Le 3 juillet 2017 le Président Macron s'adressait aux députés et aux sénateurs réunis en Congrès pour leur présenter un vaste tableau des réformes destinées à "une transformation profonde du pays" pour sortir de 30 ans de gestion immobiliste. On avait cru comprendre que cette politique s'inspirerait de la tradition girondine, en rupture avec la gestion centralisatrice et jacobine pratiquée jusque là. Les élections législatives de juin 2017 lui avaient amené une très confortable majorité de députés, pour leur grande part issus de la société civile. Les partis traditionnels se voyant marginalisés et ringardisés.
Un an plus tard, qu'en est-il de cette réforme qui se voulait flamboyante et porteuse d'un "pacte girondin" ? Une série de lois ont certes été réalisées à marche forcée avec des méthodes rappelant plutôt le bonapartisme : révision du code du travail, fin du feuilleton de NDDL, changement de statut de la SNCF en dépit de l'opposition des syndicats… Bref, partout "Jupiter" a semblé triompher, au grand dam d'une opposition Mélenchoniste occupée à des combats d'arrière-garde et d'une droite avançant comme un canard sans tête.
Le président français a aussi voulu frapper un grand coup sur le plan international en sur-jouant une grande proximité avec le président des Etats-Unis. En Europe, il a voulu ravir la notoriété à la chancelière allemande en présentant un plan d'investissement de 10 milliards et a prétendu faire la leçon à l'Italie et à certains dirigeants d'Europe centrale. La brutalité et le cynisme qui sont la seule règle de conduite de Trump, le refus de l'Allemagne épaulée par d'autres pays européens, comme la Hollande, de participer à ce plan de 10 milliards et la crise migratoire qui vient de faire basculer l’Europe vers une politique beaucoup plus restrictive sous la nouvelle présidence d'un encore plus "jeune et dynamique" chancelier autrichien, viennent de mettre un frein notable aux ambitions d'un Macron stigmatisé, à tort ou non, comme "Président des riches". Sans compter avec l’enlisement, plus ou moins occulté, des forces armées engagées dans l'opération Barkhane pour combattre le djihadisme au Sahel.
L'ambition budgétaire du Président à limiter le déficit annuel à moins de 3% a entraîné un conflit avec les représentants des corps intermédiaires qui lui reprochent de rogner autoritairement sur leurs dépenses tout en augmentant celles de l'Etat central. Les 300 000 € du congrès 2018 à Versailles auxquels s'ajoute le projet d’une piscine somptuaire au fort de Brégançon n'ont fait que conforter ces reproches de gestion monarchique et jacobine. Ce conflit aigu s'est traduit par le boycott de la Conférence des Territoires du 12 juillet par le Président de l'Association des maires de France, le Président des Régions et celui des Départements. Cette conférence avait pourtant été prévue sous la forme d'une grande messe républicaine où serait annoncé ce "pacte girondin" promis par "Jupiter". Le journal Le Télégramme, pourtant si coutumier de présenter à son public de façon lénifiante les faits et gestes de l'hôte de l'Elysée, s'en émeut dans son édition du 13 juillet. Une pierre supplémentaire à l'image d'un Président des métropoles, ne s'adressant qu'aux premiers de cordée, adepte d'une recentralisation monarchique non assumée.
Quant aux manières dont sont traités les "territoires" à forte identité -Alsace, Bretagne, Corse, Pays Basque… – on a pu constater très vite le retour "aux mauvaises habitudes", pourtant dénoncées par ce même Emmanuel. Sans parler de l'épineuse question du référendum à l'automne prochain sur l'avenir de la Nouvelle Calédonie, du statut de Mayotte, de la problématique Guyanaise et des Iles Caraïbes. En se limitant aux quatre premières mentionnées, on pourrait logiquement penser que leur sort s'inscrira dans ce qui était présenté il y a un an comme un ambitieux projet de révision constitutionnelle. Le discours du 9 juillet dernier ne nous a rien dévoilé et il faudra attendre l'automne pour que le Parlement s'empare du sujet.
Mais les mois écoulés nous font déjà soupçonner que ce calendrier volontariste fera "Pchsssitt" ! La Corse devra se contenter de voir son nom inscrit dans la nouvelle loi, sans que l'on exclue quelques compensations financières discrètement négociées entre les parties. Paris vise en fait à une rupture de l'alliance entre le courant indépendantiste présidé par Alfonsi et le courant autonomiste de Simeoni, quitte à se préparer à une reprise des actes de violence. Pour L'Alsace, la fermeté des élus alsaciens, qui sans ambages ont déclaré ne pas vouloir enterrer le nom le leur territoire en se constituant en Assemblée d'Alsace Unique, a obligé le Président à transiger en acceptant ce choix, en contrepartie du maintien de la région "Grand Est". Pour les Basques, les réalités existantes, à savoir la domination économique et l'attractivité culturelle de l’Euskal Herria sud conforté par le pôle Bilbao-Bayona, font déjà partie du vécu quotidien. Bordeaux, tout occupé à son rôle de métropole de la Grande Aquitaine, va accroître son influence vers le nord et le nord-est, enrichie par une population venue de Paris désormais relié à 2 heures de TGV. On laissera donc les Basques cultiver discrètement leur singularité, les apparences étant sauves avec le maintien du département Pyrénées-Atlantiques et en s'empressant d'oublier que la tentative de constitution d'une entité basco-béarnaise a fait long-feu.
C'est en même temps le ventre mou et le pôle imprévisible de la résistance antijacobine où persiste un courant de pensée politique "déviant", multiforme, kaléidoscopique, potentiellement dangereux aux yeux de l'univers mental politique français. Dangereux aussi par son poids démographique et économique lui conférant un potentiel capable de hisser la "vieille rebelle" au niveau d'autres régions ou même d'Etats européens. La flambée des Bonnets rouges a laissé de mauvais souvenirs dans les cabinets ministériels et l'énarchie parisienne. D'un autre côté, on fait avec délice le constat que cette fois-ci aucun "baron breton d'envergure" ne siège au haut niveau de l'Etat, et ce n'est pas "l’appliqué" Jean Yves qui va troubler le bon déroulement des séances du Conseil des ministres.
"Ventre mou" parce que doté d'une classe politique en grande majorité moutonnière et légitimiste se contentant d'annonces vagues et de paroles gratifiantes distribuées d'en haut par une main présidentielle toute puissante comme l'octroi de quelques millions pour la réalisation d'un axe central en chantier depuis 20 ans alors que dans le même temps 37 milliards vont au Grand Paris. Ou encore dans ce même discours à Kemper déclarer son intérêt pour les langues "régionales" parce qu'elles confortent l'attachement des populations locales à leurs territoires et en même temps qualifier de "sujet dépassé" la légitime revendication pour une Bretagne intégrale.
"Ventre mou" parce que les différentes forces et courants politiques, non hexagonaux, qui l'habitent sont divisés et brouillons, incapables à ce jour de s'unir sur une plateforme d'actions commune leur permettant d'atteindre les 5% indispensables pour commencer à compter sur la scène politique. A ce constat s'ajoute la problématique d'un pôle culturel riche, actif et diversifié qui prétend à jouer le rôle des politiques. Un réseau télévisé régional anémique continue à abreuver ses téléspectateurs de programmes insignifiants loin des productions de niveau international présentées par BBC Cymru, Spedvareg, Euskal TV ou encore la TV catalane.
"Pole imprévisible" parce que viennent de surgir 15 jeunes récalcitrants qui prétendent passer leur Bac dans la langue où ils ont poursuivis leurs études pendant 6 ans. 15 récalcitrants qui osent braver le dictat du recteur d'une Académie où cette langue compte encore 250 000 locuteurs ! Et scandale supplémentaire, ils trouvent des professeurs qui défient leur ministère en corrigeant leurs copies !
"Pôle imprévisible" parce que c'est dans cette péninsule qu'est née, il y a 40 ans, une structure appelée Diwan pour pallier, au prix d'efforts incessants, à l'absence d'enseignement par l'Etat de la seule langue celtique parlée sur le continent européen.
"Pôle imprévisible" encore où un trublion incarné par un collectif activiste linguistique passe à l'action dans la signalétique officielle et contrecarre les décisions technocratiques.
"Pôle imprévisible" où des partis politiques osent proposer une gouvernance fédéraliste de leur territoire, plus proche et plus soucieuse du quotidien du citoyen.
"Imprévisible" toujours où un gentil nourrisson se voit refuser un passeport sous prétexte que son nom comporte un signe diacritique non reconnu par une simple circulaire de cet Etat français alors que dans le même temps un directeur du renseignement intérieur porte un nom affublé de ce même signe diacritique !
Donc pour ce qui concerne la Bretagne, la messe a déjà été dite. Sous la Macronie jupitérienne, elle ne retrouvera pas son intégralité territoriale, sa langue sera toujours sournoisement combattue, ses moyens financiers rognés au plus juste, son PIB la placera au 10e rang sur 13 régions, elle recevra sans sourciller "les p'tites parisiennes en short pour y danser la Gavotte", hébergera gracieusement la force navale atomique française et cessera de rêver à une quelconque forme de résurrection et de maîtrise de son avenir. L'un des barons(1) de la Macronie nous a d'ailleurs prévenus quant au contenu du nouveau projet de loi organique : "Il n'est pas question de partir dans une reconnaissance hypothétique des peuples de France qui viendrait fragiliser notre édifice républicain". Fermez le ban !
Alors "Bretons imprévisibles" mettez-vous vous aussi en marche et cessez de courber l'échine !
Jean-Louis Le Mee.
(1) Richard FERRAND, président du groupe LREM, élu de la circonscription de... Carhaix-Châteaulin.