La réforme territoriale, dont l'un des effets est la suppression des conseils généraux (programmée pour 2020 !!!?), provoque en Savoie des réactions diverses, mais convergentes sur un point : l'existence de la Savoie comme collectivité et comme communauté historique est mise à mal par la création éventuelle d'une monstrueuse région (Auvergne + Rhône-Alpes), sans relais de pouvoirs locaux et sans queue, ni tête.
Christian Monteil, président du Conseil général de Haute-Savoie et Hervé Gaymard, député UMP, président du Conseil général de Savoie, peuvent difficilement passer pour des autonomistes « savoisiens ». Le premier est, aussi, le président de l'assemblée des Pays de Savoie, une structure originale, commune aux deux départements, et le second a été ministre de Jacques Chirac.
Ils appellent pourtant les Savoyards (dont 40% ne sont pas nés en Savoie) à s'opposer à la disparition de «tout centre de décision à Annecy et Chambéry, par la suppression des départements savoyards au profit d'une région Auvergne-Rhône-Alpes sans identité et sans unité ». Ils estiment qu'au lieu de diminuer les dépenses, cela aura pour effet de les augmenter et , surtout que « ce serait la fin de la gestion de proximité ». Ils réfutent aussi la politique qui consiste à favoriser les métropoles, car «appliquer la même règle à tout le monde relève d'une vision centraliste dépassée ».
Plus incisifs, ils rappellent que « ce serait la fin de l'identité savoyarde. La Savoie vient du fond des âges. Les Savoyards sont fiers d'être français depuis 1860. Mais, nous tenons à notre autonomie et à notre capacité d'initiative et de décision, bafouée par ces décisions ».
Chacun aura noté qu'il est contradictoire de se proclamer français et de mettre en avant une entité politique préexistante à la France, puisque la Savoie est supposée (selon la version Ferry-Lavisse de l'Histoire de France) avoir été intrinsèquement française, avant même l'annexion. Quant à invoquer une capacité d'autonomie pour la Savoie, même s'agissant des départements… Allons, allons.. voilà un vilain mot, dirait Valls.
Ces « minuscules » hommes politiques se mêlent alors de faire des propositions, pour éviter que « les Pays de Savoie n'aient plus de centre de décision autonome et s'étiolent au centre du triangle métropolitain Lyon-Genève-Grenoble », car, « c'est leur responsabilité historique ». Un Mirabeau du PS devrait pourtant bientôt les apostropher comme les Bretons en 1789 : « Êtes-vous Savoyards ! Les Français commandent ! », la seule responsabilité historique, depuis 1961, ne peut être que celle du président de la République.
Les propositions sont, d'abord, « subversives » et , ensuite, platement administratives :
- Créer une collectivité Savoie-Mont-Blanc
- Faire un redécoupage cantonal
- Établir le bon niveau de compétences avec l'État et établir une mutualisation entre les collectivités publiques
Cette révolte, très policée, n'est pas accompagnée, comme en Alsace, par une pétition. Nous sommes entre gens du meilleur monde, qui se sont épanouis sous les ors des palais nationaux.
Tout autre est le ton du second texte que nous ont fait parvenir des correspondants savoyards, car, on est dans le domaine de ce que Wikipédia appelle, de manière un peu exagérée, le nationalisme savoyard. Parler d'une mouvance « savoisienne » (adjectif que les partisans de la Savoie préfèrent) serait suffisant, d'autant que les objectifs des « mal pensants » n'ont pas toujours été les mêmes (rattachement à la Suisse, indépendance, région Savoie propre, etc.). Seul, le Mouvement Région Savoie, régionaliste, semble être quelque peu actif.
Jean de Pingon, ancien président de la Ligue savoisienne, parti qui demande la «désannexion » et un État souverain, est un franco-suisse qui s'est illustré en proclamant que le traité de Turin de 1860 n'a pas été revalidé dans les formes par la France. Par l'intermédiaire d'un député de Loire-Atlantique, Yves Nicolin, il a obtenu de faire avouer par le gouvernement que cet accord international n'a pas été renotifié par écrit à l'Italie, comme cela aurait du être fait, après la création de l'ONU qui enregistre, les accords postérieurs à 1948. Il serait donc caduc.
Dans la lettre qu'il fait circuler en ce moment, il écrit : « L'affaiblissement de la France procède de son histoire où le despotisme des rois le dispute au jacobinisme des républiques, procède de cette centralisation dont elle ne s'est jamais départie...Petit à petit, inéluctablement, au fil d'un temps que l'on a d'abord compté en décennies , puis en années, et à présent en mois, la République française s'écroule. Et la France avec elle ... Le naufrage est imminent ! Le paquebot France va au-devant des flots qui l'engloutiront. Il entraîne dans son sillage la goélette Savoie, derrière lui arrimée ».
Il y cite François Mitterand, qui a déclaré, en 1990 : « Les pays qui ont été annexés veulent se désannexer. Cette évolution va continuer, aussi bien dans les pays baltes qu'en Asie centrale soviétique » et remarque que la Savoie à été annexée sept fois par la France et qu'elle peut donc se désannexer une huitième. A son idée, la France n'est plus légitime, car, elle est devenue une puissance occupante.
Il cite des sondages, dont certains sont commandés par des journaux suisses alémaniques, qui affirmeraient que 48% des Savoyards ne seraient pas opposés à un rattachement, comme État fédéral, à la Suisse. Les Suisses romands (francophones) étant favorables à 56%.
Il poursuit : « Le poids de la dette, l'écroulement de l'industrie, la précarité de l'emploi, les scandales à répétition liés à la corruption des élites au plus haut niveau, l'immigration massive et l'échec de la politique d'intégration, le communautarisme, la montée des intégrismes, les menaces terroristes grandissantes avec, pour corollaire, les restrictions des libertés... C'est là un extrait du nouveau catalogue des articles en magasin dans le beau pays de France. Un pays au bord du gouffre qui ne tient encore qu'en empruntant à tout va pour payer les intérêts de sa dette et le fonctionnement de ses institutions, (encore 7,673 milliards d'Euros empruntés la semaine dernière). Les responsables politiques de ce pays, qu'ils soient de droite ou de gauche, ne sont plus que les administrateurs impuissants d'une république archaïque dont la faillite morale et pécuniaire jette ses citoyens dans les bras des extrémistes. Tous les éléments sont en place pour le pire des scénarios ».
Les deux textes sont très différents d'esprit, mais se rejoignent sur un point qui s'applique aussi à la Bretagne : la prétention des socialistes et des écologistes à jouer au lego avec les entités historiques qui composent le territoire de l'Etat français libère des espaces politiques encore fermés, il y a peu de temps. ( voir notre article ) ET ( voir notre article )
Les textes de deux lettres sont joints.
Christian Rogel