L'étang du Roual, à 4 km au sud-ouest de Landerneau est un site remarquable; en faire le tour réserve des surprises.
En effet, non loin de Dirinon, dans le bois du Roual, à 500m à l'est du château de Lesquivit, se trouve un chemin superbement ombragé qui file au nord puis rejoint une route communale au bout d'un kilomètre. Ce chemin, voie antique sans doute, qui reliait Morlaix à Quimper en suivant les fonds de rias, est encore dessiné sur la carte de Cassini du 18e; (note 5) et sur la carte d'état-major de 1820-1866 (ref 1). Une route ponctuée de calvaires, en lieu et place de bornes milliaires (tous les 1460 mètres) ou d'anciens oratoires ? On remarque les vestiges de cette voie dès avant Kermelenec, jusqu'à Mont dragon; au sud, elle rejoint Daoulas par la rue de Goarem Bian.
A gauche de ce chemin se voient de spectaculaires talus en gradins (photos) qui sont en réalité les ruines d'une enceinte constituée de remparts multiples, encore impressionnante malgré plus de 2000 ans d'âge !
Si l'on pénètre dans ce fort de terre protohistorique (âge des métaux), mais qui fut sans doute occupé par les Osismes jusqu'à l'occupation romaine, il faut tout d'abord franchir au moins trois talus très marqués, pour parvenir sur une aire oblongue, d'une étendue approximative d'un hectare. Cette aire plate n'a pas l'élévation caractéristique d'une motte féodale. Cette surface modeste, comparée aux sites célèbres de Murcens (150 ha), Bibracte (135 ha) et même du camp d'Artus (note 4) à Huelgoat (36 ha), indique que ce fort n'est peut-être qu'un réduit, comme il s'en trouve au camp d'Artus, car avant d'y accéder, l'on remarque un peu au sud, un rempart de terre et un fossé de belle ampleur qui semble en défendre les abords. Il se peut donc qu'il s'agisse d'une petite place ou castellum, selon la terminologie de César lui-même.
Du reste, avec une régularité étonnante, en Finistère et ailleurs, revient ce terme de castel qui pouvait indiquer un ouvrage du moyen-âge. En réalité il signale presque à tout coup un "château" ou castellum/castrum antique, par exemple : Castel-Coz à Beuzec-Cap-Sizun, Castel Meur à Cleden-Cap-Sizun; Vieux Château à Sauzon, Pen Château au Pouliguen, Castel Ker à Saint-Avé, Menei Castel à Pont-Croix, le Castellic à Dirinon, Beg-ar-Castel à Ergué-Armel, Kercaradec à Penhars (trois remparts avec fossés), Castel Doun (Dun sans doute) à Sizun, Pencastel à Arzon, Castel Finans à Saint Aignan, Castennec à Bieuzy, etc). On trouve de même les dénominations : Camp de César ou d'Artus (Arthur). Par conséquent un Koz Castel, tel qu'il s'en trouve à 4 km au sud de Sizun, peut signifier qu'il y a là un site archéologique; la photographie aérienne (Géoportail) montre en effet les traces d'une enceinte ou d'un talus circulaire …
Autour de Dirinon, des toponymes semblent indiquer une présence gallo-romaine : Kermélénec, "ville jaune (brique)", voir Pont Mel Coz entre Irvillac et Saint Urbain, sur une voie antique délaissée, la Croix Rouge, Rest ar Chi Du (note 2) au sud de Dirinon, Mont Dragon. M'interrogeant sur l'ancienneté et la signification de ce nom (Mont Dragon) que l'on ne retrouve pas sur les cartes anciennes, je trouve une croix dite "Croas-ar-Romaned ou Croix-de-Mondragon", située à Pen ar Lan, je n'aurais pas osé l'inventer ! Car Dragon, si tant est que le nom soit ancien, ce que laisse supposer la croix susdite, fait référence au Draco romain, enseigne de la cavalerie, ornée d'une tête de dragon, qui fut introduit dès l'origine en Britannia (note 3).
Dans cette commune, non loin du château de Joyeuse Garde, ou garde de Jovis (gallo-romaine), il se trouve pas moins de trois enceintes fortifiées; l'une d'elles rectangulaire et baptisée camp romain dans le parc de Créac'h ar Roual; une autre circulaire au Castellic (20 ares) de Brenot (Goarem ar C'hastel), une troisième oblongue, le Parc ar Roué dans le bois de Lesquivit. Par ailleurs on y trouve des tumulus dans la montagne dite Goré-Ménez, à Quistillic, sur les terres de Trébéolin, un camp retranché, dans un taillis au Sud de Kernoter, une Motte, à l'angle nord ouest du bois du Roual (ref 3).
En 1957, Sir Mortimer Wheeler écrivit un mémoire qui fit date sur les fortifications antique, dans Hill-Forts of Northern France, Les forts de collines de la France du Nord. Paul-Marie Duval (note 1) écrit : "Il s'attaqua en 1935 aux enceintes préromaines de la Grande-Bretagne méridionale et, après avoir exploré celle de Maiden Castle, d'un type particulier fait de remparts multiples protégeant une position dominante, il formula l'hypothèse que ce système de défense, représenté dans le Dorsetshire et le Cornwall, devait avoir son origine sur le continent gaulois : les rapports étroits des peuples maritimes de la Gaule avec ceux de la Bretagne à l'époque protohistorique, les liens resserrés par la résistance commune à l'invasion romaine, l'exil possible des Vénètes en Cornouailles après la catastrophe de 56, suggéraient (pour ces forts), le type Vénète à défenses multiples ... les étroites relations des Vénètes avec les Brittons du Cornwall sont illustrées par les fortifications-s½urs construites, peut-être par leurs agents et leurs réfugiés, chez leurs alliés, sur cette côte sud-occidentale de la grande île ... ces enceintes (Vénètes) sont petites et certaines d'entre elles sont caractérisées par les remparts multiples barrant à sa base la langue de terre, généralement trois murailles accompagnées de fossés, précédées parfois d'autres lignes vers l'extérieur … les Veneti … avaient avec leurs voisins, les Namnetes et les Osismi, un système de défense commun"
Nos campagnes regorgent de milliers de sites néolithiques, gaulois/celtiques puis gallo-romains, avec notamment : tumulus (néolithique), oppidum, fermes fortifiées, souterrains et voies antiques, sans parler des mottes féodales postérieures. Malgré les apparences, les peuples qui bâtirent ces ouvrages ne sont pas si lointains, et sont, à bien des égards, nos ancêtres. Il serait utile de permettre au grand public de connaître ce passé, cet art gaulois merveilleux (note 6); en refaisant un vaisseau vénète, que César décrivit en détail, et qui, plus que le drakkar viking, est l'ancêtre de nos bateaux traditionnels; en rénovant un des nombreux forts du Finistère, en restaurant les murus gallicus, en relevant ces cabanes, en les meublant de cette profusion d'objets archéologiques qui gisent dans les caves de Saint-Germain-en-Laye …
Notes
1. Paul-Marie Duval, Une enquête sur les enceintes gauloises de l'Ouest et du Nord. In: Gallia, tome 17, fascicule 1, 1959. pp. 37-62. On y parle notamment du Castellic de Brenot à Dirinon
2. Voir mon article : "Le chien noir, de l'Egypte à la Bretagne armorique" sur ABP
3. Ce qui a donné Dragons (soldats). Voir Wikipedia; Uther Pendragon, (tête de Dragon) père d'Arthur, doit sans doute son nom à cette enseigne
4. Le Camp d'Artus (Finistère) comporte une division intérieure de 4 hectares. Il fut occupé peu de temps par les Osismi en 56. A Senlis (Oise) dans la forêt d'Halatte, au nord d'Aumont en Halatte, existe un "clos d'Arthus"; en montant vers le plateau, on rencontre une ligne défensive qui suggère que ce nom d'Arthus n'est pas fantaisiste mais antique.
5. la D770 n'existait pas encore
6. voir le casque d'Amfreville
Références
1. Geoportail
2. www.Dirinon.fr
3. www.Infobretagne.com
4. La Bretagne romaine, Louis Pape
5. Les anciens Bretons, Patrick Galliou, Michael Jones
6. Manuel pour servir à l'étude de l'Antiquité Celtique, George Dottin
7. Bulletin Société archéologique du Finistère, tome XCIV, 1968, René Sanquer, Dirinon: Brenaot, le Roual, Coat-ar-c'hastel
8 Protohistoire de la Bretagne, Pierre-Roland Giot, Louis Pape et Jacques Briard ; Rennes, éd. Ouest-France, 1979.