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La Tragédie de la Bretagne
La Tragédie de la Bretagne Auteur: Marcel Texier
Par Louis Melennec pour Histoire et Identité le 8/06/07 20:32

La Tragédie de la Bretagne

Auteur: Marcel Texier

L'expression est d'un Canadien d'origine irlandaise, grand connaisseur de la réalité bretonne, Jeffrey O'Neill (1). A un observateur superficiel, cette formule peut paraître excessive, surtout quand on compare la tragédie de la Bretagne à la tragédie de l'Irlande justement qui, depuis l'arrivée des Anglo-Normands en 1169, en passant par les massacres de Cromwell dans les années 1649-1650, la répression impitoyable des rebellions qui se sont succédées au cours des siècles, la Grande Famine de 1845 à 1848, les durs combats qui ont mené à l'indépendance, la partition du pays qui dure encore, n'a vraiment pas été épargnée.

Et pourtant…

Bien sûr, les Bretons ont eu la chance de rester maîtres chez eux beaucoup plus longtemps que les Irlandais. Si on excepte, en effet, les temps lointains des incursions franques sans lendemain, les expéditions de Pépin le Bref au début de son règne en 752, celles de Charlemagne en 786, 789 et 811, porteuses de grandes dévastations sans doute mais qui ne réussirent pas à briser la résistance de nos ancêtres, les invasions normandes au dixième siècle, la domination calamiteuse mais somme toute brève (2) d'Henri II Plantagenêt, roi d'Angleterre au milieu du douzième siècle, l'étranger quel qu'il fût, ne réussit guère à nous imposer durablement son joug.

Même après le mariage en 1212, par la volonté de Philippe Auguste, de la duchesse Alix avec un prince capétien, Pierre de Dreux, qui contrairement à l'attente de son « bienfaiteur » s'efforça de soustraire la Bretagne à l'influence française, notre pays ne fut jamais soumis avant la défaite de nos armes à Saint-Aubin-du-Cormier le 28 juillet 1488. Encore ne le fut-il complètement qu'à partir de la Révolution française qui se comporta vis-à-vis de la Bretagne comme devait le faire un peu plus d'un siècle plus tard l'U.R.S.S. vis-à-vis des Pays Baltes et autres nations annexées par la force..

Cette mise au pas, entamée après la perte de notre indépendance, a été ponctuée de révoltes dont la plus célèbre fut celle dite « des Bonnets Rouges ». Elle éclata à Rennes le 18 avril 1675 et s'étendit rapidement à Nantes, Dinan, Vannes. Puis, ce fut Guingamp, Châteaulin, Carhaix, Quimper, Quimperlé, Hennebont, Pontivy et bientôt toute la Basse Bretagne. La répression, sous la conduite du duc de Chaulnes alors gouverneur de la Bretagne, fut féroce. Là, le mot de « tragédie » prend tout son sens.

D'abord, le 30 août, arrivent 6000 hommes envoyés de Paris pour mâter les rebelles en Basse Bretagne. Tout de suite, pendaisons et condamnation aux galères vont bon train. A Combrit, 14 paysans sont pendus au même chêne. Les campagnes sont terrorisées.

Vers la mi-octobre vient le tour de Rennes, accusée d'être à l'origine des troubles. Le duc de Chaulnes fait publier l'ordonnance suivante, arrêtée en conseil royal :

« Le roy étant informé que les diverses séditions arrivées dans la ville de Rennes ont pris commencement dans les faubourgs d'icelle, en sorte que les mutins, après y avoir nourri et entretenu le trouble et la révolte, ne l'auraient pas seulement portée et fomentée autant qu'il leur a été possible dans le corps de la ville, mais par leurs mauvais exemples et leurs pernicieux conseils, l'auraient encore répandue dans une partie de la Basse-Bretagne : Sa Majesté, pour faire connaître son indignation de ces excès criminels, a voulu faire tomber son châtiment sur le forsbourg de la rue Haute, comme ayant eu part principale aux séditions…Sa Majesté a ordonné et ordonne que les habitants du dit forsbourg, de quelque qualité et condition qu'ils puissent être, en désempareront et rendront vides leurs maisons…depuis la grande porte du couvent de Bonne Nouvelle jusqu'à la chapelle Sainte-Marguerite dans quinze jours après la publication du présent… »

Ce beau programme fut exécuté scrupuleusement, au point que Madame de Sévigné pouvait écrire :

« On a chassé et banni toute une grande rue et défendu de les recueillir sous peine de la vie, de sorte qu'on voit tous ces misérables, femmes accouchées, vieillards, enfants, errer en pleurs au sortir de cette ville sans savoir où aller, sans avoir de nourriture ni de quoi se coucher. »

Mais, ce n'était pas encore suffisant, comme le montre plus loin la bonne Marquise :

« On a pris à l'aventure vingt-cinq ou trente hommes que l'on va pendre… » »

Quelques jours après, elle ajoute :

" On a pris soixante bourgeois. Procureurs, prêtres et clercs, fournissent un fort contingent de prisonniers. Quelques-uns furent roués, d'autres pendus, d'autres envoyés aux galères…"

«Si vous voyiez l'horreur, la détestation, la haine qu'on a ici pour le gouverneur, vous sentiriez bien plus que vous ne faites la douceur d'être aimés et honorés partout. Quels affronts…Nous sommes étonnés qu'en quelque lieu du monde on puisse aimer un gouvernement.»

Pourtant, ce n'était pas fini : le 6 décembre, c'est 10.000 hommes qui arrivèrent en Bretagne. Et quelles troupes ! Celles qui s'étaient déjà « fait la main » en pillant et incendiant le Palatinat, laissant là-bas un souvenir qui dure encore. Et c'est encore Madame de Sévigné qui nous renseigne :

«Ils vivent, ma foi, comme en pays de conquête, nonobstant notre bon mariage avec Charles VIII et Louis XII. Il y a dix à douze mille hommes de guerre qui vivent comme s'ils étaient encore au-delà du Rhin…Pour nos soldats, ils s'amusent à voler, ils mirent l'autre jour un petit enfant à la broche… »

Quand on se dit que, dans cette même ville de Rennes, en 2004, il a été décidé de soutenir la candidature de Paris pour les Jeux Olympiques, force est de constater que si, pour certains, il y a « devoir de mémoire », pour les Bretons, il y a « devoir d'oubli » !

« Je vous conjure d'oublier que êtes breton, pour ne vous souvenir que de votre qualité de Français », écrivait Gambetta au général de Keratry, commandant les malheureux sacrifiés de Conlie en 1870. (2)

Oublier leur histoire, oublier leur langue, oublier les vrais contours de leur pays, oublier qu'ils ont été une nation indépendante, oublier…oublier…oublier. Voilà brutalement, lapidairement, mais véridiquement résumée la tragédie bretonne.

1. Jeffrey O'Neill est le maître d'œuvre d'un livre intitulé « Rebuilding the Celtic Languages », concernant les six langues celtiques, publié par les éditions Y Lolfa, au Pays-de-Galles(2006)

2. Toutes ces citations sont tirées de l'Histoire de Bretagne de l'abbé Henri Poisson. Editions Breiz. Cet ouvrage a fait l'objet d'une mise à jour par Jean-Pierre Le Mat.

Voir aussi :
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Histoire et Identité est un groupe d'historiens bretons dont le but est de restaurer la vérité sur l'Histoire de Bretagne. Le fondateur du groupe est le Dr Louis Melenec, docteur en droit et en médecine, diplômé d'études approfondies d'histoire, diplômé d'études supérieures de droit public, de droit privé, de droit pénal, ancien chargé de cours des facultés de droit et de médecine, ex-consultant prés le médiateur de la République française, ancien éléve de la Sorbonne et de l'École des Chartes de Paris.
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