ON ACHÈVE BIEN NOS LANGUES...
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L'adoption de la Charte du Conseil de l'Europe sur les langues régionales ou minoritaires, sous forme d'une Convention, est l'aboutissement d'un long processus qui a commencé en 1984 par une audition publique au Palais de l'Europe, à Strasbourg. Suite à cette audition, la conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux (C.P.L.R.E.) - une organisation qui relève du Conseil de l'Europe &endash; décide de préparer un projet de charte sur la question. Cette tâche fut confiée à un comité d'experts qui comprenait, entre autres, deux représentants du Bureau européen pour les langues moins répandues, organisme créé à la demande du Parlement européen et financé en partie par la Communauté européenne. Le 25 juin 1992, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a adopté à une large majorité la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires sous la forme d'une Convention contraignante (c'est-à-dire obligatoire) pour les États signataires. 21 États avaient voté pour, un seul contre (la Grèce) et 4 s'étaient abstenus (la France, la Grande-Bretagne, Chypre et la Turquie). La France tenta d'en réduire l'efficacité en demandant que ce ne soit qu'une simple "recommandation" (juridiquement sans effets contraignants) et non une "convention". Devenue cependant une "convention", elle était ouverte à la signature des États le 5 novembre 1992.
La réaction parallèle française fut d'introduire le concept d'unicité de la langue française dans sa Constitution par l'addition à son article 2 d'une phrase "la langue de la République est le français" et voté (toutes tendances confondues) le 23 juin 1992 sous le seul prétexte de faire barrage à l'expansionnisme de la langue anglaise. Et c'est en s'appuyant sur cet article 2 modifié en catastrophe que la France refusa le 5 novembre 1992, de signer cette Charte, alors que 11 autres État-membres l'acceptaient d'emblée. Cette attitude n'est pas sans rappeler l'Ordonnance de Villers-Cotterêt en 1539, officiellement dirigée contre l'emploi du latin par les tribunaux et dans l'état-civil, et qui marqua, en réalité, le début de la lutte contre les dialectes romans et, aussi, contre les langues de ce que l'on n'appelait pas encore des minorités linguistiques.
En visite à Quimper, le Président Jacques Chirac déclarait être favorable à la signature mais émet le souhait, néanmoins, d'avoir l'avis du Conseil d'État... Or, le 24 septembre 1996, le Conseil d'État émit un avis négatif, en rappelant que ne saurait être «mé-connues les obligations résultant de l'article 2 de la Constitution», qui stipule que «la langue de la République est le français», alors que les plus grandes promesses avaient été faites, lors du vote de cette modification de l'article 2, sur le respect des langues régionales ou minoritaires et sur la non utilisation de cet article contre elles.
A la demande du Premier ministre, Lionel Jospin, un long rapport lui est remis le 1er juillet 1998 en conclusion duquel il est suggéré «qu'au préalable une expertise juridique soit menée sur la compatibilité de ce texte avec notre Droit». Cette expertise eut lieu par un juriste constitutionnel et elle concluait que la France pouvait signer cette Charte à condition «de préciser les stipulations susceptibles d'être prises en compte par la France dans cette Charte au regard de nos règles et principes à valeur constitutionnelles». En octobre 1998, à la lecture de ce rapport, le Premier ministre, annonce qu'il a l'intention de signer la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Puis le 7 mai 1999, lors d'une réunion pour le 50e anniversaire de la création du Conseil de l'Europe à Budapest, la France se décide enfin et signe à son tour la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires mais en limitant à 39 paragraphes ou alinéas (sur 98), ses engagements en rappelant que ne pourront d'ailleurs être appliqués qu'après ratification de cette Charte. A l'étude des 39 engagements, on ne peut que constater que ceux-ci ne sont, en fait, ni plus ni moins, que la concrétisation des acquis actuels.
Le Conseil Constitutionnel, saisi le 20 mai 1999 par le président de la République, rejette le 16 juin, certaines des clauses, «contraignantes» pour les parties contractantes, car «contraires aux principes d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français, dans la mesure où elles tendent à conférer des droits spécifiques à des "groupes" linguistiques à l'intérieur des territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées».
La France, ne ratifiant pas ce qu'une grande majorité d'États démocratiques a proposé, voté et ratifié, devient l'un des rares états de la Communauté qui consacre la position privilégiée d'une langue officielle unique dans sa Constitution. Cette position délicate, face au Conseil de l'Europe est aggravée par le fait que la ratification de cette Charte est, désormais, un préalable imposé à tous les Pays candidats à l'entrée dans l'Union Européenne. En outre, elle refuse de compenser cet impérialisme linguistique par un statut reconnaissant les autres langues historiquement implantées sur son territoire et dont certaines sont antérieures à l'apparition du français (le Basque et le Breton, en particulier). Le 21 novembre dernier, 50 députés contre 39 ont rejeté la Re-modification de l'article 2 de la Constitution proposant d'ajouter au premier alinéa de cet article 2 selon lequel «la langue de la République est le français» la mention «dans le respect des langues régionales qui font partie de son patrimoine». Cette faible participation, 89 présents sur un total de 577 députés, démontre bien le faible intérêt que porte la France à "ses" langues.
En conclusion, le refus par l'Etat français de ratifier la Charte Européenne des Langues régionales ou minoritaires en s'appuyant sur l'incompatiblilité de celle-ci avec son article 2 modifié (à cet effet) en 1992 et confirmé dernièrement tout en exigeant parallèlement que les nouveaux Pays candidats à l'adhésion à l'Union Européenne respectent et appliquent les principes cette Charte, constituent une contradiction flagrante, une hypocrisie sans précédent faisant ainsi tomber le masque d'un impérialisme linguistique que l'on croyait rangé bien au musée de l'Histoire.
Enfin, pour confirmer cette conclusion, je ne peux m'empêcher de citer la dernière phrase du discours académique de Mme Hélène CARRIÈRE D'ENCAUSSE, secrétaire perpétuel, intitulé "Au secours du français" et prononcé le 5 décembre 2002 à Paris, au Palais de l'Institut à l'issue du IXe Sommet de la Francophonie de Beyrouth :
«N'est-il pas temps de faire de la langue française la grande cause nationale de ce début de siècle »
Le Pdt d'Identité bretonne