On appelle effet Streisand (du nom de Barbra Streisand) ce qui fait qu'on peut donner un coup de pouce ou même un coup de fouet à ce qu'on veut dénoncer.
La CGT en déposant un recours contre le Sindikad Labourerien Breizh (SLB) pour l'empêcher de participer aux élections syndicales des très petites entreprises (28 novembre-12 décembre), outre qu'il fait mauvais joueur face à une si petite organisation, et qu'il est ouvertement politique, est l'occasion rêvée pour se pencher sur l'idée même d'un syndicat qui ne regroupe que des travailleurs bretons.
Cela peut sembler peu réaliste de se limiter à la Bretagne, quand le cadre juridique est celui de la République française et que les réels interlocuteurs patronaux et gouvernementaux sont souvent à Paris.
Pourtant, quelques syndicats de ce genre ont réussi des percées, que ce soit, dans cette République ou dans un Etat comme l'Espagne, qui est fédérale.
Dès sa création en 2001, le SLB a revendiqué l'exemple d'un grand frère au Pays basque (Langile Abertzaleen Batzordeak-LAB) et également celui du Syndicat des travailleurs corses (STC).
LAB a été fondé en 1974 dans la clandestinité et est apparu au grand jour en Espagne en 1978.
Il aurait 45 000 membres et 3 500 délégués dans les entreprises d'un Pays basque qui est beaucoup plus industrialisé que la Bretagne.
Comme la CGT, il est affilié à la Fédération syndicale mondiale qui regroupe des syndicats de gauche.
Le Syndicat des travailleurs corses est aussi une organisation qui a acquis une représentativité certaine.
Il a été créé en 1984, a 5 500 membres revendiqués et a été vainqueur des élections prud'hommales de 2002 et 2008. Il est reçu par les préfets et mène des actions communes avec la CGT.
Il avait été à l'origine de la prise de contrôle «sauvage» d'un ferry en 2005 pour protester contre la privatisation de la SNCM, dont il demandait qu'elle soit remise à la Collectivité territoriale corse.
Lors du procès des marins, le SLB et LAB s'étaient solidarisés avec le STC. ( voir notre article )
L''Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe (responsable : Élie Domota) est la centrale syndicale très majoritaire dans l'île et les confédérations parisiennes sont très loin derrière (52% aux élections de 2008).
Elle a été fondée en 1973, après que le mouvement syndical indépendantiste se soit remis de l'abattement qui a suivi les exécutions sommaires de grévistes par les gendarmes en 1967.
Les quatre syndicats mentionnés, ainsi que le Syndicat occitan de l'Education et des syndicats canarien, canaque, catalan, galicien, guyanais, martiniquais sarde, valdôtain sont réunis dans la Plateforme syndicale des Nations sans Etat (PSNSE), créée en 2004 et qui se positionne dans la critique sociale radicale.
Les principes affichés par la PSNSE sont les suivants :
- Nous sommes des syndicats de classe.
- Nous sommes des syndicats structurellement indépendants des partis politiques
- Nous luttons contre la « globalisation capitaliste », qui impose à nos sociétés une véritable dictature économique, sociale et idéologique au travers, notamment, d'instruments comme le FMI (Fonds monétaire international), l'OMC (Organisation mondiale du commerce), la Banque mondiale et les institutions européennes.
La PSNSE ne semble pas avoir beaucoup de dynamisme : après 2 réunions internationales en 2004 et 2006, elle semble se limiter à des échanges d'informations et à des communiqués. http://www.psnse.com/index.php
Si les syndicats des nations sans État sont indépendants des organisations politiques, ils ne sont pas indépendants de courants politiques, soit autonomistes, soit indépendantistes, et certaines de leurs sections peuvent être influencées par une organisation politique.
Le Pays basque du Sud est un cas intéressant, car, il se paie le luxe d'avoir deux syndicats basques de masse : LAB qui se classe à gauche et ELA qui est historiquement lié au Parti national basque (PNV), premier parti de la Communauté autonome des Pays basques et qui est au centre droit.
ELA (Solidarité des ouvriers basques http://www.ela-sindikatua.org/es) a été créé en 1911 et aurait plus de 100 000 membres.
En 2000, il a accepté des actions communes avec LAB qui, auparavant, était partisan d'une négociation avec l'ETA, mais, depuis 2010, LAB a rompu la majorité syndicale basque et a co-signé des conventions collectives avec les syndicats espagnols de gauche.
Les syndicats basques sont présents en Navarre et, aussi, au Pays Basque-Nord pour LAB.
Le SLB, a une section étudiante, active dans les Universités de Rennes et de Brest, et elle a montré des proximités avec Breizhistance, nouvel avatar d'Emgann, et se positionne donc à gauche, voire à l'extrême-gauche dans la galaxie politique bretonniste. http://slbroazhon.wordpress.com
Ce tropisme des étudiants pour une gauche mouvementiste et au discours indépendantiste clair n'a rien de surprenant.
Dans le Pays de Rennes, des syndicalistes étudiants connus pour leurs liens avec SLB-Skol-Veur, se sont présenté aux cantonales 2011 avec le soutien du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
Un autre noyau d'adhérents au SLB est constitué du personnel de Diwan où sa section a remporté 60% des voix aux élections prud'hommales, mais, il serait imprudent de classer cette section à l'extrême-gauche.
On peut noter que les délégués des personnels Diwan du Syndicat national des enseignants de l'Enseignement initial privé-CGT ont co-signé un tract avec ceux du SLB à propos de l'affaire de Louannec en septembre 2012. ( voir notre article )
Cependant, la faiblesse du SLB est de n'avoir que quelques points d'appui, aux opinions sans doute diverses et un petit nombre d'adhérents très dispersés, qui ne peuvent entamer aucune action collective.
Les syndicats basque, corses ou guadeloupéens et même martiniquais ont une capacité de mobilisation beaucoup plus grande et couvrent beaucoup plus de secteurs économiques.
Le SLB est donc très loin de jouer dans la même cour que ses modèles, d'autant que l'idée que le peuple breton a le droit de disposer de lui-même (art. 6 des statuts) est loin d'être partagée en Bretagne, autant qu'elle l'est, pour leurs peuples respectifs, dans les pays mentionnés plus haut .
LA CGT, par excès de zèle sur des principes idéologiques, qu'elle n'est pas chargée de définir (SLB ne serait pas «républicain»), a, peut-être, modifié le paysage syndical breton.