Cela devrait être « l’affaire du neuf sept » et personne n’en parle. On est dans le ronron de la campagne. En raison des médias actuels, la campagne s’agite autour de petites phrases voire d’un seul mot prononcé ici et là à l’oral par les candidats (les « Fillonnades », « Emmanuel Hollande », etc.).
Il est bien plus sérieux de prendre un peu de temps pour décrypter les engagements écrits des candidats, de lire avec beaucoup d’attention ce sur quoi ils s’engagent. En effet, dans les programmes, chaque mot a été pensé, pesé, écrit. Il ne s’agit plus de paroles éventuellement déplacées, d’une langue qui a pu « fourcher ». Ce sont bel et bien des engagements qui vont précéder des faits. Ces écrits devancent des mises en route très opérationnelles qui vont en partie changer nos vies.
Dans ce cadre, personne n’a pour lors vraiment commenté l’incroyable proposition 97 issue des « 144 engagements de Marine 2017 ». Recopions cet « engagement » avant de l’analyser.
97. Renforcer l’unité de la nation par la promotion du roman national et le refus des repentances d’État qui divisent. (voir le site) :
Si on lit cette phrase avec attention, il est stupéfiant que cet engagement 97 ne soit pas commenté.
En effet, on ne parle pas d’histoire mais « du » … « roman » national. Il n’en existe qu’un et tout ce qui concerne la diversité des espaces, des identités et des régions n’est pas évoqué. Il s’agit donc d’une proposition ultra-nationaliste qui exalte un livre national, une bible indivisible faisant fi de toutes les diversités.
Particulièrement férus d’histoires, de la leur comme de celle des autres, les Bretons apprécieront.
Surtout, chacun sait ce qu’est un roman. C’est « une oeuvre d’aventure, une oeuvre d’imagination, constituée par un récit d’une certaine longueur » (Larousse). L’enjeu du roman est « l’évasion » et il s’agit de faire rêver. « Le roman, même historique, n’est pas la réalité ». Sur le fond d’ailleurs, peu importe que l’histoire soit vraie ou feinte (Littré). Selon Diderot, « le roman historique est un mauvais genre : vous trompez l’ignorant, vous dégoûtez l’homme instruit, vous gâtez l’histoire par la fiction et la fiction par l’histoire ».
« La fable représente des choses qui n’ont point été, et n’ont pu être ; et le roman représente des choses qui ont pu être, mais qui n’est point été » (Huet, de l’origine des romans, p. 3).
Marine Le Pen a donc pour programme explicite de transformer l’histoire de la France en un roman.
Dans un programme politique, c’est la première fois qu’il est affirmé de façon on ne peut plus explicite qu’on ne prend plus en compte l’histoire. Si cette candidate est élue, nos enfants suivront-ils des cours de « roman et de de géographie ? ».
Cette proposition surréaliste n’est commentée par personne et c’est hallucinant. Le propre de la rigueur historique est précisément de s’éloigner de visions trop romancées, d’enseigner aux enfants la complexité des choses, de leur faire comprendre les erreurs du passé afin de ne pas les reproduire. Le risque ici assumé et même revendiqué est donc d’établir un récit mythifié de la France, explicitement révisé, d’autant qu’on… « refusera les repentances d’État qui divisent » (sic).
Bigre ! L’État français, par exemple vichyste, n’a-t-il pas commis des fautes pour le moins lourdes, par exemple lors de la rafle du Vel d’Hiv' ? N’est-ce pas précisément lorsqu’un enfant se trompe qu’il progresse ? Qu’est-ce à dire ?
Le projet très clair du Front National est non pas d’ouvrir la porte à la propagande mais de la légitimer. L’article 97 parle même de « promotion ». L’histoire devient une pub. Puisque l’État est notre roman, tout ce qu’il fait serait merveilleux. On peut alors se demander en quelle mesure bon nombre de libertés évoquées dans ce même programme seront tenues, par exemple l’engagement 7 : « Garantir la liberté d’expression et les libertés numériques », l’engagement 11 : « Garantir la liberté scolaire de l’enfant selon ses choix », etc. ?
Sur le fond, nos enfants ne feront plus de l’histoire. Ils liront, nous dit-on, des « romans » qui « refusent des repentances d’État qui divisent ». Seront-ils encore libres ? Développera-t-on encore leurs esprits critiques et leur libre choix ? On nous dit pourtant que la libre pensée de chacun est l’aboutissement de la démocratie. Pourquoi cet « engagement 97 », particulièrement grave et qui attaque de manière pour le moins « frontale » la liberté de chacun, n’est-il commenté par personne ?
Le Comité de rédaction de Construire la (voir le site)