En ce centenaire de la Grande Guerre le roman de Yvon Ollivier nous rappelle ce qu'en fut l'horreur.
Yann Gouritain est un paysan du Porzay, attaché aux siens, à sa terre et à ses traditions ancestrales, à sa langue et en fait à tout ce qui fait de lui un authentique Breton du Porzay.
Mais il ya un siècle, la guerre l'arrache à son foyer, à celle qui est l'amour de sa vie, à tous les siens, à sa terre, à son petit pays natal.
Une guerre dont il ne sait rien, ni les motifs, ni les objectifs, une guerre qui le dépasse lui et ces millions de soldats qui vont périr ou être blessés, mutilés sur des champs de bataille qu'ils ne connaissaient pas et où leur seule motivation est la haine pour celui d'en face, qu'ils ne connaissent pas non plus.
Pour la majorité d'entre eux l'ennemi est en fait un paysan ou un ouvrier comme eux, qui a connu les mêmes joies, les mêmes peines et les mêmes espérances et qui est aussi ignorant qu'eux des motivations de ceux qui ont déclenché cette tuerie qui les oppose jusqu'à la mort.
Yann Gouritain sort vivant du carnage mais rentre au pays défiguré et, pour se faire oublier, change de nom et s'installe à l'écart du village où dans le travail il tente d'oublier le terrible malheur qui le frappe et qui le sépare de ceux qu'il aime et particulièrement de son épouse qui, le croyant mort s'est remariée, de sa fille, de ses parents et de sa terre, de tout ce qui était sa vie avant ce drame.
Le livre est en fait le récit de la confession de Yann au recteur de la paroisse, lui même victime de la vie et de la guerre, mais aussi des traditions ancestrales dont l'obéissance au père de famille en pays léonard. Car au delà de l'histoire des héros c'est la Bretagne rurale « d'avant 14 » que décrit Yvon Ollivier, ses classes sociales, son mode de vie, ses traditions en particulier religieuses, son amour de sa vieille langue, son amour de la vie et sa crainte de la mort et les amours campagnardes dans leur diversité, la religion avec la profondeur de la foi qu'accompagnent aussi bien des superstitions, les grandeurs et les faiblesses des recteurs, en fait tout un monde que la guerre de 14-18 et ses conséquences contribueront à faire disparaitre.
Car c'est la grande leçon de ce beau, livre la dénonciation des horreurs de la guerre, de ces guerres qui broient les innocents, détruisent les villes, les villages et les paysages, bouleversent les sociétés et tout cela pour des motifs inconnus de leurs victimes, qui se battent contre des hommes et des femmes, qui bien qu'étrangers leur sont souvent plus proches que leurs dirigeants qui les envoient au trépas, trop souvent pour des motifs personnels, par orgueil ou par intérêt.
Ce beau live nous rappelle un grand livre publié en 1949, « La vingt-cinquième heure », de Virgil Gheorghiu dans lequel un quart de siècle après la Grande Guerre un paysan de Transylvanie, Iohann Moritz est lui aussi arraché aux siens et en particulier à son épouse qu'il aime par dessus tout, entrainé dans un conflit dont il sera de bout en bout la victime, un conflit dont il ne connaitra jamais les raisons, noyé avec les siens dans un déferlement de haine qui les broiera.
Yann Gouritain voit sa vie brisée par son affreuse blessure et n'échappe à la déréliction que par le suicide, Iohann Moritz, après avoir passé la guerre dans les camps d'internement en Roumanie, en Hongrie, en Allemagne, la finira sans doute exilé pour toujours, loin de sa patrie, loin de son village, loin de sa terre, privé de liberté et contraint de parler une langue qui n'est pas la sienne.
Pour Iohann comme pour Yann, l'après guerre fut pour eux la vingt-cinquième heure, « … une heure après la dernière … l'heure où il est trop tard pour être sauvé, trop tard pour mourir, trop tard pour vivre, où il est trop tard pour tout. »
Puissent ces deux livres inspirer à tous les hommes, l'horreur de la guerre et de ses horreurs.
Jean Cévaër
Yoran Embanner, 2014 – 214 pages, 13 ¤
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