C'est un fait, si le soutien au candidat Sarkozy est à peu près comparable à celui des précédentes élections présidentielles, le vote Mariniste a quasiment multiplié par deux le score obtenu par le Front National en 2007 dans cette partie-ci de la Bretagne...
Dix points ont été gagnés sur le seul canton de Liffré, quant à celui d'Antrain, ses 18,08 % de votes frontistes le placent au premier rang du Pays de Fougères.
Pour autant, ni les prières de rue, le port du voile, intégral ou pas, ou encore la polémique sur la viande hallal ne sont venus perturber la vie quotidienne des populations rurales du secteur...
La présence de familles immigrées ne s'y perçoit pas davantage et aucune présence de clandestins dissimulés dans une ou plusieurs des 1.674 fermes réparties sur les 58 communes du Pays ne semble avoir fait l'objet de discussions au cours des derniers comices agricoles.
Ici, Céline n'est connu que pour être un prénom féminin, et, en zone rurale, la gendarmerie annonce une baisse de 5 points des délits depuis 2008. Alors, que peut bien vouloir signifier ce vote-là ?
Tout d'abord, certains constats parlent d'eux-mêmes : si les délits sont bel et bien en baisse, les procédures pour les violences commises au sein même des familles sont en hausse, elles en représentent même la majorité, surpassant les faits habituels de rixes ou d'altercations diverses.
Aussi terribles mais constituant un vrai tabou, celles faites à soi-même. Les suicides ne sont plus rares, leurs tentatives bien encore moins. Nos paysans sont en souffrance et la profondeur de cette souffrance, inversement proportionnelle à l'attention que nous lui portons collectivement, malgré nous.
La plupart des Bretons savent que l'Ille-et-Vilaine est le plus important centre de production laitière de l'hexagone, certains sont également au fait que les Pays de Vitré et Fougères s'y placent en tête, mais combien pourrait véritablement s'imaginer à quel point cette filière est éprouvée ?
La concurrence est rude, le prix de vente du lait est fluctuant, celui de l'alimentation du bétail, en ces temps de sécheresse et de spéculations savamment orchestrées, l'est tout autant, les marges des grandes surfaces à peine moins scandaleuses, l'Europe et la réforme de sa Politique Agricole Commune aux reliefs incertains ne rassure pas, ses mises aux normes parfois déroutantes et aux formulations de polytechniciens exaspèrent, et la crise de la zone euros ne remédie guère à en améliorer l'image.
Alors, pour beaucoup, quand s'accumulent les impayés, que l'avenir n'autorise aucune prédiction sérieuse, qu'il n'est plus même aussi possible qu'avant, il y a peu, de trouver quelques heures de salariat ou d'intérim pour maintenir la tête hors de l'eau, et qu'ainsi, ces maisons, encore si souvent héritées des pères de leurs pères dont l'hypothèque, envisagée maintes fois et finalement décidée une seule, au nom d'un dernier espoir, risquent bien d'être saisies, ils peuvent bien s'étrangler de colère...
Et, si en conséquence, on peut dire de ce Pays de Fougères, pour paraphraser Léopold Sédar Senghor, qu'" Un frontiste y est un paysan en colère ", alors, les partis politiques bretons feraient bien de s'emparer à bras le corps de cette si douloureuse question paysanne que les Conseils généraux peinent à apaiser, par le versement du Revenu Minimum d'Insertion à de plus en plus de ces " travailleurs pauvres ", s'ils souhaitent éviter le risque majeur de voir leurs compatriotes ruraux, assise même de notre antique Bretagne, se laisser aller au chant de sirène d'une redoutable Marine étrangère.