Yann Fouéré qui vient de nous quitter centenaire aura marqué le XXe siècle en Bretagne et en Europe par son incessant combat pour la légitime autonomie de sa patrie bretonne, pour la défense de sa langue et de sa culture et pour l'avènement d'une Europe des peuples sur une base fédérale.
Bien que né loin du Bro Gozh du fait des contraintes professionnelles de son père, il n'en sera jamais intellectuellement et sentimentalement séparé et il nourrira toute sa vie un attachement profond pour la terre de ses ancêtres.
Etudiant à Paris, il sera président de l'association des étudiants bretons et fondateur, avec Robert Audic, de l'association pour la promotion de la langue bretonne "Ar Brezhoneg er Skol". En 1939 il sera élu vice-président de l'Union Régionaliste Bretonne et le restera jusqu'en 1945.
Actif au sein de l'Union fédérale des anciens combattants, il en deviendra le commissaire aux Jeunes. Les nombreux voyages qu'il effectuera à ce titre le rapprocheront des diverses minorités européennes et il assumera la direction de la revue "Peuples et frontières". Cette solidarité avec les peuples en lutte pour leur identité l'amènera, au début de la dernière guerre, à tirer parti de ses fonctions au ministère de l'Intérieur pour aider les Basques fuyant la dictature franquiste, dont le président du Gouvernement autonome d'Euskadi, Jose Antonio Aguirre. Il deviendra d'ailleurs permanent au sein de la Ligue des amis des Basques.
Nommé brièvement sous-préfet de Morlaix en octobre 1940, il quittera en 1941 le ministère de l'Intérieur où ses convictions bretonnes étaient mal perçues par le pouvoir vichyste.
Il se consacrera à la presse bretonne, en fondant un journal vraiment breton, ce sera "La Bretagne" qui s'associera par la suite à "La Dépêche".
A la Libération, ces activités lui vaudront d'être poursuivi par les autorités du moment et condamné à une très lourde peine dont il s'affranchira en s'exilant en Cambrie (Pays de Galles) puis en Irlande, quittant la France grâce à l'aide de ses amis basques. Après la loi d'amnistie de 1953, il est rejugé à sa demande en 1955 par un tribunal militaire et acquitté.
Les années qui suivront le verront se consacrer à l'action bretonne et défendre ses idées dans 15 ouvrages, dont certains marquèrent l'époque, comme "L'Europe aux cent drapeaux" et dans des centaines d'articles, en particulier dans la publication qu'il fonda, "L'avenir de la Bretagne".
En 1957, à Lorient, il fut l'un des fondateurs du MOB (Mouvement pour l'organisation de la Bretagne) avec Yann Poupinot, Pierre Laurent, Yvonig Gicquel, Jean Kergren, Pierre Le Moine, premier mouvement politique breton de l'après-guerre lancé avec les conseils du fondateur du CELIB (Comité d'étude et de liaison des intérêts bretons) Joseph Martray.
Quand le MOB s'étiolera suite à la scission en janvier 1964 de l'Union démocratique bretonne, Yann Fouéré lancera le SAV (Strollad Ar Vro) en 1969, qui disparaîtra dans les cabales et remous causés par les attentats du FLB-ARB dont Yann Fouéré subira les contrecoups en étant emprisonné d'octobre 1975 à février 1976.
Après l'amnistie de 1981, Yann Fouéré participera à Bruxelles à la création de l'Alliance Libre Européenne avec les représentants de divers partis régionalistes européens puis, en 1982, lancera le POBL (Parti Pour l'Organisation d'une Bretagne Libre), qui avait une vocation de parti fédéraliste breton et européen. Le POBL connaîtra un certain succès dans les milieux d'action bretonne jusqu'au début des années 90 du siècle dernier, avant de décliner dans la dernière décennie du siècle et de se mettre en sommeil. Yann Fouéré désormais très âgé utilisera alors ses dernières forces pour sauvegarder ses archives personnelles et celles des mouvements et publications qu'il contribua à créer et animer.
Sa mort le 21 octobre dernier marque la fin d'une époque qui vit le combat pour l'identité bretonne acquérir la visibilité auprès du grand public à défaut d'une adhésion massive. Pour atteindre ce résultat, il fallut que des militants de toutes origines se dévouent, s'exposent et se battent, au prix souvent d'énormes sacrifices, pour que la Bretagne continue d'exister, conserve tout son territoire et obtienne sa liberté d'action économique et culturelle dans la reconnaissance de son histoire, de sa langue et de sa culture.
Puissent leurs successeurs suivre leur exemple pour édifier désormais la Bretagne de l'avenir par l'engagement ferme et tenace des jeunes générations dont il faut espérer qu'elles mettent notamment à profit les nouveaux réseaux et moyens de communication pour que le rêve breton devienne réalité.
Jean Cévaër