La Turquie veut éradiquer la représentation légale kurde
Après une semaine passée à Diyarbakir et au plus profond de l'extrême sud –est anatolien, il me vient à l'esprit ce proverbe bien français pour résumer ma pensée quant à la politique turque menée face à la question kurde qu'elle n'arrive pas à résoudre : "qui veut noyer son chien l'accuse de la rage".
La situation est préoccupante pour une Turquie aveuglée par un nationalisme "chauvin" contraire à ses propres intérêts, tant à l'intérieur de ses frontières, en s'enfonçant dans une "sale guerre" contre une partie de sa population, qu'au Kurdistan irakien dont elle tire des bénéfices importants, indispensables à sa balance commerciale : une invasion militaire serait néfaste économiquement et désastreuse politiquement, les kurdes du Kurdistan nord (Turquie) et du Kurdistan sud (Irak) n'ayant jamais été aussi unis, sans compter les contacts étroits qui sont noués avec les kurdes iraniens.
La situation est exaspérante pour une Turquie aveugle qui n'arrive pas à semer la division dans une population kurde restant unie derrière son Leader embastillé depuis 8 ans et condamné à la prison à vie. Même les protecteurs de villages, recrutés par l'Etat turc pour surveiller la population et lutter contre la guérilla votent pour les candidats pro kurdes et ne sont plus considérés comme des traîtres à abattre mais plutôt comme des victimes, voir comme des alliés dans une guerre du renseignement. Les entraves à la liberté de circulation n'arrêtent pas pour autant la circulation des idées et, chaque vexation, chaque arrestation, chaque condamnation renforce la résistance de la population. Les manifestations à l'occasion des fêtes du Newroz (nouvel an kurde), attestent de cette mobilisation.
La fuite en avant est, pour l'instant, la seule réponse d'une Turquie "chauvine" qui, tout en continuant à pourchasser ceux qui ont pris les armes, s'en prend à tous les représentants légaux de la population. Pour les prochaines élections législatives, en automne prochain, le DTP (Parti pour une Société Démocratique), parti de la représentation kurde, conscient qu'il ne pourra, dans les conditions actuelles du scrutin faites aux candidats présentés par les partis politiques, obtenir des sièges au Parlement turc, envisage de présenter des candidats "indépendants" qui ne sont pas soumis aux mêmes règles, et pense ainsi obtenir un nombre de députés suffisant pour constituer, une fois élus, un groupe à l'assemblée, avec tous les avantages d'un groupe parlementaire. Pour contrer cette stratégie, la Turquie met en place une politique d'intimidation et procède à des arrestations de candidats potentiels, cadres du DTP et élus locaux Les maires font l'objet d'un traitement particulier et d'un harcèlement continuel frisant parfois le ridicule. La jeune femme, maire de Bostaniçi (commune suburbaine de Van), Gülcihan Simsek, qui ne compte plus les procédures lancées contre elle, a, bien sûr, avec ses collègues maires du DTP–une cinquantaine-, signé la lettre pour défendre Roj TV, la télé kurde en exil, et comme ses collègues, est mise en examen au motif de soutien à une organisation terroriste. Le mot est lâché : en voulant diaboliser la guérilla, la Turquie a réussi à faire taire les querelles intestines kurdes et à unir la population, ses élus, les cadres politiques et les combattants dans une même lutte, celle de la liberté d'expression, qu'elle soit culturelle, linguistique ou politique. Parmi les maires, deux d'entre eux sont particulièrement visés : les maires de Diyarbakir et de Hakkari. Les responsables politiques kurdes, les avocats, les défenseurs des droits de l'Homme se plaignent amèrement de l'attitude frileuse, voire complice, de la diplomatie européenne, et, dans ce contexte, les prises de positions d'hommes et de femmes politiques en faveur des maires kurdes émanant de la Bretagne ont donc été particulièrement appréciées
André Métayer Président des Amitiés kurdes de Bretagne