Une unité combattante du PKK contrôlant la région de Tunceli (en kurde Dersim) avait des questions à poser à Hüseyin Aygün, Kurde alévi, député de Tunceli élu sur la liste du parti nationaliste CHP [1]. En l'arrêtant le 12 août dernier, elle voulait aussi faire savoir que le PKK était en train de changer de stratégie, passant du harcèlement de guérilla à la guerre de moyenne intensité avec occupation du terrain, à l'exception des centres urbains, et contrôle des axes de communications.
L'adhésion d'Hüseyin Aygün, défenseur des droits de l'homme et du zazaki, la langue des Kurdes de Dersim, à un parti comme le CHP, interroge et agace. N'a-t-il pas fait aussi des déclarations fracassantes au sujet des massacres de Dersim [2] ? Hüseyin Aygün a donc été interpellé à un check-point et contraint de suivre ces combattants, jeunes pour la plupart.
"Le groupe qui nous a barré la route me connaissait. Je n'ai subi aucune violence. On ne m'a pas visé avec une arme. Nous avons marché pendant six à sept heures"
et d'ajouter, non sans humour : "les montagnes de Dersim m'avaient manqué, mais... Personne ne doit aller dans les montagnes"(c'est-à-dire rejoindre la guérilla).
Hüseyin Aygün dédramatise l'incident
Hüseyin Aygün a tenu, dès sa remise en liberté, à dédramatiser l'incident en insistant sur sa dimension politique. Visiblement il connaissant les jeunes qui ont pris les armes :
"les jeunes amis auteurs de cette action sont des enfants de ce pays. Ils ont dit qu'à travers cette action, ils voulaient transmettre un message de paix et un appel pour un cessez-le feu".
Pour autant, on devine que les échanges verbaux furent rudes et sans concessions :
"je leur ai dit que le fait d'enlever une personne sans défense qui se promène dans les montagnes et les vallées de Dersim est contraire à la volonté de la population de Dersim. J'ai indiqué que j'étais fier d'être député du nouveau CHP à Dersim. Je n'ai pas été menacé. Ils ont dit qu'ils attendaient du CHP et des autres partis politiques qu'ils fassent plus d'efforts pour arrêter l'effusion du sang. Ils m'ont demandé d'agir davantage au sein du parlement pour négocier un cessez-le feu".
Cette interpellation, parfaitement maitrisée mais réprouvée par tous, comportait des risques de dérapages et de "coups tordus" que d'aucuns avaient déjà anticipés : "ce rapt montre quel genre d'organisation est le PKK", a commenté le Premier ministre en annonçant "la traque des terroristes".
"N'oublie pas tes amis qui sont ici" m'ont-ils dit en m'embrassant.
H. Aygün n'a pas manqué de remercier tous ceux qui s'étaient manifestés pour hâter sa libération :
"je pense que les nombreuses réactions des organisations alévies, du CHP et de la population de Dersim ont contribué à abréger ma détention. Cette action avait pour but de transmettre à Ankara un message pour une paix négociée. Lorsque nous nous sommes réveillés le matin, Dr Bahoz Erdal [commandant en chef des HPG, branche armée du PKK] a appelé pour se faire confirmer l'information. Il a expressément demandé que ma sécurité soit assurée et ordonné ma libération [3].
"Ils m'ont dit au revoir en indiquant que leur action avait atteint son objectif. 'N'oublie pas tes amis qui sont ici' m'ont-ils dit en m'embrassant. A mon tour, je leur ai promis de travailler pour la paix".
Hüseyin Aygün a, une fois encore, surpris et agacé : il est convoqué par le CHP.
André Métayer
[1] Cumhurriyet Halk Partisi - Parti Républicain du Peuple - Parti fondé par Atatürk censé être de gauche mais finalement conservateur, chauvin et très nationaliste.
[2] Les massacres de Dersim ont fait, en 1937 et 1938, plusieurs dizaines de milliers de victimes (40 à 80 000 selon les sources) et noyé dans le sang ce foyer de résistance kurde. Hüseyin Aygün a déclaré qu'Atatürk en personne et le CHP, son propre parti, en portaient la responsabilité.
[3] Le BDP avait également envoyé sur place des représentants