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- Chronique -
Tri Yann : "La Belle enchantée"
Nous, on le sait… on veut le dire aux gens, donc on le raconte ! C’est avec sa coutumière et inébranlable verve persuasive, qu’au cours d’une interview, le convaincu Jean-Louis Jossic
Par Gérard Simon pour Culture et Celtie le 22/05/16 9:18
Faraway from Skye

« Nous, on le sait… on veut le dire aux gens, donc on le raconte ! » .

C’est avec sa coutumière et inébranlable verve persuasive, qu’au cours d’une interview, le convaincu et convainquant Jean-Louis Jossic, prononce ces mots.

Effectivement, sur ce nouveau disque, les Trois Jean vont nous en raconter, nous en conter, des histoires, des légendes qui puisent, dans leur passé, leur présent, mélangeant à souhait tradition et modernité, parfois même, par de furtives et espiègles allusions, jadis et actualité !

Voici, donc, dans le contexte d’un légendaire prospectif du XXIe siècle, le 22e album, sixième en studio, de Tri Yann : « La Belle enchantée » !

Au cours d’un récent entretien accordé à une radio diffusant sur Internet, Jean Chocun précisait, qu’à l’origine du projet, l’album et la chanson qui donne son nom à celui-ci, devaient être intitulés : « La femme squelette » .

Mais….. « Comme titre d’un disque, ça risquait d’être, un petit peu triste, ça faisait, anorexie, maladie grave, on est revenu en arrière, on a débaptisé “la femme squelette”, à la fois, la chanson et le titre de l’album » .

« La Belle enchantée » , ce sont 12 titres + 1 bonus, 11 compositions signées, collectivement, du nom du groupe, dont 1 instrumental. Plus de 50 minutes de légendes, de textes chantés, tour à tour, en anglais, en français, en breton et en gallo, d’une mosaïque sonore, baroque, folk, celtique, rock ; électro bien maîtrisée, d’une modernité introduite avec circonspection n’altérant, pas le moins du monde, « l’horloge vocale » bien reconnaissable qui, notamment, au fil du temps, a fait la renommée du groupe breton qui a conservé ses 3 membres fondateurs nantais.

Pour cet opus, autour des célèbres 3 Jean, Jean Chocun, Jean-Paul Corbineau, Jean-Louis Jossic, nous retrouvons les talents connus et familiers du « périmètre Tri Yann » : Gérard Goron, Jean-Luc Chevalier, Konan Mevel, Frédéric Bourgeois et Christophe Peloil.

Il faut y ajouter Pascal Mandin, l’ingénieur du son du studio Marzelle (Savenay 44-Bzh).

A ce propos, sur son site officiel, le groupe précise :

« “La Belle enchantée” est une véritable création à 8 + 1 puisque nous comptons, pour sa part créative, Pascal, notre ingénieur du son, lui aussi musicien. Une nouveauté que nous sommes tous heureux de signer, collectivement, Tri Yann, chacun y ayant apporté ce qu'il sait le mieux faire » .

A ce « noyau dur » , sus-mentionné, viennent s’ajouter des invités, faisons moderne, pratiquons l’anglicisme… des « guests !» . Nous y reviendrons, plus loin.

Depuis le 15 avril, date de parution de cet album, s’agissant de Tri Yann et de sa solide notoriété bretonne, hexagonale et internationale, beaucoup d’articles ont été écrits, originellement, ou à grands coups de « copier/coller » , au sujet de cette nouvelle création. Inutile, donc, pour nous, d’être récurrents, voire redondants.

Sans avoir l’outrecuidance de se prétendre originaux, d’autant que nous sommes, sans aucun doute, très loin d’avoir tout lu sur le sujet, nous allons essayer d’être, simplement, en recherchant une éventuelle valeur ajoutée, les passeurs de ce CD que nous avons trouvé intéressant, éclectique, très divers, mais, finalement homogène, notamment grâce à la valorisation constante des voix qui, au-delà de l’identité que nous mettions en exergue, plus haut, créent, en fait, le fil conducteur qui lie les plages de cet album apparaissant, à nos yeux, plutôt à nos oreilles, comme l’un des plus aboutis du célèbre trio vocal et musical breton.

Inséré, dans l’élégante jaquette, organisée en triptyque et illustrée, au recto, par une reproduction de « La Conception » de Georges Lacombe (musée des Beaux-Arts de Quimper), le livret apparaît comme un grand plus pour découvrir le substantiel textuel et intentionnel de l’album.

Il apporte, bien sûr, aux non-locuteurs, les traductions des textes écrits en breton et des éclaircissements syntaxiques et significatifs sur certaines tournures ancestrales, mais aussi, pour chaque chanson, un texte introductif, plus ou moins volumineux, qui précise le contexte historique, culturel ou « l’angle d’attaque prémédité » des créations du groupe.

Cette sobre brochure d’une quinzaine de pages, illustrée en son cœur, par une reproduction de « La Veillée » d’Olivier Perrin (début du XIXe siècle) est bien utile à l’auditeur, afin, qu’au-delà des mélodies, il pénètre mieux la quintessence de l’ouvrage. Ce CD est, certes, composé, mais, également… écrit.

Tous les titres de l’album, nous disons bien, tous les titres, sont intéressants, par leur contenu ou par leur contenant, très souvent, par les deux.

Côté chant, une mention spéciale pour la fameuse, l’enjôleuse, chaleureuse voix de Jean-Paul Corbineau qui, depuis toujours, « marqueur tonal » du groupe, semble, chaque année, comme un excellent cru de garde, prendre nuance dans la gamme de ses puissants arômes initiaux !

Elle s’illustre, particulièrement, dans « L’Ankou, la liberté et le ménétrier » , devient plus feutrée, dans « Les six couleurs du monde » , voire, plus retenue, dans « La Belle enchantée » , ou dans la nuance de l’interprétation narrative pour « La bayadère et le roi » .

Nous avons été, immédiatement, séduits par le premier titre du programme, « Far away from Skye » , qui est une belle invitation au voyage vers les contes de Bretagne et de la vaste Celtie qui vont suivre.

Ce morceau, très entraînant, efficacement ponctué par la batterie de Gérard Goron est très bien choisi pour annoncer la couleur plus prospective, plus électro, que le groupe, souhaite, aussi, aborder dans son CD.

A noter l’intervention d’une basse, bien « grasse » , comme nous l’aimons, générant une belle « harmonique » avec la cornemuse de Konan Mevel.

Nous ne ferons pas, ci-après, l’inventaire complet des très nombreux et divers paysages sonores et narratifs que Tri Yann nous propose, mais nous soulignerons, entre autres, quelques plages qui nous ont, particulièrement, accroché.

« Sant Efflamm hag ar roue Arzur » (Le combat d’Arthur contre le dragon), extrait revisité d’un chant consigné dans le Barzaz Breiz. Parmi les 37 couplets, Tri Yann a retenu les passages profanes… mais sur une magnifique mélodie quasi liturgique où s’illustrent vocalement, entrelacées dans les voix « triyannesques » , les invitées Kohann et Clarisse Lavanant. En soliste, l’excellent talabarder, Vincent Beliard, conclut la pièce en « bombarde et orgue » . A noter que ce morceau, chanté en breton (plage 4), fait l’objet d’une fidèle adaptation en français, pour le bonus de la plage 13.

Après cette ample et « pompeuse » séquence suit, en total contraste, un rond de Loudéac qui, à notre humble avis, sera l’un des points d’orgue de la prestation scénique qui découlera de la sortie de cet album.

« La Bonne fam au courti » est un conte rural, d’inspiration gallo, décrivant un homme qui descend dans sa cave pour y remonter, plus tard, sous les vifs reproches de sa femme, dans un état d’ébriété très avancée.

Les voix de Jean-Paul et Jean-Louis, se répondent magnifiquement, presque obsessionnellement, sur une programmation électro du meilleur goût. Les riffs de guitare appuyés, mais, toutefois, bien contrôlés de Jean-Luc Chevalier apportent à ce titre un « côté vitrine rock » , largement repris, çà et là, pour la promotion de l’album, notamment dans le clip signé de Konan Mevel.

Nous avons bien aimé la petite astuce rythmique qui intervient à la reprise du refrain suivant la description de la lividité du buveur… sans doute, son trébuchement dans sa remontée de l’escalier de la cave !

Nous avons, aussi, très largement apprécié, « The velvet otter » (La loutre de velours), l’unique instrumental qui figure, à mi-parcours de cette légendaire randonnée, comme une pause salvatrice, après un, déjà fort dense, parcours.

Sur une programmation électro, la flûte de Konan Mevel, la limpide harpe celtique de l’invitée guérandaise, « extraite » de son trio formé avec ses 2 sœurs, Amandine Alcon, bientôt suivie de l’ensorceleur violon de Christophe Peloil, s’élèvent, voluptueusement, en sphères celtiques.

En aval de son texte de présentation qui dénonce, clairement et concrètement, la politique contemporaine du transport ferroviaire, ne pas manquer, l’hanter-dro, « Le bal des morts-vivants » .

Depuis les dernières décennies, de nombreuses gares ferment. C’était déjà le cas au lendemain de la seconde guerre mondiale, pour la gare morbihannaise de Lamberl-Camors.

Dans le faisceau légendaire retenu pour l’album, Tri Yann nous conte que, dans les années qui ont suivi cette fermeture, certaines nuits de tempête, les ombres d’anciens passagers sont venues danser au son du biniou, du violon et de l’accordéon.

Dans cette imaginaire assemblée festive nocturne, on distingue, une sirène de Belle-Île, le jour, tueuse d’amants, la nuit, le squelette décharné d’un vieux capitaine, bien lourdement décoré, un moine enrobé qui prônait misère, mais vivait dans la luxure et qui, de ce fait, grille, depuis, en enfer.

Mais viennent s’adjoindre à ces voyageurs d’antan, des silhouettes plus contemporaines, comme un brigand et sa bande, un marchand de Rafales, un promoteur véreux, le maire de Levallois, deux ou trois chiens galeux et quelques trafiquants… suivez le regard malicieux des artistes !

Au début, instrumenté de façon assez classique, le morceau s’enrichit, peu à peu, d’une ornementation électro, rejointe par la guitare modérément échevelée de Jean-Luc Chevalier. Mais l’on quitte ce titre en retenant la saveur des jeux vocaux qui, au lieu d’être annihilés par un tel dispositif sonore, sont, au contraire valorisés, ce qui semble être pour le groupe, une préoccupation constante, dont nous nous réjouissons.

Nous terminerons, non pas cette sélection mais, plutôt, cette extraction issue d’un total intérêt pour l’album, par « La Belle enchantée » (… ou la femme squelette !) qui donne son nom à l’album.

Il s'agit d’une adaptation d’un conte Inuit. Une histoire née, vraisemblablement de l’imaginaire d’un pécheur de l’Arctique, en mal d’amour :

Un squelette de femme pris, par un froid glacial, dans les filets dudit pécheur reprend, peu à peu, vie et fort gracieuse apparence dans la chaleur de l’âtre de son logis où il l’a ramenée.

« Puis dans son lit, la belle entraîne

Yann au triomphe de l’amour,

Pour cent nuits, on m’a dit même

Qu’ils s’aimeront pendant trois mille ans » .

Une très belle mélodie évoluant en crescendo, servie dans sa première partie par la somptueuse voix de Jean-Paul Corbineau, avant que, sous le violon, la caisse claire et les percussions d’un détachement du Bagad de Saint-Nazaire (Gaël Mehat, Hervé Batteux), annonce l’envoi des bombardes (Christian Mehat, penn-soner, Vincent Beliard, Dominik Chaperon, Yohann Huon) et des cornemuses (Padrig Leroux et Loeiz Mehat)…

Quelle belle conclusion à cet album. C’est magnifique ! A écouter avec ample volume. Pour notre goût, nous aurions, toutefois, préféré que la formation s’exprime en apothéose jusqu’à la dernière note, plutôt qu’empêché par le shuntage sonore en fondu à la fermeture qui a été retenu.

Cet album est, sans aucun doute, un très bon cru pour le groupe nantais qui a su doser tradition et modernité pour ne pas nuire à ses fondamentaux musicaux et vocaux.

L’auditeur ne sera pas désorienté ; il y retrouvera la prolifique exubérance de Jean-Louis Jossic, l’élégance et le velouté du chant de Jean-Paul Corbineau et du parfait accord, tant vocal qu’artistique, qu’ils cultivent depuis tant d’années, avec Jean Chocun.

Saluons la brillante, inventive et efficace performance de tous les musiciens.

C’est un disque qui s’inscrit, finalement, dans la tradition bardique qui puisait son inspiration dans le rêve et l’imaginaire, pour inventer, raconter, persuader.

Avec ses musiques actualisées par la technologie électronique de studio, nous ne sommes pas en présence d’un album rock, voire électro-celtic, mais dans un univers plus subtil, d’un « Celto-Folk-Rock Baroque » bien « tempéré » .

On ne s’ennuie jamais, le programme est fort bien conçu, avec des mélodies à écouter ou à danser et ses instants plus intimistes ou ses moments plus scéniques, aux multiples influences.

Un album qui enrichira votre panorama discographique néo-celtique.

Un disque de légendes… pour un groupe de légende.

Gérard Simon

CD "La Belle enchantée "

1 - Far away from Skye - 3:46

2 - L'Ankou, la libertine et le ménétrier - 3:49

3 - Les six couleurs du monde - 3:24

4 - Sant Efflamm hag ar Roue Arzur - 3:18

5 - La bonne fam au courti - 3:28

6 - Aliénor en Arrabie - 4:18

7 - The velvet otter - 3:40

8 - Le bal des morts-vivants - 3:30

9 - La Bayadère et le roi - 4:48

10 - Gavotten an huñvreoùigoù - 3:34

11 - L'Ermite et le Connétable - 4:46

12 - La Belle enchantée - 4:58

13 - Saint Efflamm et le roi Arthur [bonus] - 3:18

CD "La Belle enchantée" - Tri Yann.

Parution : 15 avril 2016 - Réf : 5112472.15398

Edité chez Marzelle

Distribué par Coop Breizh : (voir le site)

© Culture et Celtie

Illustration sonore de la page : Extrait de "Far away from Skye" de l'album "La Belle enchantée" de Tri Yann : (voir le site)

D'autres extraits sonores sur Culture et celtie, le-MAGazine : (voir le site)

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