Hommage à l'abbé Y.V. Perrot le 14 décembre 2014 à Scrignac (29640)
Le dimanche 14 décembre 2014, à l'occasion du soixante et onzième anniversaire de sa mort, nous nous sommes réunis sur les lieux où le 12 décembre 1943, était odieusement assassiné l'abbé Yann-Vari Perrot, recteur de Scrignac, prêtre d'une extrême bonté, d'une charité sans borne, d'une dignité exemplaire. L'abbé Perrot fut à l'avant-garde du combat pour la réhabilitation de la Bretagne dans ses droits historiques face à la tyrannie jacobine.
Youn Yaouank de Mignoned Feiz ha Breizh fit lecture de la vie et de l'½uvre de l'abbé Perrot au pied de la croix du meurtre avant de citer les noms de ceux de nos valeureux aînés qui firent le sacrifice suprême de leur vie pour l'honneur de la Bretagne. Puis Michel Chauvin, vice- président de Koun-Breizh dira quelques mots avant de laisser la parole à Ronan Bardouel d'Identité bretonne. Nous entonnons le Bro-Goz à la suite de Michel.
Nous déjeunons à Scrignac avant de rejoindre vers 15 heures la chapelle de Koat-Keo où est célébrée en breton par l'abbé Yann Talbot la messe anniversaire de la mort de l'abbé Perrot et de ceux morts pour la Bretagne. Nous terminons par un recueillement près de la sépulture avec l'appui de la cornemuse de Jakez ar Soner.Un café chaud clôt la cérémonie vers 17h.
Le 12 décembre 1943, quand on apprit l'assassinat de l'abbé Perrot recteur de Scrignac,directeur de la revue Feiz ha Breiz, fondateur du Bleun Brug, membre du comité consultatif de Bretagne, ce fut en Bretagne et hors de Bretagne un cri de stupeur et il y eut unanimité dans la réprobation.Comment avait-on pu abattre de manière aussi odieuse un homme bon, généreux, un prêtre d'une dignité exemplaire dont le prestige s'étendait même jusqu'aux incroyants et au-delà de la Bretagne ?
Le 7 septembre 1877 naissait au village de Kéramazé en Plouarzel, Y.V. Perrot, sixième enfant d'une famille paysanne par laquelle toute sa jeunesse se trouva en contact avec la tradition bretonne.Ayant fait ses études secondaires à Guingamp, il entre au petit séminaire de Pont-Croix et termine sa préparation au sacerdoce au grand séminaire de Quimper. Le 25 juillet 1903, il est ordonné prêtre et nommé, l'année suivante, vicaire à St-Vougay. En ces années troublées, la persécution combiste bat son plein, la Bretagne est mise en état de siège pour expulser les congrégations religieuses ; elle se déchaîne contre l'esprit patriotique breton et la langue. Les prêtres qui prêchent en breton sont poursuivis devant les tribunaux ; les écoliers surpris à parler leur langue maternelle sont l'objet de tracasseries, d'humiliations, de vexations de toute sorte. La tyrannie jacobine suscite une réaction catholique et nationaliste.L'abbé Perrot s'associe aux défenseurs de la Foi et de la Bretagne et fonde au château de Kerjean, dont le propriétaire, le comte de Coatgouréden, lui accorde son appui, ainsi que le comte De Mun, député du Finistère, et fonde le Bleun Brug dont il définit de la sorte le programme : « Défendre les traditions bretonnes, en maintenir l'usage, soutenir le renouveau littéraire breton ; revendiquer pour la Bretagne le plein exercice de ses droits en matière culturelle et linguistique,notamment en matière d'enseignement ».
Depuis le Bleun Brug est resté fidèle à son idéal. Si après la guerre de 1914, des Bretons sont devenus séparatistes, c'est seulement parce que les aspirations les plus légitimes et les plus élémentaires de la Bretagne ne cessèrent d'être méconnues par les gouvernements successifs de la République centralisatrice et uniformatrice. L'abbé Perrot leur resta d'ailleurs étranger, s'attachant à l'½uvre littéraire et linguistique dont il avait été le protagoniste, mais ne rejetant personne car, à tous, il ouvrait son c½ur brûlant de charité et de bonté.
Il écrivit de nombreuses pièces de théâtre populaire, dont le fameux : «Alanig al louarn », représenté pour la première fois à Kerjean en 1905 et qui obtint un franc succès. Il publia une vie des Saints Bretons qui se répandit dans toutes les fermes de Bretagne. A ses talents déjà divers, il joignit celui de journaliste, donnant de nombreux articles à la revue Feiz ha Breiz, fondé en 1864 et dont il devient le directeur peu avant la guerre 1914.
Cette guerre, il l'a faite en première ligne, bien qu'ayant atteint la quarantaine, comme simple brancardier et mérite une citation élogieuse.
A la paix, il est nommé vicaire à Plouguerneau. Son ministère lui permit de donner toute la mesure de son savoir et son activité sacerdotale dans ce pays sanctifié et évangélisé. II fonde la troupe « Mikael ar Noblans » et fit jouer la « Passion du Sauveur » prenant la parole en breton pour prêcher entre les entractes. Inaugurant une forme nouvelle (qui fit naturellement l'objet de critiques), il réunit jeunes gens et jeunes filles dans le théâtre de patronage. La guerre avait passée mais le nivellement s'était accentué. Il se heurta à beaucoup d'incompréhension de la part de ceux qui aurait du le soutenir. Il se rebella contre une directrice d'école libre qui se permit d'organiser une séance théâtrale entièrement en français dans son propre patronage. Il admonesta également à Plouguerneau un instituteur, frère sécularisé, qui mettait un point d'honneur à empêcher ses élèves de parler breton, traitant ses élèves de berlingots. Il employait le fameux symbole : «La vache» «Apportez-moi la vache » disait l'abbé Perrot, aux gosses, je vous donnerais 10 sous».
En 1930 l'abbé Perrot est nommé recteur de Scrignac après avoir passé 10 ans à Plouguerneau. Mais ses paroissiens savaient-ils qu'il allait en les quittant gravir un calvaire sanglant ? Scrignac était l'une des plus «rouges» paroisses de la haute Cornouaille des monts, déchristianisés par les politiciens radicaux et socialistes unis dans l'anticléricalisme le plus haineux. L'abbé Perrot a alors 53 ans.
Ses positions politiques s'affirmèrent en constatant d'abord l'influence capable de tuer l'âme bretonne (enseignement, administration, caserne, théâtre, T.S.F., presse, où tout se liguait pour détruire l'esprit breton). En face, d'un point de vue culturel, il fallait opposer un côté politique. En face d'une minorité agressive incarnée par l'Etat français et un programme de laïcisation c'est-à-dire de déchristianisation, l'abbé Perrot opposa la Bretagne au temps de son indépendance ou la Foi imprégnait tout et où la patrie aidait au salut. En face d'une permanence antique (langue, costumes, coutumes), il fallait fortifier cette ambiance et surtout conserver la Foi, empêcher la déchristianisation.Telle furent sa pensée véritable et son action bretonne. Mgr Duparc donna de nombreuses marques d'encouragement à l'abbé Perrot mais craignait qu'il alla trop loin dans le sens des revendications bretonnes. Au parti nationaliste Breiz ATao qui, durant 23 ans, fut à la tête des revendications bretonnes, l'abbé Perrot mit en garde la jeunesse bretonne contre l'agnosticisme de certains de ses membres, la neutralité religieuse,voire le retour à un certain paganisme celtique mais envisagea d'exposer les principes d'une action nationaliste bretonne d'inspiration catholique en vertu du traité de 1532.Vu les fluctuations de la politique française, il fallait contrer puis créer un mouvement d'opinion à travers des moyens légaux et par des revendications légitimes de nation opprimée.
A l'extérieur,l'abbé Perrot sut se créer des sympathies : Irlandais, Gallois, Basques, Alsaciens, Flamands, évêque de Perpignan, de Bayonne. Renouant avec les antiques relations d'Outre-Manche, il effectuera un voyage au pays de Galles en 1935 et assistera à l'Eistedfod de Camarthen avant d'être reçu à l'université d'Aberytswith.
Arrivé à Scrignac, l'abbé Perrot fut au contact d'une population rude, fermée aux réalités spirituelles, hostiles à l'égard de l'église. On peut se demander pourquoi cette indifférence religieuse. L'abbé Perrot ne se faisait d'illusion : il se dit qu'il sèmerait dans les larmes mais il ne pensait pas qu'il faudrait y ajouter son sang. Son premier soin fut d'attirer la jeunesse au patronage et il fallut trois ans pour réunir quelques jeunes à faire du théâtre. Il les invita un dimanche à venir dîner au presbytère (La plupart n'était pas allé à la messe) et à la fin du repas Y.V. Perrot donna lecture d'une prière sur la Passion du Christ qui devait être jouée à Pâques. Il intéressa les jeunes et réussi à les entraîner à jouer. Au jour de Pâques, le spectacle fut émouvant. II finit par grouper un certain nombre de jeunes dans la troupe théâtrale et folklorique de Scrignac. Attirer les jeunes à l'église était sa préoccupation constante et ses sermons, malgré le peu d'auditoire, n'étaient pas moins bien préparés. II y mettait tout son c½ur.
Quand l'abbé Perrot parcourait la paroisse pour le denier du culte, les gens se montraient insolents. Des femmes qui venaient vendre du beurre au presbytère se cachaient. La bonne de monsieur Perrot était traitée de « femme » du recteur. Un jour se rendant à Koat-Keo , il glissa et tomba dans le chemin. Ceux qui le virent dirent qu'il était ivre.Quelques jeunes se permettaient de venir fumer la cigarette pendant la grand'messe. Même le chien du recteur n'était pas épargné avec des coups de fourche sur le dos.
Pendant 13 ans, ce fut un véritable calvaire pour l'abbé Perrot malgré sa bonté. Sa maison était « l'hostellerie du Bon Dieu » disait Loeiz Herrieu : c'était toujours un couvert de plus, un loqueteux à coucher dans un bon lit. On lui demandait très souvent de conduire un malade à la clinique et il aidait des personnes en difficulté financière. Durant la guerre, il se passait de sucre et de vin contingentés pour les offrir à ses paroissiens.Il était appelé auprès des malades et faisait des kilomètres accompagné de son chien, les chaussures pleines de boue et parfois hélas pleines de sang. Il se rendait dans les chapelles de Koat-Keo,Quefforc'h,Toul-ar groas pour faire le catéchisme aux enfants.
L'abbé Perrot fut aussi le restaurateur de chapelles : Toul-ar Groas, Pélinec et fit rebâtir la chapelle de Koat-Keo qui fut rendue au culte en 1937. On soulignera son rôle dans la résurrection de Landevénnec, berceau du monachisme celtique.
Survient la guerre de 1939. Au moment de la mobilisation, on arrête une centaine de membres du Parti National Breton sous l'accusation de «séparatisme» et de «virtuels collaborateurs de l'ennemi». Dès lors, la haine fratricide se répand avec son cortège hideux de calomnies et de mensonges qui n'épargnent pas l'abbé Perrot dont les sentiments bretons paraissent suspects. En octobre 1939, des fils électriques sont coupés sur le territoire de la paroisse de Scrignac ; aussitôt court la nouvelle que le saboteur est le recteur. On l'a vu dans les parages où, en effet, il est allé porter les derniers sacrements à un agonisant. Les gendarmes l'interrogent, perquisitionnent au presbytère pour y trouver des armes.
Quelques jours plus tard, on apprend qu'un ballon captif de Brest a rompu ses amarres et que son câble, en traînant par terre, a causé la rupture d'une ligne électrique. Nouvelle perquisition, aussi vaine. Cependant, l'un des policiers ose déclarer sur la place du bourg, au prix d'une forfaiture : « Vous ne savez pas quel curé vous avez: il a du sang de vos enfants sur les mains !» L'abbé Perrot porte plainte contre son odieux diffamateur, mais la retire quand il apprend qu'elle coûterait au policier sa situation. Excessive charité...
En 1943, les Allemands occupent Scrignac. Comme ils cherchent une maison ou installer leur kommandantur, de bonnes âmes s'empressent de leur désigner le presbytère comme convenant le mieux à leurs besoins.L'interprète, chargé de cette mission, choisit donc le presbytère et s'y installe lui-même. Catholique très pieux, il assiste à la messe et même aux vêpres, ce qui plonge dans la stupeur indignée les laïcs bon teint de Scrignac. L'abbé Perrot ne tire aucun avantage de cette occupation, au contraire, puisque son argenterie, son vin, son charbon disparaissent ; elle n'en est pas moins donnée pour preuve de sa germanophilie alors qu'elle lui fut imposée par ses ennemis et ses insulteurs,les sycophantes de Scrignac. D'une pierre deux coups !
Dans ce climat chargé d'hostilité et de délation sourde, rien d'étonnant que l'abbé Perrot reçoive des menaces de mort. Trois jours avant son assassinat, plusieurs individus pénètrent dans le jardin « pour descendre le curé » ; l'arrivée inopinée de deux Allemands les empêche d'accomplir leur forfait. On sait du reste, que «l'exécution» du recteur doit rapporter dix mille francs aux assassins.
Le jour de la St Corentin, patron de la Cornouaille, le 12 décembre 1943, l'abbé Perrot, accompagné de son enfant de ch½ur, va, à pied, célébrer la messe dans la chapelle St Corentin, distante de 8 kms. L'office terminé, il reprend le chemin du retour toujours en compagnie de l'enfant de ch½ur. On apprit plus tard que, lorsqu'il traversa le village de Kroaz Ruzfla croix rouge, un homme, attablé à l'auberge, demanda si c'était bien l'abbé Perrot. Sur la réponse affirmative qu'on lui fit qu'on lui fit, il sortit, précéda le recteur en coupant à travers champ et se posta derrière une haie pour guetter son passage. Quand l'abbé Perrot arrive à sa hauteur, il tire deux coups de pistolet qui le blessent mortellement à la tête. Ramené au presbytère, il agonise sans reprendre connaissance jusqu'à huit heures du soir où il rend son âme à Dieu. Un rapport officiel apprit que l'instigateur du meurtre, décidé à une réunion de la cellule communiste, s'appelait Stephan, chef de gare à Huelgoat, chez qui une perquisition fit découvrir un dépôt de marchandises et des centaines de cartons éventrés destinés aux prisonniers de guerre. Ceux-ci avaient écrit à leur famille que les colis ne leur parvenaient pas, ce qui permettait à la cellule communiste de répandre le bruit qu'ils étaient détournés par les Allemands.
Quand au sicaire qui assassina froidement l'abbé Perrot, il se nommait Jean Thépaut, alors âgé de 22 ans, à qui Stephan avait confié cette mission de tueur à gages.