S'interroger en permanence sur la culture bretonne et l'identité bretonne est légitime et nécessaire. Comparer notre culture à celle de notre voisin encombrant; la France, à d'autres cultures aussi, telles que la culture juive, par exemple, est utile. Le verre culturel breton est–il à moitié vide ou à moitié plein ? C'est ce que nous allons discuter ici.
Je voudrais dire ceci. Même si en Bretagne, je crains beaucoup de prendre un thé en rase campagne, car, en général, on ne vous propose rien d'autre à manger que le sachet ! ce qui est très breton et très surprenant, je dois dire que j'aime autant être breton que juif et cet attachement est en partie un choix. J'aime que les hommes et les femmes de ce pays, aient "germé à l'ombre des épis" comme l'écrit Chateaubriand. Oh, certes, les Bretons ont bien des défauts, mais qui voudrait vivre parmi les anges, quel ennui !
Sur le plan culturel, je ne suis guère influencé par la quantité ni, maintenant que j'ai passé l'âge bête, par la notoriété et le bourrage de crâne permanent de nos sociétés médiatisées; je n'ai pas la tv du reste car je ne veux pas entendre parler du point de vue parisien et de ses communautés, à longueur de journée. Harry Potter a beau être un succès mondial, c'est pour moi une oeuvre insignifiante.
Proposer un "prêt à penser" aux jeunes français est sans doute nécessaire, mais nous sommes bretons, et d'autre part il faut essayer de se détacher des opinions standards.
Par exemple, à mon point de vue et pris au hasard. Louis Guilloux (Le sang noir) est supérieur à bien des auteurs français, Queneau par exemple. Littérature française que dans l'ensemble je ne prise pas, préférant celle des anglo-saxons-britons. La première est une littérature d'observateurs. Hugo parle du peuple, Zola aussi sans l'aimer, Flaubert de la femme, Balzac des paysans et de la bourgeoisie, etc, Ces écrivains forts estimables, que ne parlent-ils d'eux mêmes ! quand ils le font, quel intellectualisme ! voyez Simone de Beauvoir; Doris Lessing, c'est autre chose, et Nuala O'Faolain, donc !
En France on ne sait parler du peuple ni des paysans, c'est encore un effet de cette culture de cour et du centralisme. Pour créer il faut quitter. On ne quitte pas la cour et Paris au risque de la médiocrité. C'est pourquoi beaucoup de créateurs sont marginaux, Céline, Vallès, des poètes, des peintres, Gauguin, Van Gogh.
Jacquou le croquant est l'une des meilleures peintures de ce monde paysan, mais Eugène le Roy n'était pas paysan ! dans ce pays, le peuple ne se peint pas lui-même. Giono, supposé compétent dans la peinture des moeurs "provinciales" a peint des paysans caricaturaux; mais il décrit la neige et la pluie à merveille ! car c'est surtout un poète.
Autre bizarrerie, Cocteau, Giraudoux, Duras, qui côtoyèrent "la bête" sont fêtés, tandis que Ropartz Hémon est voué au pilon par ces mêmes censeurs !
Les musiciens classiques bretons (Cras, Ladmirault, Ropartz, etc) sont fort intéressants, méconnus et valent bien la musique dodécacophonique ! dont on nous rebat les oreilles sur France-machin. Les gens "cultivés" sont très conformistes aussi !
Chateaubriand, plus parisien que breton, n'a pas remarqué que les Etats-Unis se créaient sous ses pas. A contrario, le journal du nantais Audubon est passionnant … Renan vaut largement Bergson qui a voulu (le pauvre) se mesurer à Einstein et discuter la relativité restreinte ! La psychanalyse est une gentille fumisterie que tous délaissent sans bruit. On ne démolit pas les vestiges antiques. Les Bretons se défient des théories et des dogmes, c'est tant mieux.
Eugène Boudin, qui n'est pas avant-centre mais peintre normand, amoureux de la Bretagne, est, à mon avis, plus génial que Monet et Renoir réunis, ce n'est pas l'avis des collectionneurs ni des investisseurs ! et la rentabilité du Grand-Palais, ça compte ! Son génie éclate (comme Eugène Isabey) dans les esquisses, "Falaise à Douarnenez", "Le Croisic", d'une stupéfiante modernité, comme l'a montré Denise Delouche. Ar Men nous a souvent parlé de peintres bretons remarquables, Jean le Merdy par exemple, connu en Bretagne seulement ... Quant à Yves Tanguy, peintre surréaliste exceptionnel qui vaut bien Dali, il est apprécié … aux Etats-Unis ! Youenn Drezen a écrit un livre superbe, "Notre Dame Bigouden", mais il est Breton, pas de chance pour la notoriété. A l'inverse, Stefan Zweig, fort célèbre, est estimable, mais pas remarquable (trop intello), "Vingt-quatre heures de la vie d'une femme" manque de vérité et de justesse, "L'amant de lady Chatterley" est un chef d'oeuvre à côté, etc. Kervella, remarquable homme de théâtre breton, notre Molière national, a-t-il suscité des articles du coté du périph? Non, car cela doit bouchonner encore.
Brizeux a produit une poésie charmante qui nous change agréablement de la machinerie hugolienne herculéenne. Que dire de JP Calloc'h ou d'Angela Duval, le supplément littéraire du Monde en a-t-il jamais parlé ? Il faut apprendre la langue déjà ! je suis en train et compte bien le lire dans le texte breton. Noël du Fail a décrit les paysans d'Ille-et-Vilaine d'une manière que même Rabelais n'a pas égalée. Segalen est unique. La légende de Tristan et Yseult est sans pareille … De la Villemarqué, notre Ossian, admiré en Europe, n'a pas d'équivalent français, mais il a froissé une certaine médiocrité parisienne; il aurait du faire du boulevard. La Bretagne n'a pas de Shakespeare … mais la France non plus ! et qui connait Tanguy Malmanche? Ne pas s'installer à Paris évidemment est une faute pour un Breton qui veut être célèbre, mais est-ce bien sérieux ? Maurice Druon est célèbre, pourtant les Rois Maudits sont dénués de finesse et bourrés de clichés, à coté de Sigrid Undset (Kristin Lavransdatter), ce n'est rien.
Et bien sûr, il ne faut pas compter sur France-Musique pour entendre de la musique classique bretonne, ni France-Culture pour s'initier à la culture bretonne, tous ces gens sont à virer !
C'est l'éducation française qui éclaire certains créateurs et en rejette d'autres. Les Bretons se laissent faire en n'enseignant pas leur culture à leurs enfants.
Nos journaux nationaux font ils leur boulot ? Non, c'est nombril et compagnie. Relayer Françoise Morvan les passionne, et son délirium pas très mince sur le nationalisme breton. La différence, d'accord, mais faut pas exagérer ! Dans le Nouvel Obs(olète), vous entendrez parler du décès d'un collectionneur d'art new-yorkais, mais pas de la mort de Gourvennec, créateur de Brittany Ferries. Quand l'Obs se décide à parler des Bretons, c'est pour critiquer uniquement, pauvres types ! voyez Pliskin, auteur d'un article raciste, mais surtout d'une rare bêtise sur Nolwenn Leroy, comme quoi un con de gauche vaut bien un con de droite !
Sans lien avec mes idées politiques, je préfère encore lire le Figaro que l'Obs ou Libé, étonnant non ! Il faut croire que trop d'intelligence tue l'intelligence (rires). On s'instruit davantage des idées adverses quand elles sont exprimées avec pertinence …
Il y a mille ans que la langue bretonne n'est plus parlé par les élites et 500 ans que la France rêve de buter notre culture, autant dire qu'elle a tout de même de bonnes capacités de résilience ! La Bretagne a produit une quantité de personnalités remarquables, mais si Canal + s'intéresse plutôt à Nabila, il vaut mieux en rire.
Les Bretons sont un peuple pudique et malgré cela, il faut lui reconnaitre quelques autres qualités : ils sont (en général) probes, modestes, civiques, travailleurs, courageux et plutôt idéalistes, ce qui s'est beaucoup traduit dans le sentiment religieux. Il faut le dire et je le dis. Ne cédant pas à l'unanimisme, je dirais aussi que ces qualités ne sont pas nécessairement universelles parmi les peuples. Autre chose encore, ils donnent peu dans la fumisterie intellectuelle.
Si ce peuple fin a produit de grands intellectuels, il est essentiellement composé de marins et de paysans, dotés d'une riche culture populaire, qui contrairement aux Juifs ou Huguenots, ont été formés dans d'autres écoles que les leurs pour des raisons évidentes : perte d'autonomie culturelle il y a au moins mille ans, politique en 1532.
La tunique culturelle de ce Baladin du monde occidental (pièce de John Synge) est parsemée de trous mais au travers on n'y voit des étoiles !
Pour connaitre la culture bretonne dans toutes ses dimensions, il faut faire de gros efforts, être motivé, car la planche est bien savonnée par ses machiavels et autres petits hussards qui dissimulent leur potion sous les incantations "accès à la culture" et "pays des droits de l'homme", y compris des Bretons bien évidemment. Comme disait un humoriste, "j'aime quand un con me prend pour un imbécile". Moi aussi. Les Bretons devrait utiliser plus souvent l'arme de l'humour pour répondre aux critiques et aux moqueries, après tout les sandwichs au Goéland (sic) c'est peut être bon !
En fait, plutôt que de se plaindre, il faut rapidement changer les choses dans nos écoles, y enseigner l'histoire, la géographie, la littérature, la culture bretonne en général, voilà l'important quitte à contourner le Ministère de la réEducation Nationale. Et merci encore à Google, You Tube, Wikipédia et aux américains, de nous rendre notre culture plus accessible !
Marc Patay Lejean.