« L'Alsace demain : plaidoyer pour un statut d'autonomie », par Bernard Wittmann, publié par un courageux éditeur breton de Fouesnant, peut retenir l'attention des Bretons, car il les concerne directement. Plus de la moitié du livre est une mise en pièces de l'idéologie de la France jacobine (centralisée à outrance) et indivisible. En ce sens, il complète "La Désunion française" d'Yvon Ollivier ( voir notre article ) et " La Machine France : le centralisme ou la démocratie " de Jean Ollivro (2007). C'est aussi un manifeste pour une France fédérale, salué par une préface du Corse François Alfonsi, ancien député européen.
« Provocateur », venant d'un Strasbourgeois de naissance, et atteignant le point Godwin : Le centralisme étatique… n'a-t-il pas été plébiscité par tous les dictateurs, de Robespierre à Ceaucescu en passant par Napoléon, Hitler, Mussolini, Staline ou Franco : « Ein Volk, ein Reich, ein Führer » (Un peuple, un Empire, un Guide) cadre parfaitement avec la vision jacobine : un peuple unique, un État indivisible, une langue unique, une histoire et une culture unique . Il devait penser aux noyades de Nantes, à l'extermination des Vendéens, aux innombrables Africains morts en camp de concentration, à la Guerre d'Algérie, aux tueries de Bamilékés et au rôle trouble joué au Rwanda. Suit une mention du fait que les tyrans sanguinaires africains sortent généralement des meilleures universités françaises. Et notre Alsacien mal pensant remarque que « la seule fois où l'Allemagne a eu un régime centraliste, c'était sous le IIIème Reich ».
Le premier chapitre est intitulé Le naufrage de l'État français qui, apparaîtrait, depuis l'étranger, comme « Le mouton noir de l'Europe » par son refus obstiné et ravageur d'adhérer aux clauses d'accord européennes sur la démocratie (condamnations innombrables pour violations des Droits de l'Homme, refus de ratifier la Charte des langues moins répandues et étouffement systématique de tout ce qui ne serait pas approuvé, encadré et contrôlé par l'État). Par suite, dit-il, le citoyen français est incapable de se prendre en charge.
L'auteur indique que les autorités allemandes concernées ont été choquées par le fait que, dans un comité de suivi de la coopération de l'agglomération de Strasbourg et l'Ortenau-Kreis, son vis-à-vis allemand, l'État ait eu la goujaterie d'imposer la présence du préfet de Région. Elles auraient refusé la même prétention du gouvernement régional de Stuttgart ou du gouvernement fédéral.
La défiance à l'égard de tout ce qui bouge par soi-même et l'invraisemblable apoplexie qui menace la région parisienne, prête à s'effondrer sur elle-même (une petite partie de sa population commence à la fuir), sont les ressorts d'une machine folle, qui marche avec 80% d'anciens de l'ENA et de Polytechnique habitant dans un périmètre restreint en symbiose avec une presse de cour (grands médias parisiens) qui n'est plus que le haut-parleur d'une communication politique autosatisfaite.
Que deviennent les malheureux habitants dans tout cela ? Dès 1945, un certain Émile Baas, un Alsacien, remarque que l'individualisme jacobin comme le collectivisme ressortissent à la même vision mécanique : « Pour le premier, la nation est faite de l'addition de tous les citoyens, traités comme autant d'unités sociales abstraites, pour le second, la nation est faite de la juxtaposition de toutes les fractions du parti unique uniforme ». Alexis de Tocqueville, dans « La France et le Rhin » (1867), l'avait déjà dit, bien avant : « Le Français est un être de convention qui n'existe pas ».
Dans la deuxième partie du livre, on voit comment l'Alsace est bien plus avancée que la Bretagne dans la vision de son destin autonome, ce qui ne signifie pas rompre avec l'État français. Cela fait deux cents ans que la notion de peuple alsacien y est enracinée, ne serait-ce que l'habitude répandue de désigner les non-Alsaciens de France, comme « les Français », pas toujours suivi par « de l'intérieur ». La première occupation allemande a consolidé cette habitude, car, Bismarck déclarait, à Versailles, en 1871, : « L'Alsace a été annexée pour protéger l'Allemagne de la France, non pour être dominée. (Il lui sera accordé) le même niveau d'indépendance que les autres États fédéraux allemands ».
Selon Bernard Wittman, " le concept de peuple alsacien/Elsässisches Volk " était devenu une notion centrale de la culture populaire alsacienne, grâce à la presse locale francophile (Le Journal d'Alsace-Lorraine, La Revue alsacienne), pourtant soutenue financièrement par Paris. Maurice Barrès, lui-même, écrivit : : « …leur nationalité (celle des Alsaciens, NdA) est si vivante que la pire injure, c'est qu'ils disent à l'un d'entre eux : Tu n'es plus un véritable Alsacien. ».
En 1918, les Alsaciens aspiraient à conserver l'autonomie de gestion que l'Empire allemand leur avait donnée en 1911, or, ce fut une immense déception, car, dès sa récupération, l'Alsace-Lorraine fut charcutée en trois départements et dépouillée de son administration autonome et ses dirigeants soumis à une «commission de triage ». Cela se traduisit dans la montée des partis autonomistes à la fin des années 20, à laquelle Paris répondit par des procès politiques. On peut se souvenir qu'à cette occasion, le tout récent Parti autonomiste breton, qui avait déclaré, avec force, n'être pas séparatiste, fit un bout de chemin avec les Alsaciens, en compagnie du Parti communiste du Breton Marcel Cachin.
Le retour de l'Alsace en 1944 se traduisit par des vexations collectives. Le procès des soldats alsaciens enrôlés dans la division SS Das Reich (Oradour-sur-Glane) fut une épreuve pour la collectivité alsacienne. Depuis, les Alsaciens comme les Bretons et autres qui ont la chance d'être Français, ont leur « Bettelzug » (train de la mendicité), celui du lundi matin, dans lesquels s'engouffrent leurs élus partant quémander de l'argent et des faveurs à Paris.
Après la parution du livre, l'idée d'une fusion des départements et de la Région Alsace (« Le Conseil d'Alsace ») avait été soumise à référendum en Alsace, en avril 2013. Elle fut approuvée à 57,65% par les votants, mais la consultation fut invalidée à cause des conditions restrictives (64,04% d'abstentions, le Haut-Rhin a voté non et seulement 25% des inscrits se sont exprimés). Charles Buttner, ancien président du Conseil général du Bas-Rhin, porte une responsabilité dans cela, car, par crainte de l'attraction strasbourgeoise, il a fait campagne négativement en compagnie du Front national et du Front de Gauche.
Dans sa conclusion, Bernard Wittmann affirme : « ..le rêve d'avenir et de prospérité, qui passe par l'autonomie, pourrait bien devenir réalité également pour les Alsaciens, car il s'inscrit dans l'histoire émancipatrice des hommes.. Les Alsaciens ne sont pas plus bêtes que les Parisiens, ils ont toutes les compétences pour diriger leur pays, contrairement à ce que veulent leur faire croire les « républicanistes » avec leurs slogans infantilisants, leur doctrine de l'homogénéité culturelle et leur universalisme abstrait coupé du réel. » .
Il note un changement des mentalités, puisque, lors du 100ème anniversaire de la Constitution alsacienne, célébré, place Kléber, à Strasbourg, non seulement des nombreux drapeaux alsaciens (interdits en 1918) ( voir notre article ) furent déployés, mais l'hymne alsacien, « Der Elsässische Fahnenlied » (l'Hymne du drapeau) https://www.youtube.com/watch?v=gufgJZFBTYU, a été, de nouveau, chanté sur cette place publique. Le Parti alsacien-Unser Land a gagné un siège de conseiller général de Sarre-Union, mais, les élus UMP et CDI qui ont appelé à la manifestation pour une assemblée unique, place de Bordeaux, à Strasbourg, le 11 octobre dernier, l'ont tenu à l'écart du Comité d'organisation. ( voir notre article )
Bernard Wittmann, L'Alsace, demain : plaidoyer pour un statut d'autonomie, Fouesnant, Yoran Embanner, 2011. 238 p. ISBN978-2-914855-77-8
Ce livre contient des textes de référence comme des extraits de la Charte des langues, des documents sur l'Alsace (ex. : interdiction aux postiers de parler alsacien à la poste en 1950), mais aussi la lettre de refus de la CAF du Morbihan (février 2007), refusant une demande une subvention de Babigoù Breizh pour financer une crèche d'enfants brittophones, au nom de « l'accueil ».
Christian Rogel