! Si l'on se moque des Bretons, dont je suis, je ne vais pas prendre une « kalach », mais, au pire, une tarte à la crème et des cours auprès de l'entarteur. Je ne connais pas assez Charlie pour savoir s'il tapait sur tous les intégrismes, juif, islamique ou chrétien, avec le même entrain, je l'espère, car la France, car la Bretagne perdraient leur âme sous le contrôle des « barbus », il n'en est pas question. Étonnamment, ces assassins, descendants des consommateurs de haschisch, opèrent à l'antique, comme leur ancêtres de Syrie et des « confins de Damas, d'Antioche et d'Alep », ces « vieux de la montagne », décrit à l'époque de Frédérique Barberousse ou de Guillaume de Tyr, au 12è siècle. Les tropismes des journaux satiriques peuvent agacer ; taper sur les curés et les militaires est daté, et pourquoi s'en prendre uniquement au FN. Lénine, Staline, Robespierre, Mussolini, Hitler ou Mao sont tous de pitoyables personnages, de gauche ou de droite, qu'importe. Ils ont décimé des peuples, pas seulement des rédactions.
Pour contrer ces jihadistes français, le romancier Jean-Christophe Rufin évoque les soldats de l'an II et la levée en masse, celle-là même qui provoqua le soulèvement de la Vendée, puis la répression, le projet d'anéantissement des Vendéens par les colonnes infernales, un génocide programmé. Lecture partielle de l'histoire et mauvaise idée.
D'autres, tel l'historien Jean Delhumeau parle de guerre de religion et de choc de civilisations. C'est tomber dans le piège. En réalité la civilisation occidentale, à tort ou à raison, est l'unique phare dans le monde, mais que d'obstacles, que de frustrations pour l'atteindre. Des milliards d'êtres humains ne rêvent nullement de conserver leur mode de vie ancestral, mais de consommer et d'atteindre notre niveau de vie. Il n'y a pas de civilisation musulmane, du moins, il n'y en a plus ; rien à voir entre l'Arabie Saoudite moyenâgeuse et le Maroc, entre le Yemen et la Turquie. C'est gentil de parler de pays en voie de développement, en réalité nombre de ces pays sont encore sous-développés, en Afrique notamment, sans accès à l'éducation, aux besoins primaires comme l'eau courante et l'électricité, démunis de système de santé digne de ce nom, avec des armées déliquescentes ; dans ces conditions, la tentation est grande pour quelques énergumènes et mafieux, jihadistes ou non, de se tailler des fiefs, profitant de l'absence d'Etat.
Si la civilisation musulmane n'existe plus, elle a été brillante et souvent tolérante envers les minorités juives ou chrétiennes. Je pense au califat de Cordoue notamment. À ma connaissance, pas de pogroms sous les califes.
L'écrivain Remi Brague évoque des « gênes de violence » intrinsèques à l'Islam. Certes Mahomet a fait tuer des poètes qui se moquaient de lui, c'était un guerrier et un conquérant sans vergogne, mais le christianisme est un pavement de crimes. L'Inquisition espagnole a été supprimée en 1834, l'Index, qui prohibait la lectures de presque tous les bons auteurs, en 1966 seulement !. Au lieu de répéter comme un mantra, « il ne faut pas faire d'amalgame ni avoir de préjugés contre l'Islam », les médias ferait mieux d'instruire les téléspectateurs de ce qu'a pu être l'Islam, une religion bien plus tolérante que la chrétienne, et mettre en valeur les réussites des émigrés, médecins, ingénieurs, patrons, dont ils ne parlent jamais !
L'écrivain égyptien El-Aswany, auteur égyptien musulman du remarquable livre « l'immeuble Yacoubian », accuse l'islam wahhabite de l'Arabie Saoudite de soutenir un islamisme fondamentaliste; il faudra bien un jour mettre cet Etat réactionnaire sur la sellette et combattre ses valeurs passéistes et contraires aux valeurs humanistes et démocratiques. L'ironie, c'est que cet Etat, qui alimente le fondamentalisme islamique, est incapable militairement et ne peut se maintenir sans l'aide de l'Occident. Outre leur statut dégradant de la femme, on ne sait pas assez que l'Arabie Saoudite décapite des condamnés, fouette des journalistes, a détruit des centaines de sites archéologiques au nom du wahhabisme, doctrine peu respectable, qui irradie en Afghanistan, au Mali, en Libye … Il serait temps de désigner les commanditaires du terrorisme islamique et pas seulement les tueurs lampistes.
Pour le philosophe Robert Redeker, la liberté d'expression ne se ramène pas au droit de dire et d'écrire des choses qui ne dérangent, ne choquent, ni ne blessent personne, de s'attaquer aux faibles par exemple. Il défend le droit de polémiquer, de diviser, de discuter, quitte à blesser parfois, dans une guerre civile des mots. c'est à ce prix que se forge la démocratie, ne parlons pas que de République ! Et que nous vivons, toujours … en démocratie.
Le bouddhiste Matthieu Ricard, idéaliste, espère une société où l'altruisme serait plus que jamais une urgence … rêve sans doute, mais cela me fait penser que les peuples intelligents ou qui le sont devenus par l'éducation, sont plus philosophes que religieux.
Le philosophe André Glusksmann, à raison, souhaite que l'on désigne le mal, ce ne sont pas seulement des terroristes mais des terroristes islamistes, mais il oublie de dire que tous les intégrismes religieux sont dangereux ; y compris juifs et chrétiens. Par ailleurs quand Israël (en 2014) tue plus de 2000 Palestiniens en réponse à trois morts israéliens, ne peut-on parler de grave disproportion et donc de terrorisme étatique ? Y-a- t-il un bon et un mauvais terrorisme ?
En réalité, si de prime abord, l'humour caustique français peut apparaître « vulgaire », il est le plus souvent progressiste, il dénonce des injustices, il vise à faire progresser la société, ce pourquoi il est salutaire. Comment peut-on réformer, si l'on ne désigne pas, si l'on ne dénonce pas ?
Nous aussi, en Bretagne nous avons eu nos fanatiques, nos John Knox (2), le père Maunoir (3) par exemple, pour qui je n'ai aucune sympathie. Si ses idées avaient perduré, avec lui, ni théâtre, ni danse, ni cinémas ! pas de démocratie ; une vie de caserne; un bienheureux, des malheureux ! C'était un psycho-rigide, un fanatique, un adjudant-chef selon l'historien Alain Croix.
Les fous de Dieu n'ont pas éclos par hasard, nous avons, nous aussi des responsabilités. Sous prétexte de démonter un dictateur tel que Saddam Hussein, les Etats-Unis ont démantelé un Etat sous un tapis de bombes, martyrisé une population et livré les restes pantelants de l'Irak à une foultitude de gangsters libéraux. La chirurgie politique n'est pas dans leur habitude. Pas étonnant que la gangrène islamiste ait prospéré justement dans ce pays et dans la Syrie voisine.
Quant à nos djihadistes français. Est-il seulement possible d'intégrer dans un pays développé comme le nôtre, des ignorants ambitieux ? des complexés, des frustrés qui, c'est leur part d'humanité, veulent tout de même se réaliser, donner un sens à leur vie, dans le sang si nécessaire !
Il ne faut pas charrier !
Le combat contre les fanatismes a pris des siècles en Occident, au prix de millions de morts, mais on ne meurt qu'une fois, heureusement ; l'état de paix, la liberté, la démocratie, la république chez nous, qui nous paraissent, hélas, si banales parfois, ne sont pas gravées dans le marbre. L'attentat contre Charlie va peut être nous déciller les yeux, nous montrer que nous avons beaucoup de chance d'être parvenus à ce stade de civilisation. Il reste du travail pourtant. Nous n'avons plus comme autrefois, un besoin impératif des autres, d'où névroses, angoisses et solitude. Avant que la machine ne devienne amicale et intelligente ! Il nous faut donc retisser des liens entre nous, sans retomber dans les dogmes et les catéchismes abêtissants, vaste programme !
Notes
1. Mon article Abp
2. John Knox, (1514-1572), réformateur de l'Église écossaise
3. Julien Maunoir, 17è, jésuite français, prédicateur et missionnaire en Bretagne