Vues de Bretagne, les diverses célébrations autour d'un personnage qu'on s'évertue en haut lieu à présenter comme un emblème du «roman national» ne nous font pas oublier que le ressenti, ici, est pour le moins contrasté.
D'abord Bonaparte, premier consul, c'est l'amorce du despotisme absolu avec le rétablissement de l'esclavage dans les îles à sucre (1802), la capture du père de l'indépendance haïtienne, le général noir Toussaint Louverture, son débarquement à Brest (13/08/1802) et sa mort à petit feu dans le glacial fort de Joux (07/04/1803).
C'est la traque impitoyable de la chouannerie, suite à l'attentat de la rue Sainte Nicaise, le face-à-face avec son leader emblématique Georges Cadoudal et l'exécution de ce dernier avec ses compagnons de lutte (25/06/1804). Cette fois-là le tyran avait tremblé.
C'est ensuite Napoléon qui supprime la liberté de la presse par un trait de plume, crée le seul journal officiel (Le Moniteur), crée une police politique, redoutable ancêtre des «services actuels».
C'est le maillage du territoire avec les lycées (établissements militaires) et les préfets encore si utiles pour l'exercice de la verticalité macronienne.
C'est l'anéantissement du commerce maritime breton, pour cause de blocus, privé de ses clients de la péninsule ibérique et d'outre-manche.
Pontivy rebaptisé Napoléonville, la bourgade marchande des Rohan s'est vu imposer une immense caserne et une prison avec pour seul objectif mâter "la vieille rebelle"(Victor Hugo).
Quant au canal (décret impérial de septembre 1811), il reprenait des projets antérieurs et sa fonction première devenait militaire : tenter de relier Nantes et Brest et pallier ainsi au blocage des côtes par la redoutable Navy.
Si bagnards, familles paysannes réquisitionnées et prisonniers de la guerre d'Espagne furent les premiers à y creuser leurs tombes, ce n'est qu'en 1842 que l'on inaugura ce titanesque chantier.
C'est aussi le délabrement de l'ex-Royale, faute d'encadrement et d'effectifs compétents, qui entraîne les désastres d'Aboukir, Trafalgar (21/10/1805), du cap Ortegal (3/11/1805), de Cadix (14/06/1808) après Saint Domingue (6/02/1806). Pour la période et l'Empire, les sommes consacrées à la «marine napoléonienne» représentent 37% de celles consacrées à la Navy.
Napoléon, c'est encore la conscription pour servir de chair à canon sur les champs de bataille européens et son corollaire : la multiplication des jeunes réfractaires dans les campagnes bretonnes dont les caches devaient pour beaucoup encore servir à leurs descendants lors du conflit de 39-45.
Napoléon toujours, c'est l'anéantissement du Cadoudal tyrolien, l'aubergiste Andreas Hoffer héros populaire et combattant de la liberté avec ses milliers de paysans-montagnards qui avaient eu l'audace de défendre leur pays (1809).
Mais on ne saurait conclure sur notre «grand homme» sans aussi dévoiler son machisme imposant l'exil à une des femmes les plus brillantes de son temps au prétexte qu'elle avait «la tête politique» et s'opposait à la tyrannie d'un seul. Et en plus aux dires du «grand homme», elle avait le tort d'être laide. Son nom : Madame de Staël.
Nous, Bretons, nous nous arrêterons là : on a «les personnages de roman» à son image.
Tiern e peb Amzer