Nantes, le 24 septembre 2011
Monsieur le Président,
C'est avec beaucoup d'intérêt que nous avons visité l'exposition « Nantais venus d'ailleurs ».
Une exposition dont l'objet principal vise à rappeler aux Nantais l'enrichissement économique et culturel de la ville et de ses habitants, grâce à la diversité de sa population.
Comme la très grande majorité des Bretons, nous sommes aussi très soucieux de l'ouverture de la Bretagne sur le monde et du monde sur la Bretagne.
L'importante communication autour de cette exposition (affiches, articles de presse, éditorial de Jean-Marc Ayrault dans la revue municipale Nantes Passion de mai 2011...) vient aussi mettre en lumière, au-delà de l'exposition proprement dite, que la « diversité est une richesse » (voir l'édito du maire de Nantes) et l'importance accordée par la Municipalité à cette exposition.
C'est cependant avec surprise que nous constatons que votre exposition manque d'un minimum de rigueur scientifique – voire développe une forme de manipulation historique sur un certain nombre de points.
Un « Breton de Quimperlé » – tout à fait Français (il sera mobilisé en 1918, tout comme en 1939) est présenté comme étant étranger, au même titre que les autres portraits et parcours d'immigrés décrits dans l'exposition.
Il a pu être considéré comme étranger à Nantes par certains Nantais – comme toutes les personnes qui arrivaient dans les villes dans le cadre de l'exode rural (que ce soit de Quimperlé, de Mayenne, de Savenay ou de Vigneux-de-Bretagne...) – mais pas comme les autres « étrangers », ceux qui ni ne parlaient la langue ni n'étaient Français. Notre Quimperlois n'a donc n'a pas subi le même rejet ou les mêmes difficultés d'intégration.
Dans la description de son parcours, il est indiqué qu'il change de région : c'est faux, il reste en Bretagne. En 1921, année de son arrivée à Nantes, il n'y a pas d'ambigüité sur le caractère breton de Nantes.
Les noms de ses camarades de tranchées, morts au champ d'honneur pendant la première guerre mondiale, sont gravés aux côtés de ceux des Côtes-du-Nord, du Finistère, d'Ille-et-Vilaine, de Loire-Inférieure et du Morbihan, dans le mémorial breton de la Grande Guerre jouxtant la basilique de Sainte-Anne-d'Auray.
Les livres d'histoire et de géographie de l'époque sont pour leur part tout aussi clairs dans la description des régions françaises. Nantes est bien présentée comme étant la plus grande ville de Bretagne et Saint-Nazaire comme le plus grand port breton.
Pour éviter d'écrire une telle contre-vérité historique :
– il suffisait de se demander pourquoi le nom de certains établissements de l'agglomération nantaise – où travaillèrent des personnes présentées dans le cadre de l'exposition – comportent le mot Bretagne ou breton dans leur nom commercial... Ainsi « Louis le Breton » a travaillé aux « Ateliers et chantiers de Bretagne », à Nantes et aux « Verreries mécaniques de Bretagne », à Vertou.
– il suffisait de se demander pourquoi le Château qui accueille cette exposition s'appelle « Château des Ducs de Bretagne ».
Comment expliquer une telle erreur historique : incompétence, ignorance, manipulation ?
Sur un autre panneau, il est écrit au sujet des étrangers au début du XXe siècle, « la région des Pays de la Loire accueillait au début du siècle... » La région « Pays de la Loire » n'existait évidemment pas au début du XXe siècle : sa création date de 1972 !
À moins que certains, pour légitimer cette construction purement administrative, essaient de lui créer de toutes pièces l'Histoire qui lui manque et soient donc prêts à jouer avec la réalité historique...
Pour illustrer le rejet des étrangers en ce début de XXIe siècle, un article de presse incrimine le Front national au sujet de la dégradation du chantier d'une mosquée nantaise – illustré d'une photographie d'affiches xénophobes d'un groupuscule raciste breton, sur lesquelles on lit distinctement : « La Bretagne aux Bretons ».
Nous vous rappelons que si effectivement il existe en Bretagne, comme partout en Europe, une extrême-droite, il s'agit de groupes qui ne rassemblent que quelques dizaines de membres. Ils ont un impact électoral proche du zéro absolu et n'ont jamais obtenu d'élus, et donc ne sont absolument pas représentatifs ni de la société bretonne, ni d'une partie significative de celle-ci. C'est d'ailleurs en Bretagne que le Front national réalise ses moins bons résultats et c'est en Bretagne que le vote en faveur de l'Europe, véritable symbole d'ouverture aux autres, est le plus fort.
Les affiches du Front national « La France aux Français », parti politique qualifié en 2002 au 2e tour de l'élection présidentielle, auraient donc été beaucoup plus représentatives pour matérialiser véritablement le rejet de l'autre, plutôt que celles d'un groupuscule anecdotique.
À moins qu'après avoir présenté un Breton comme étant étranger à Nantes en 1921, on veuille présenter en 2011 ceux qui défendent l'identité bretonne de Nantes comme étant potentiellement racistes et xénophobes…
Comment expliquer un tel amalgame : incompétence, ignorance, manipulation ?
Le rôle de n'importe quelle exposition à caractère historique est bien d'instruire le citoyen. Citoyen qui n'a pas forcément toutes les clés pour corriger de lui-même les erreurs factuelles et les approximations du commissaire de l'exposition !
Vous pourrez sans doute nous répondre que les visiteurs de l'exposition n'ont pas été victimes de ces confusions historiques et que nous recherchons la polémique.
Malheureusement, il n'en est rien. Les erreurs de l'exposition, relayées par les visiteurs, sont amplifiées par les médias.
Dans la double page du journal municipal Nantes Passion de septembre 2011, portant pour titre : « Les étrangers à Nantes au XXIe siècle » s'appuie sur cette l'exposition ainsi que sur une interview de l'historien Alain Croix. On peut y lire : « Pour contribuer à l'effort de guerre, des étrangers des pays frontaliers (Belgique, Italie, Espagne) et Bretons – considérés alors comme des étrangers – sont embauchés ». Les Bretons, mobilisés sur le front comme tous les Français, pouvaient difficilement travailler en même temps dans les usines ou dans les champs !
Les Bas-bretons ont pu être considérés à une époque comme une population étrangère à Nantes, avec leur quartier spécifique. Mais les Bretons ne sont pas des étrangers à Nantes, les Nantais sont eux-mêmes Bretons et le revendiquent encore. Le symbole de la Bretagne (l'hermine) se retrouve dans la ville, jusqu'à ses armoiries même !
La double erreur historique écrite dans le journal municipal aura échappé (?) à la relecture de son directeur de publication – Jean-Marc Ayrault – et aux membres de son cabinet.
Vous pouvez donc admettre que les erreurs et amalgames de l'exposition « Nantais venus d'ailleurs » ont été intégrées comme étant la vérité historique par la plupart des visiteurs de l'exposition.
Jean-Marc Ayrault, dans l'édito du périodique municipal déjà cité consacré à l'exposition, écrit : « Pour construire ensemble une histoire partagée, il est important de tirer les éléments de réflexion du passé ». Nous pouvons rajouter qu'il est aussi important de respecter les faits historiques et qu'on ne peut impunément réécrire l'histoire, même si cette histoire arrime Nantes au reste de la Bretagne.
Il est dangereux pour la démocratie et le respect des Nantais de vouloir créer la confusion sur le caractère breton de Nantes et sur son identité, en manipulant l'histoire au nom d'un récent territoire régional « Pays de la Loire ».
Veuillez recevoir Monsieur le Président, nos meilleures salutations bretonnes, françaises et européennes.
Paul Loret, président de Bretagne Réunie
Note ABP : Pour compléter sur le sujet voir deux autres communiqués parus :
– ( voir notre article ) du 26 juillet : Château des ducs de Bretagne : Une exposition “révisionniste” ?
– ( voir notre article ) du 24 octobre : L'exposition au château des ducs de Bretagne et la notion d'étrangers à Nantes. Une analyse scientifique.