Les femmes kurdes sont particulièrement présentes dans le combat pour la reconnaissance de l'identité kurde mené depuis 1984 par les Kurdes en Turquie, sous l'impulsion du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Elles ont été l'objet d'une attention particulière de la part d'Abdullah Öcalan, leader incontesté du PKK, aujourd'hui emprisonné et condamné à la prison à vie mais toujours l'interlocuteur incontournable des autorités turques dans les négociations pour une paix durable. Fortes de trente années de luttes armées et de combats politiques, les femmes kurdes sont, avec la création de leurs propres associations, de plus en plus actives dans la vie quotidienne et accèdent, en parité, aux postes de direction dans l'organisation de la société civile et politique. Un de leurs combats les plus difficiles reste néanmoins la lutte contre les mariages forcés, des pratiques issues d'une mentalité archaïque et d'un système basé sur la domination de l'homme, qui, en instrumentalisant les coutumes, les religions et les traditions, contraint les femmes, quelle que soit leur origine, à se soumettre à des lois non écrites imposées, le plus souvent, par les membres de leur propre famille.
"Les mariages forcés, c'est un véritable fléau international, déclare Nursel Kilic, du Mouvement des Femmes kurdes. En 2012, d'après les statistiques imparfaites de l'ONU, 48% des filles, en Asie du Sud, ont été forcées à se marier avant l'âge de 18 ans, 42% en Afrique, 21% au Kirghizstan, 14% au Kazakhstan. 27% des filles ont été forcées, au Bangladesh, à se marier avant l'âge de 15 ans, 26% au Niger. Des filles dans des pays comme l'Inde ou l'Afghanistan sont contraintes de porter une ceinture de chasteté".
Et en Turquie ?
"La Turquie serait en septième position sur la liste onusienne des pays où les enfants sont poussés à se marier avant leur majorité. Selon les statistiques du ministère turc de l'Intérieur, 134 629 mineurs de moins de 18 ans auraient été, depuis ces trois dernières années, victimes en Turquie de mariages forcés, dont 5 763 jeunes garçons et 128 866 jeunes filles. Pourtant la Turquie a ratifié les conventions des Nations Unies, notamment celle de 2006, qui définit les mariages forcés comme étant un esclavagisme moderne et l'Union européenne a publié, depuis 2002, plus de 11 directives sur cette question".
Et au Kurdistan de Turquie ?
"Les femmes kurdes ne sont pas épargnées par ce fléau. Les victimes sont souvent des jeunes filles illettrées ou qui, au mieux, ont eu la chance de terminer l'école primaire, avec comme perspective le « destin », le même que celui partagé par leur mère avant elles. Alors qu'elles rêvent d'émancipation, elles se retrouvent, un jour, face à un homme qu'elles n'ont jamais vu et dont elles seront la énième épouse, ou face à un cousin auquel elles sont destinées dès leur naissance. Le mariage forcé est une incitation au suicide de plus en plus répandu chez les jeunes femmes des pays du Moyen-Orient, y compris au Kurdistan de Turquie. À Batman, par exemple, on note un nombre anormalement élevé de tentatives de suicide".
Quelle est votre méthode pour lutter efficacement contre cet esclavagisme moderne ?
"Par l'éducation. Nous nous formons nous-mêmes en faisant appel à l'Histoire, l'histoire des femmes ayant été, les premières, victimes de mesures discriminatoires. Nous avons choisi d'analyser leur vécu afin de trouver des issues et des outils en vue de l'émancipation des femmes et des enfants d'aujourd'hui. Nous avons ensuite lancé des campagnes d'information".
"La Femme c'est la Vie, ne tuez pas la vie", en 2007, "Notre honneur et notre liberté", en 2008, visant à dénoncer les crimes d'honneur, "Défendre son corps et son identité", en 2010 et, depuis le 8 mars 2011, "Féminicide".
"Notre méthode, éducative avant tout, consiste à sensibiliser en premier lieu les familles, dans une approche non sexiste, avec des arguments basés sur la confiance".
Pour quels résultats concrets ?
"Nous avons créé des assemblées et des associations de femmes, des plateformes où les femmes peuvent se retrouver afin de partager leurs expériences de vie, et de trouver ensemble des moyens pour lutter contre la violence qu'elles subissent, qu'elles soient étatiques, domestiques ou morales. Et ce en partenariat avec des organisations locales. Notre combat est aussi celui de lutter contre toutes les politiques d'assimilation et de défendre notre identité kurde. Les femmes kurdes sont aussi présentes au sein des pouvoirs locaux et travaillent à la création de « Maisons de la vie ». Il existe actuellement en Turquie neuf « Maisons de la vie".
Dans le mémorandum présenté à la Grande Assemblée de Turquie (parlement turc) pour "une solution à la question kurde et une stabilité durable en Turquie" le parti pro-kurde BDP (Parti pour la Paix et la Démocratie) affirme avec force la place de la femme au sein de la société qu'il préconise : "un processus de paix sans la participation des femmes réduirait les chances du processus de paix et de négociations". La représentation des femmes dans le processus de paix doit être garantie. Il estime urgent d'assurer et de promouvoir l'égalité des genres dans tous les domaines, y compris les domaines politique, économique. Il préconise une nouvelle constitution basée sur une culture de la paix, consolidant la volonté de coexister, éliminant toutes formes de discrimination y compris sexuelles. Le BDP exige un quota de femmes dans toutes activités politiques et culturelles, sans compter les organisations exclusivement féminines très actives dans la vie quotidienne. Dans la campagne électorale que le BDP mène en vue des élections locales, il est, en Turquie, le seul parti politique à présenter un grand nombre de femmes au poste de maire. Parmi les candidats présentés par le BDP, 44,5% sont des femmes contre 4,16% au CHP, 1,23% à l'AKP et 1,12% au MHP. Le BDP annonce que toutes les mairies « BDP » seront, après le 30 mars, co-présidées par une femme et un homme, malgré les difficultés au regard du code des collectivités locales.
"Concernant les femmes kurdes de Syrie", dit encore Nursel Kilic, "elles s'organisent au Kurdistan occidental (Rojava) et, aujourd'hui, quartier par quartier, se créent des associations éducatives et sociales pour veiller au développement et à la sécurité des enfants dans ce pays aux prises avec une guerre qui perdure depuis 3 ans. Ces femmes, parce qu'elles sont kurdes, sont victimes et des forces du régime de Bachar el Assad et des djihadistes. Les femmes kurdes du Rojava se sont mobilisées avec les femmes arabes, turkmènes, assyriennes et alévies pour ½uvrer à des solutions politiques et sociales collectives pour l'émancipation des femmes. Ces femmes sont la force motrice de la révolution et les architectes d'un système démocratique purifié de toutes approches patriarcales".
Les femmes kurdes du Rojava sont pleinement engagées et sont l'un des piliers du système appelé "autonomie démocratique du Kurdistan syrien". Elles ont eu accès à tous les niveaux de l'administration autonome, formée de trois cantons. C'est une révolution dans la révolution.
André Métayer