Il y a en Bretagne quelques représentations de la Vierge Marie en position couchée. Les plus célèbres de ces Vierges couchées sont celles du Giaudet à Lanrivain et du Yaudet (1). On associe souvent ce motif, considéré comme rare, aux représentations de Cybèle ou d'Isis. J'ai fait moi même ce rapprochement, annexe à mon récit, dans mon dernier article sur le roi Marc'h … cette hypothèse popularisée par l'abbé Le Clec'h, recteur de Ploulec'h vers 1934, reprise en boucle depuis, me paraissait séduisante et je n'avais pas cherché à la vérifier; car sans confiance, il n'y aurait ni culture ni histoire.
En réalité, si ce motif n'est pas majoritaire ; à partir du 15è, la Vierge est représentée assise comme le fut Isis tenant Horus sur ses genoux ; il n'est pas rare, car on le trouve en d'autres lieux de Bretagne (2), je pense à la magnifique Vierge aux seins nus du calvaire de Tronoen, avec ses long cheveux ondulants ; mais on rencontre ce motif en France également (3), en Europe, en Russie et en Orient (Egypte). Quant à ce rapprochement entre la Vierge en couches et Cybèle/Isis, il suffit de partir à la recherche de ces déesses couchées … pour n'en trouver aucune. Les Armoricains et Gallo-romains de notre péninsule ont certainement connu Isis ; je pense que certains toponymes en témoignent, tels que Rhuys en Bretagne (colline d'Isis), Renis autrefois, Rhuys dans l'Oise, les Hent-Ys … mais bien avant cette divinité égyptienne ; les hommes adoraient depuis des millénaires Vénus et les déesses de la fécondité (11) dans leurs sanctuaires et les honoraient les 30 avril et 1er mai … au Yaudet, on célèbre toujours une messe solennelle le premier mai à minuit, ce qui correspond à la fête celte de Beltaine.
Les plus anciennes représentations de Vierges couchées figurent sur le sarcophage de Stilicon (360/408) à Milan; sur un sarcophage du 4è conservé dans la crypte de la basilique de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume (France), en Égypte et notamment au monastère copte de Baouit (5), dans les catacombes de Priscille à Rome. Stilicon, né à Constantinople, régent de l'Empire romain d'Occident, qui s'opposa à l'usurpateur Maxime venant de Grande-Bretagne, fut un promoteur du christianisme. Cette tradition de la Vierge couchée perdura en Orient ; dans les icônes (4 et 10) notamment, dans l'art russe orthodoxe (Andreï Roublev) mais aussi en Occident durant 1 200 ans (Giotto). Curieusement, plusieurs de ces cuves de Saint-Maximin viendraient de la ville d'Arles, qui fut une résidence de l'empereur Constantin Ier, porté au pouvoir par des légions bretonnes de Grande-Bretagne, comme le fut Maxime !
Pourquoi cette charmante et féminine représentation de la Vierge s'est-t-elle raréfiée au fil des derniers siècles ? Je crois que le texte ci-après, du 19è, suffira à nous éclairer :
"M. Didron (auteur d'un traité d'Iconographie, 19ème) s'étonnait, avec raison, de rencontrer partout en Grèce au moment de la naissance de Jésus-Christ, deux sages-femmes qui reçoivent l'enfant, et le placent dans un bain où elles le lavent. Il exprima son étonnement au savant secrétaire du couvent de Ste-Laure. Il dit : Nos artistes latins ne sont pas sous ce rapport à l'abri de reproches. Nous aussi … nous avions plusieurs fois manifesté notre étonnement en voyant à Vézelay, à Moissac, à Auxerre, sur la cuve baptismale de Strasbourg et ailleurs, Marie couchée dans un lit au moment de la naissance du Sauveur. Marie devenant mère n'a rien perdu de sa virginité, l'anathème porté contre les autres femmes, tu enfanteras dans la douleur, ne devait pas peser sur elle, et l'église tout entière s'écrie avec saint Bernard, que les douleurs de l'enfantement lui furent inconnues. Elle était donc à l'abri des infirmités des autres femmes, et on ne peut croire que dans ce moment solennel, elle se soit laissée abattre par le sommeil. Pourquoi nos artistes du Moyen-Age la représentent-ils couchée dans un lit ? II est plus rationnel et plus théologique de la voir assise, contemplant son divin enfant ou agenouillée devant son humble berceau comme on l'a fait depuis. La remarque faite en Grèce par M. Didron n'est pas étrangère à notre pays. A Auxerre pendant que Marie est couchée dans son lit, on lave aussi le nouveau-né et dans l'église primatiale de Saint-Jean de Lyon, nous retrouvons tous les détails qui ont excité en Orient l'étonnement du savant secrétaire du comité historique. … Le cinquième pilastre montre Marie nimbée couchée dans un lit ; un vieillard (saint Joseph) et une servante sont auprès d'elle. Le sixième chapiteau présente la scène orientale, deux sages-femmes lavent le nouveau-né dans un bassin. Au XVI siècle, Jean Molan (Les traités iconographiques en 1570) blâmait avec véhémence de semblables détails : Quoi donc s'écriait-il, on représente la Sainte Vierge couchée comme une femme ordinaire qui vient d'enfanter et qui, brisée par la douleur, accablée de faiblesse à la suite de ses couches, n'a pas la force de se soutenir. C'est faire injure au Fils et à la Mère." Bulletin monumental publié sous les auspices de la Société française pour la conservation et la description des monuments historiques; dirigé par M. de Caumont, Société française d'archéologie, 1834.
Et puis ceci ... "L'iconographie de la grossesse de Marie est présente dans l'art chrétien du XIIe siècle jusqu'à nos jours mais son apogée se situe entre le XIVe siècle et l'année 1563 qui condamnera définitivement cette symbolique. En décembre de cette année-là, le concile de Trente, dans sa 25e et dernière session, décrétera en effet : Le saint concile défend que l'on place dans une église aucune image qui rappelle un dogme erroné et qui puisse égarer les simples. Il veut qu'on évite toute impureté, qu'on ne donne pas aux images des attraits provocants. C'en était fini des rondeurs virginales, présentées ostensiblement ou simplement suggérées" (note 6 page 220).
Notes
1. (voir le site) et Un lieu saint et ses représentations, le Yaudet Georges PROVOST : (voir le site)
2. En bretagne : Le Folgoet, Basilique, Tympan du porche ; La Martyre, Tympan du porche ; Morlaix, église Saint-Matthieu, volet de statue ouvrante ; Saint-Hernin Kerbreudeur, calvaire ; Saint-Jean-Trolimon, chapelle de Tronoen, calvaire ; Plouaret, église paroissiale, oeuvre disparue ; Limerzel, chapelle Saint-Julien du Temple, retable ; Plouguernevel, église paroissiale, statue isolée ; Landerneau, église Saint.Thomas, statue isolée, et chapelle de la Fontaine-Blanche, oeuvre disparue, mentionnée en 1794 par Jacques Cambry ; Paimpol, Chapelle Notre-Dame, Kergrist; Plounez (22), Retable du maître-autel Bois, chapelle Notre-Dame de Kergrist; sans oublier les Vierges couchées dans les livres d'heures : (voir le site)
3. En France et en Europe : Aigueperse en Auvergne, église; Arles, Saint-Trophime ; Aviothe, Notre Dame ; Brioude (6 page 223), basilique Saint-Julien, Châlons-sur-Marne ; église de Notre-Dame de l'Épine ; Chartres, cathédrale Notre-Dame, portail nord ; A Dieppe ; sous Louis II, durant les fêtes de l'assomption, un prêtre et onze laïcs costumés en apôtres portaient la Vierge couchée dans un lit. Notice sur Dieppe, Arques et quelques monuments circonvoisins par P.-J. Feret; Dijon, Musée archéologique ; Poitiers, Notre-Dame La Grande, façade ; Paris, Notre-Dame, portail droit ; La Charité-sur-Loire, Prieuré, tympan ; Laon, portail nord ;Laval, église de Pritz ; Lyon, cathédrale ; Maisoncelles-en-Brie, église Saint-Sulpice, retable ; Metz, église Saint-Martin; Mouthiers-Le-Vieillard près de Poligny, église dans le Jura, scène émouvante d'allaitement avec l'enfant qui étreint le sein de sa mère allongée; Reims, cathédrale Notre-Dame, vitrail ; Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, Basilique Sainte-Marie-Madeleine, sarcophage des saint innocents ; Savigny, chapiteau; Strasbourg (7), cathédrale, tapisserie de la Nativité ; Vesdun, Église de Saint-Cyr ; Vezelay, Basilique Sainte-Madeleine, portail sud, Vignory en Champagne ; statue en bois polychrome datée de 1350 qui est conservée au couvent bénédictin de Oesede, Georgs-marienhutte, en Westphalie (6 page 237) ; D'autres statues de ce type existeraient au couvent Saint-Florian près de Linz en Autriche, chez les cisterciennes de Heggbach en Souabe ; portail d'Orvieto ; autel de Citta di Castello ; La Nativité de la Vierge, 1303-1305, Giotto, (Padoue, chapelle Scrovegni, mur nord).
4. Icônes et tableaux : (voir le site)
5. (voir le site) , page 525
6. La maternité dans l'iconographie mariale, Les Vierges enceintes ou allaitantes dans l'art chrétien par M. Christian JOUFFROY, membre titulaire
7. Nativité Strasbourg : (voir le site)
8. Saint Pierre de Rome, La peinture romaine au Moyen-âge, son développement du 6ème jusqu'à la fin du 13ème siècle par Raimond Van Marle, page 50
9. Ivoire byzantin, le Christ de la Légende dorée : ouvrage illustré d'un commentaire artistique et de 407 gravures / J.-C. Broussolle, Jacques de Voragine (1228?-1298)
10. Art copte : (voir le site) et Vierge couchée du couvent d'el-hadra : (voir le site)
11. Déesse-mère et Virgo Pariturae : (voir le site)