L'échec de l'intervention américaine en Irak a une cause bien précise, ce n'est pas du tout de vouloir y favoriser la démocratie ce qui est louable en soi mais c'est la volonté d'y construire un État-nation fédéral à l'image des États-Unis, contrairement à ce qui a été fait en ex-Yougoslavie où des Républiques indépendantes ont été reconnues, voire créées de toutes pièces comme au Kosovo.
Si la gestation de nouveaux États dans les Balkans a été douloureuse, on a aujourd'hui des régimes stables et démocratiques à l'opposé de ce qui se passe en Irak et au Moyen-Orient en général. Au Moyen-Orient, les frontières résultent, comme en Afrique, des caprices des puissances coloniales des siècles passés. Voir le cas de la Libye, conglomérat de provinces sans même une histoire commune ou la division en zones d'influences britanniques et françaises qui ont donné l'Irak et la Syrie.
Le refus de modifier les sacro-saintes frontières des États - ce qui est aussi le cas de l'Ukraine aujourd'hui - aboutit toujours à la guerre civile. Ce n'est pas le nationalisme qui mène à la guerre, comme l'affirmait François Mitterrand, mais sa non prise en compte dans le discours politique. La négation de son existence en quelque sorte. Ce qui aboutit au conflit c'est la négation du nationalisme de l'autre, de son droit fondamental à prendre en charge ses propres intérêts, en constituant son propre gouvernement. Ceci vaut aussi pour la Catalogne en Espagne et même la Bretagne en France. L'absence de la prise en considération de la volonté des Bretons de reconstituer une région basée sur la Bretagne historique à cinq départements mène tout droit à un conflit dont les négationnistes jacobins n'ont aucune idée et dont les conséquences remettront en cause les fondements mêmes de la République.
La question est donc pourquoi. Pourquoi n'a-t-on pas reconnu trois États indépendants en Irak comme cela avait été fait en ex-Yougoslavie ? Le Kurdistan au nord, le Sunnistan au centre, et le Schiistan ou Chiistan au sud. On y est presque arrivé, mais à la suite d'une guerre civile terrible. Alors pourquoi ne pas l'avoir fait dès la chute de Saddam Hussein ? Certes, Bagdad aurait posé un problème un peu comme Bruxelles si la Belgique se divisait, mais des solutions pouvaient être trouvées.
En Irak, la paix a été sacrifiée au profit d'intérêts politiques. Politique intérieure des États-Unis, il s'agissait de promouvoir et de renforcer le modèle américain de démocratie fédérale multi-ethnique. Certes, le système fédéral américain est de loin supérieur au système centralisé français, mais il pose problème quant aux droits fondamentaux des Indiens, en particulier l'absence de droit de faire sécession. Les Indiens d'Amérique sont des nations sans États.
La France fait de même au Mali en faisant la promotion de son modèle républicain centralisé aux dépens de l'indépendance des Touaregs. Le Mali suit la voie de l'Irak, alors que la guerre civile pouvait être évitée. L'acharnement des États à vouloir conserver les sacro-saintes frontières, même au prix de centaines de milliers de morts, comme ce fut le cas au Timor, mène à chaque fois à la guerre et l'ONU, comme son nom l'indique très bien, ne défend pas les peuples mais les États.
La paix est aussi sacrifiée à des intérêts géopolitiques ou le plus souvent purement économiques comme l'alliance entre les USA et la Turquie. Cette alliance est surtout, pour les États-Unis, un vaste marché de fournitures d'armes de toutes sortes. Il ne fallait pas froisser la Turquie, un client de poids pour les USA, en autorisant un Kurdistan indépendant au nord de l'Irak actuel. Vingt ans après, on est pourtant arrivé de facto à un Kurdistan indépendant.
Rien ne peut empêcher la marche des peuples vers leur indépendance, c'est le seul sens de l'Histoire.
Philippe Argouarch