Les crédits structurés étaient des produits financiers proposés aux collectivités territoriales (communes, intercommunalités, départements, métropoles, régions etc.) et organismes publics (hôpitaux, pompiers…) à des taux très attractifs, car leurs taux d'intérêts étaient variables, indexés soit sur un indice tel que l'Euribor (taux interbancaire libellé en euros), soit sur l'évolution d'une parité monétaire, le plus souvent entre euros et francs suisses. La crise a conduit les investisseurs à acheter du franc suisse, dont la valeur s'est envolée, hissant les taux d'intérêts et les crédits. Ceux-ci ont donc occasionné de forts surcoûts pour les communes, jusqu'à devenir pour elles « toxiques » car ils asphyxiaient leurs marges de manœuvres financières.
L'article de Libération reprenait les prêts signés en 2009 entre les collectivités locales et Dexia http://labs.liberation.fr/maps/carte-emprunts-toxiques/. Il prête donc le flanc à deux critiques : Dexia n'était pas le seul prestataire de crédits structurés aux collectivités, il y avait aussi BFP, la filiale ad hoc du Crédit Agricole, et le Crédit Mutuel. D'autre part, de 2009 à septembre 2011, il avait coulé de l'eau sous les ponts et nombre de crédits s'étant déclarés toxiques à l'été 2009 avaient été renégociés ou transformés.
Cela dit, Libération n'avait sans doute pas le temps de vérifier auprès de chaque mairie les données recueillies par ses journalistes auprès de Dexia. D'après un maire du Pays de Retz, « beaucoup de collègues ne se sont pas retrouvés dans l'article », dont il pointe les « erreurs manifestes ». On constate que pour les cas extrêmes – les communes les plus touchées par les emprunts toxiques – les informations sont généralement bonnes ( voir notre article ). Ainsi, Quiberon et Saint-Cast le Guido ont bien connu de très gros problèmes liés à ces crédits. En revanche, Blain, qui a une dizaine d'emprunts pour un en-cours de dette de 5 millions d'€, ou Bouvron, indiquées parmi les communes ayant des crédits structurés, ne sont pas concernées, comme d'autres.
En revanche, "la commune de Donges n'a jamais eu affaire avec 27 % de surcoûts", affirme Mme Auffret, maire de la commune ; certes, l'en-cours de la dette est composé à 62 % de prêts structurés, pour 7 millions d'€ en tout, en deux prêts contractés par l'équipe municipale précédente, mais les surcoûts n'ont jamais atteint que 7 % en août 2008, sur un prêt qui depuis a été renégocié.
L'absence de Thouaré parmi les lanternes rouges surprend : cette commune a été littéralement asphyxiée par l'envolée des taux des prêts consentis par Dexia, et l'a assignée en justice devant l'insuffisance de solutions proposées par la banque : http://www.lagazettedescommunes.com/68705/thouare-sur-loire-la-petite-commune-qui-assigne-dexia/ à la suite de collectivités telles que la Seine-Saint-Denis ou la ville de Saint-Étienne. Le maire de Thouaré, Bernard Chesneau, est aussi le vice-président de Nantes Métropole, structure qui aurait elle-même plusieurs emprunts structurés. Dans le cas de Thouaré, la banque a contracté un emprunt nettement supérieur à la somme maximale que le maire pouvait emprunter sans validation du conseil municipal (4 millions d'€ contre 1,5 million). Les maires des deux communes de Donges et de Thouaré ont été auditionnées lors de la commission parlementaire spécifique le 5 octobre 2011.
Dans tous les cas, les équipes municipales invoquent pour se justifier la confiance qu'ils ont eue en leurs conseillers financiers, devant des produits qui leur semblaient comme très complexes. En effet, gérer une commune impose d'être bon juriste, bon économiste, voire bon mathématicien, la réalité exige de citoyens pas particulièrement formés d'avoir une formation pluridisciplinaire dans des matières de plus en plus complexes, et de plus en évolution permanente.
Par ailleurs, les maires pointent le rôle de Dexia : dans nombre de communes, elle joue le rôle de conseiller financier tout en proposant ses emprunts aux communes, en somme, elle est « juge et partie ». Donges a trouvé la parade en choisissant un cabinet de veille et de conseil financier indépendant, Finance Active. Mais ces cabinets indépendants peuvent eux-mêmes être intégrés dans le système et se retrouver repris par une filiale de filiale d'organisme créditeur, car aujourd'hui, rien ou presque ne consacre leur indépendance.
Contrairement à une idée reçue, les crédits structurés n'ont souvent pas été contractés pour faire face à un investissement lourd ponctuel, quoique les situations soient très différentes selon les collectivités. À Donges, l'équipe précédente a emprunté à des taux très bas pour réaliser des travaux de voirie. À Haute-Goulaine la construction de bâtiments neufs ne représente qu'une part minime de l'affectation de l'unique emprunt structuré, contracté suite au regroupement de 6 ou 7 prêts anciens ; la plus grande partie de cet emprunt dont le taux était indexé sur la parité entre euro et franc suisse et qui a été renégocié aux échéances semestrielles, notamment en juin 2011, a été affectée à des investissements courants ou à l'assainissement. À Bouvron en revanche il y avait un emprunt contracté pour la réalisation de la salle polyvalente Horizinc, calculé sur le taux Euribor et qui a été renégocié en mars 2008 pour un taux fixe, moyennant l'allongement de la durée de remboursement, par le maire sortant qui ne voulait pas laisser à son successeur éventuel une situation obérée par l'incertitude de cet emprunt.
Cependant, au niveau des communes tout au moins, il y a eu assez peu de gaspillages faits avec ces crédits – à l'exception en Bretagne de Ploërmel. La situation est bien moins reluisante pour les régions, et ce au niveau européen voire mondial ( voir notre article ).
Les communes qui se sont trouvées en août 2009 face à la première flambée des taux de leurs emprunts ont souvent réagi assez vite en essayant de renégocier, au cas par cas, avec leur prestataire (Dexia, BFP ou Crédit Mutuel). Ainsi, à Donges , l'un des emprunts, celui contracté auprès de Dexia, a vu son taux d'intérêt passer de 3,5 à 10 % et a été renégocié dans l'urgence moyennant l'allongement de la durée de remboursement. À Bouvron, où le maire, Marcel Verger, appréhendait l'incertitude liée à ce genre d'emprunts dans un contexte de crise (qui s'est déclarée, pour rappel, à l'automne 2007), l'unique emprunt à taux variable a été mis à taux fixe, moyennant l'allongement de la durée de remboursement de cinq ans jusqu'en 2023. Et Thouaré, avant de porter plainte, a essayé de renégocier tous les paramètres du crédit, sans obtenir de satisfaction. Dexia est très exposée avec ces emprunts contractés auprès de collectivités nettement moins solvables qu'il n'y paraît, la situation étant encore plus mauvaise en Belgique. Ce péril de faillite ajouté aux difficultés propres de la banque incite ses équipes à se montrer d'autant plus intraitables.
La diabolisation des emprunts structurés tient du chat échaudé, en effet « pendant des années, les collectivités ont tiré grand avantage de ces emprunts », précise un maire briéron. Pendant des années, les communes ont pu emprunter bien plus bas que le marché pour réaliser des équipements scolaires, associatifs, culturels et généraux rendus indispensables par l'afflux de population nouvelle et le fort taux d'accroissement naturel de notre Bretagne, que même les journaux parisiens remarquent. Ainsi, Joué-sur-Erdre est la commune de France qui a enregistré le plus de bébés proportionnellement à la population de l'année précédente. Cinquante-deux bébés par rapport à 2.000 habitants, traduits en termes d'équipements municipaux, cela fait deux classes, ou un bus, ou une crèche, bref cela oblige à de nouveaux investissements. Auraient-ils été possibles sans les crédits structurés ?
Depuis la crise et le scandale des emprunts toxiques, les collectivités et les établissements publics sont confrontées à l'excès inverse : avant, les emprunts étaient donnés à n'importe qui sans vérification, aujourd'hui les banques restreignent les prêts au maximum. Exemple pratique : à Bouvron, le maire Marcel Verger a fait un appel pour un emprunt de 1 million d'€ remboursables sur 25 ans afin de construire une nouvelle station d'épuration, il a reçu une fin de non-recevoir de Dexia qui ne prête plus aux collectivités sur plus de quinze ans – trop d'incertitudes ; quant à BFP, filiale du Crédit Agricole, elle lui a présenté une solution selon laquelle la moitié du capital était emprunté auprès de la Banque Européenne d'Investissement et l'autre moitié auprès de BFP, à un taux supérieur à celui pratiqué par le CA. Finalement, « nous n'avons eu qu'une réponse », déplore l'édile, celle du Crédit Mutuel qui a accordé à la commune un prêt à un taux fixe de 4,4 % sur la durée demandée. Pour un hôpital, le moindre appareil neuf coûte parfois des millions d'€ et les fonds propres de l'hôpital, déjà affectés aux charges de personnel, au fonctionnement, voire aux travaux, ne suffisent pas : le durcissement des conditions d'emprunts les place parfois en danger de mort. Comme pour les particuliers, les banques, méfiantes et échaudées, ne jouent plus leur rôle : sans prêts, la reprise est très compromise et la crise s'installe à demeure.
Louis Bouveron