Au-delà de la souffrance qu'elle génère, la crise récurrente de l'agriculture et plus généralement d'une grande partie de l'économie bretonne appelle les réflexions suivantes. Cette crise économique est avant tout d'ordre structurel. Elle résulte largement de la discordance entre le fondement libéral et communautaire de libre circulation des marchandises, renforcé par la monnaie unique, et les distorsions de concurrence générées par l'absence d'harmonisation fiscale et sociale sur le territoire de l'Union européenne. Notre économie bretonne souffre des pesanteurs inhérentes à la sur-fiscalité française comme à la législation sociale plus avantageuse qu'ailleurs. La réglementation en vigueur, dans sa complexité, est une entrave permanente au développement de nos territoires.
Au final, la libre concurrence proclamée se retrouve biaisée dans son application.
Et les perspectives s'avèrent plutôt sombres car on s'évertue à traiter un problème structurel par des mesures conjoncturelles, destinées à gagner du temps.
L'harmonisation fiscale et sociale au sein de l'Union européenne est une nécessité vitale pour la Bretagne. Mais comment la France menacée par la sclérose et l'hypertrophie de sa sphère publique abaisserait-elle durablement les charges pour les mettre au niveau de nos principaux concurrents ? Comment saurait-elle aménager la législation sociale lorsqu'elle ne cesse d'exalter le besoin de protection ?
La Bretagne est désormais confrontée à un implacable processus d'étouffement de son économie, en raison d'un cadre juridique inadapté à ses particularités comme à ses innombrables atouts, au grand bénéfice d'autres territoires de l'Union européenne.
Mais n'est-ce pas d'un processus d'étouffement comparable dont pâtissent la culture et la langue bretonne ?
Là aussi, nous subissons la même discordance entre le principe républicain d'égalité et sa déclinaison linguistique et culturelle, à savoir l'inégalité des langues et des cultures au nom de l'unicité proclamée du peuple français..
A la langue française, le monopole de l'usage au sein d'une large sphère publique, aux autres langues un statut secondaire, au sein de la sphère privée. Une réduction patrimoniale et négatrice de droits que devrait encore accentuer l'éventuelle ratification de la charte des langues régionales. La réserve introduite en l'état dans le texte qui devrait être soumis au Congrès subordonne la charte des langues régionales au principe de l'unicité française, lequel la réduit au néant comme vient de le souligner justement le Conseil d'Etat dans son avis.
Ayons la force d'affronter la vérité. Pour des raisons historiques, la République ne veut pas de nos langues. Celles-ci sont condamnées à l'étouffement progressif en raison d'un cadre juridique discriminant. Pour masquer cette réalité peu engageante, nous entendons de beaux discours sur les bienfaits de la diversité et de l'égale dignité de langues et de cultures que l'ensemble de l'appareil juridico-politique s'emploie à évacuer de l'espace public et visible..
L'égale dignité de nos langues et cultures régionales passe par l'égal accès à la sphère publique sur leur territoire naturel. Leur survie dépend avant tout de l'égalité retrouvée et de la dignité qu'elle confère. .
La plupart des maux que nous déplorons sont d'ordre structurel et résultent d'une discordance entre des principes fondateurs et le refus de suivre leur cours. Mais nos grands élus ne veulent surtout pas toucher aux structures. Ils se complaisent au sein de cadres discriminants lorsque le salut de la Bretagne passe par leur modification.
Pour que la Bretagne ait un avenir et valorise ses innombrables atouts, il faudra d'abord sortir de la connivence…
Souhaitons que ce débat, à l'importance vitale pour la Bretagne, soit au c½ur des prochaines élections régionales.
Yvon OLLIVIER
Juriste
Auteur de La désunion française l'harmattan 2012
« La France comme si… » le temps éditeur 2015