Comme tout bas-breton, je fus un jour confronté à l’autre Bretagne, celle qui traditionnellement s’exprime en gallo. Cette réalité m’est parvenue tardivement, lorsque je me suis intéressé à mon Pays et donc à sa diversité. J’avais vingt ans, car il ne faut pas compter sur l’école de la République pour nous renseigner plus tôt sur le sujet. « Hep brezhoneg, breizh ebet » entendais-je partout autour de moi. Mais la Bretagne ne pouvait se résumer au Breton puisque la Haute Bretagne parlait « patois ». Etait-ce un « patois » ou une langue d’ailleurs ? Mes connaissances linguistiques étant limitées, je m’étais dit que je n’avais pas qualité ni lumières pour m’exprimer à ce sujet. Après tout, aux principaux concernés d’en décider. Surtout, une petite voix me rappelait que la langue bretonne fut naguère taxée de « patois » -expression méprisante que l’on ne retrouve qu’en France- pour mieux l’éradiquer. Je ne me sentais pas le droit de reproduire au préjudice de la langue gallèse ce qu’avait enduré ma propre langue. Et puis j’ai découvert ce pays Gallo, à Fay-de-Bretagne en Loire-Atlantique, pays mitaw où les deux langues se mélangent quelque peu.
Les hommes et les femmes que j’y ai rencontrés me semblent étrangement similaires à ceux de Basse Bretagne. Bretons, ils le sont assurément. Ils éprouvent cette identité peut être davantage encore qu’en Basse Bretagne, car elle leur est doublement questionnée. Par rapport à la langue française bien entendu mais aussi au regard de la langue bretonne qui donna son nom à notre vieux pays. La double peine, nous dit Jean-Luc Laquittant.
Ce n’est pas par hasard que l’idée remarquable d’un ouvrage d’histoire des bretagnes vu par ses langues ait germé d’un cerveau haut breton. Il faut être né d’une culture deux fois maudites pour en appeler aussi fortement à l’universel et au respect des langues et cultures.
Jean luc Laquittant a tout compris du lien étrange unissant la langue et le pouvoir. Celui qui impose sa langue impose sa domination, et il l’imposera d’autant mieux qu’elle deviendra l’unique langue ou la langue de « l’unicité » pour reprendre l’argument totalitaire du Conseil constitutionnel. Paris nous impose sa langue et nous domine outrageusement sur tous les plans. La Bretagne ne résistera pas dans la mondialisation et ne parviendra jamais à défendre ses intérêts, sans sauvegarder ses langues.
Avec son érudition et son art de dire simplement les choses fondamentales -la marque des plus hauts esprits- Jean-Luc Laquittant nous rappelle que Bretagne est diverse. Il nous dit que ces confrontations entre nos langues, entre la -basse et haute Bretagne, entre Nantes et de Rennes, ne sont jamais que le produit de notre histoire. Bretagne est univers et c’est là notre meilleure chance dans la mondialisation, car c’est de notre diversité retrouvée que viendront la réunification de notre Bretagne, l’équilibre entre les territoires et tous les bienfaits qui en résulteront.
Jean-Luc Laquittant ne fait pas partie des élites. Si tel avait été le cas, jamais il n’eût tenu ce discours émancipateur. Il nous vient du peuple, et n’a d’autres prétention que de rappeler des évidences, que sa langue maternelle est tout aussi digne qu’une autre , qu’elle est issue d’une riche histoire - et quelle histoire ! - et mérite autant de respect et d’attention que toutes les autres langues.
Cet ouvrage deviendra incontournable pour qui veut connaître la Bretagne. Il atteint l’universel, le vrai, celui qui témoigne de la blessure des hommes confrontés à la disparition lente de leur langue maternelle, victime du mépris institutionnalisé par le dominant. L’universel ne se tient pas dans l’uniformisation totalitaire qu’entretient Paris depuis si longtemps, mais dans la blessure d’un homme soucieux de mettre fin au mépris qui l’affecte. Tout l’art de Paris consiste à avoir su draper d’universel le pire appareil de domination conçu par l’homme et qui excelle dans l’art subtil de faire de ses innombrables victimes les complices de leur propre asservissement linguistique, culturel et donc politique.
En lisant son ouvrage, je me disais que si avenir il y a pour les Bretons, dans cette mondialisation aux multiples périls, le chemin sera tracé par le peuple et par le peuple seulement qui recèle encore le sens de son histoire et la force d’affronter l’avenir.
Populisme ? Mais comment attendre encore quelque chose de la part de nos élus qui ne laissent pas de regarder vers Paris et de jouer avec les colifichets qu’ils reçoivent ? Leur esprit de servitude forme nos chaînes les plus solides. Coupée en deux, dotée de moyens dérisoires, la Bretagne décroche, ses langues se meurent, et nos élus applaudissent.
Le mot de « complicité » me vient même à l’esprit. Et si l’on remettait les choses à plat ? Plutôt que d’endurer la pénurie organisée au profit de « Paris sur scène » et le mépris que constitue toujours l’étouffement d’une langue et culture, si nous relevions la tête ? …
Si nous revenions aux choses simples... Le mépris et la maltraitance institutionnelle ne sont plus possibles, ni tolérables. Et plutôt que d’accepter la partition, la relégation de notre territoire, de notre économie et la disparition progressive, à droit constant, de nos langues, que nos élus démissionnent en bloc et remettent leur maigre pouvoir à Mr le Préfet afin de restituer à la cinquième République, sa vraie nature de système spoliateur des périphéries par le centre. Ne nous faisons plus complice de notre asservissement.
Il faut parfois savoir revenir aux choses simples, cultiver l’indignation et ne jamais transiger avec sa dignité. Là est le seul et l’unique chemin pour notre Bretagne.
Celui qui transige avec sa dignité, en échange de vagues promesses , a déjà tout perdu. Et notre dignité, c’est nos langues, nous rappelle avec force Jean-Luc Laquittant.
Que dire encore sinon que j’ai appris à connaître l’homme qui se cache derrière l’écrivain, quelque peu, car j’ai eu le privilège de l’entendre conter des histoires en gallo, chez moi. Car Jean-Luc Laquittant est encore conteur, menteur (auteur de menteries), poète, chanteur, musicien, et grand humaniste. Ça fait beaucoup pour un seul homme. Bien sûr, les Parisiens ne savent pas qu’il existe. Tant pis pour eux !
Les Bretonnes et les Bretons gagneraient à lire ce livre, pour accéder à la connaissance pleine et entière de leur pays si divers ainsi qu’à la richesse de sa culture.
Yvon Ollivier
Auteur