Avant-hier, je me suis rendu avec des amis à Combourg (département de l'Ille-et-Vilaine) pour visiter le château. A l'accueil, une dame charmante nous a vendu les tickets d'entrée et nous demande à chacun le numéro de notre département (pour leurs statistiques) et lorsque je lui donne le mien, soit le 29, elle me répond : « vous venez de Bretagne ». A mon regard stupéfait – car tout de même Combourg, pour moi, se trouve en Bretagne, le château est une des demeures les plus belles et prestigieuses de Bretagne et pour en rajouter un peu, il était le centre d'une immense seigneurie (devenue au XVIIe siècle un comté) relevant des archevêques puis évêques de Dol), cette dame se reprend et rajoute « de là-bas… de Basse-Bretagne », ce qui n'est pas faux en soi. Dans ma jeunesse j'avais été surpris alors que ma grand-mère, originaire des Abers, était hospitalisée à Rennes d'entendre médecins et infirmiers parler d'elle comme d'une « bretonne ». Lorsque plus récemment, je me suis rendu au salon du livre de Montaigu, j'ai été surpris du comportement de mon voisin, un auteur à succès vivant à Clisson, qui me parlait de Clisson comme si cette cité n'était pas en Bretagne. Et ne parlons pas de Nantes ! Il est étrange de voir fleurir des titres de livres et d'articles «Nantes est-elle en Bretagne ? » ou « Nantes est-elle bretonne ? ». Pour les auteurs de ces articles et livres, bien sûr qu'elle l'est… c'est une évidence historique et géographique. Mais déjà poser la question me laisse dubitatif.
Il est donc nécessaire de faire un petit rappel historique et géographique. La Bretagne- territoire d''une superficie de 32 000 km² (la Bretagne est plus vaste que la Belgique)-, pour le chroniqueur breton du XVe siècle, Pierre Le Baud, «a ses limites immuables car enracinées dans l'immémorial, ses frontières naturelles déterminées par les fleuves du Couesnon, de Sélune, de Mayenne et de Loire au-delà desquels le Breton vit en exil ». Il est impossible ici de ne pas mentionner un fait à peine croyable dans une Europe en recomposition politique constante : la permanence des frontières de la Bretagne. A partir du IXe siècle, elles sont en effet fixées ou presque. La Bretagne perdra le Mont-Saint-Michel, la nécropole de ses ducs, un siècle plus tard.
La Bretagne est effet une presqu'île entourée par la mer au Nord, au Sud, à l'Ouest et à l'Est fermée par des limites gardées par un système de forteresses : Combourg, Fougères, Vitré, La Guerche, Châteaugiron, Châteaubriant, Machecoul, Clisson, parmi les châteaux les plus connus et les plus magnifiques d'Europe.
Mais revenons à ces réactions. Pourquoi ces réflexions de gens qui habitent en Bretagne et qui sont souvent Bretons et Bretonnes ? Le sentiment de ne pas être en Bretagne et d'appartenir à un département : je suis finistérien, morbihanais, coste-armoricain, d'Ille-et-Vilaine, de Loire-Atlantique… Je suis du 29, 22, 35, 44, 56, mais de Bretagne, on n'en parle pas beaucoup, on l'oublie peut-être ? Il est vrai que la Bretagne a perdu son unité. En 1791, avec la Révolution française, le duché de Bretagne devenu Province au XVIe siècle est divisé en cinq départements : le Finistère (le département le plus loin de Paris), les Côtes-du-Nord (au nom trop froid qui deviendra en 1990 les Côtes d'Armor, ce qui fait plus breton), le Morbihan, l'Ille-et-Vilaine et la Loire-inférieure (en 1957, la Loire-Atlantique, ce qui est moins dévalorisant). Le régime de Vichy, par le décret du 30 juin 1941, décide la création de préfectures de région. Ille-et-Vilaine, Morbihan, Finistère et Côtes-du-Nord dépendent du préfet de Rennes, mais la Loire-Atlantique relève de celui d'Angers. Ces préfectures disparaissent à la Libération, mais la création des « régions programme » de 1956 voit le retour de cette partition-amputation de la Bretagne « historique » qui est reconduite lors des réformes régionales de 1972 et 1982.
Autre raison possible : la honte d'être Breton ou être reconnu comme tel. La peur de l'identité bretonne semble être un sentiment encore durable. Etre reconnus et assimilés à des Bretons, pour certains est dévalorisant socialement- être un plouc ou un fils de plouc vivant dans une maison sans toilettes, électricité, comme peuvent le penser certains -, culturellement – parler une langue que personne ne comprend -, politiquement – être un bonnet rouge, voire pire un régionaliste ou pire encore un séparatiste indépendantiste.
Mais les choses changent et bien largement. Ce que je viens de décrire n'est plus, du moins faut-il l'espérer que des traces d'un certain crétinisme. Il est clair que dans les nouvelles générations, surtout chez les moins de 30 ans, on est fier d'être breton.
Enfin, je reprends mon cheval de bataille. Les gens ne savent pas, manquent de connaissances. A cause de quoi ? Bien sûr d'un manque cruel d'enseignement de la culture bretonne, de la culture de la Bretagne et bien sûr de l'histoire de la Bretagne, des Bretons et des Bretonnes.