Rennes, le 6 février 2004
Michel NICOLAS
Président de la 73e section du Conseil
National des Universités
Professeur à l’Université Rennes2
A Monsieur le Ministre de l’Education nationale,
de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
Monsieur le Ministre,
Le nombre de postes offerts au CAPES de langues régionales était jusqu’à ces dernières années d’une grande indigence, parvenant difficilement à répondre aux demandes de formation formulées dans les diverses régions.
Mais, malgré ces insuffisances, au moins présentait-il l’avantage d’apporter une réelle offre de formation. C’était le signe, fût-il symbolique, d’une forme de reconnaissance des langues régionales même si les moyens déployés se trouvaient bien loin d’être à la hauteur des sollicitations et si une telle situation n’était pas de nature à mettre en oeuvre un projet visant à les réhabiliter véritablement comme
éléments fondamentaux du patrimoine culturel de notre pays (mais en quoi, au fait, seraient-elles si condamnables ?).
Dans ce contexte, l’effondrement du nombre de postes proposés cette
année aux CAPES de langues régionales ne semble correspondre à rien
moins qu’une politique délibérée visant à les faire disparaître sans
autre forme de procès. C’est le signe visible d’une rupture par rapport
à la politique antérieure qui n’assurait déjà que le minimum vital.
Par contrecoup l’avenir de la 73e section du Conseil national des
universités, cultures et langues régionales, s’en trouve gravement
menacé.
Car les capésiens sont formés dans les départements de cultures et
langues régionales et IUFM de nos Universités tant en Bretagne qu’au
Pays Basque, en Corse, en Occitanie, en Catalogne, dans les régions de
parler créole. Si, jusqu’à présent encore, les rares postes offerts
pouvaient avoir pour effet de motiver nos étudiants, nul doute que la
nouvelle situation les encouragera désormais à s’en détourner. Il en
résultera inévitablement une érosion du nombre de postes
d’enseignants-chercheurs créés dans ces disciplines, déjà pas si
important. En conséquence, c’est tout un pan de la recherche sur les
langues et cultures régionales qui est menacé de disparaître, altérant
ou asséchant les études non seulement dans les domaines de la
linguistique, la sociolinguistique, la psycholinguistique ou la
littérature, mais aussi de la géographie (toponymie, atlas) l’histoire,
l’ethnologie ou l’anthropologie, disciplines dans lesquelles la
connaissance des langues régionales s’avère indispensable. C’est encore
tout un pan de la culture de notre pays qui se trouvera définitivement
mis en jachère, provoquant un appauvrissement de la connaissance et de
la reproduction de la culture française. Les langues régionales de
France sont considérées en danger par l’UNESCO, et c’est à une politique
volontariste de développement de ces enseignements qu’il conviendrait de
procéder. Au lieu de cela on applique une politique qui pourrait passer
pour inspirée par des raisons budgétaires si elle ne donnait
l’impression de cacher d’autres motivations.
C’est pourquoi la 73è Section du Conseil National des Universités
apporte son total soutien au communiqué publié par les présidents de
CAPES, et dont je vous prie de trouver copie ci-après.
Il est un sentiment trompeur répandu sur les bords de Seine dès lors
que, pour justifier « l’exception culturelle », on ramène la culture
française à la seule production culturelle parisienne. C’est omettre que
la culture française est aussi enracinée au cœur des régions : elle a
accompagné la construction de notre pays et lui a fortement imprimé son
identité. Elle revêt le sens pluriel de cultures et langues régionales
dont l’extinction signifierait une perte irréparable pour notre pays de
même que pour l’humanité tout entière. Favoriser leur disparition, par
action ou par omission, constituerait plus qu’une erreur, une faute de
la part d’un pays qui n’a de cesse de revendiquer sa qualité de «
patrie des droits de l’homme ».
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de mes très
respectueuses salutations.
Michel NICOLAS