Texte de Christian Rogel, membre de l'Institut culturel de Bretagne.
Quelques questions sur l'Autre dans la République française : pourquoi les jeunes handicapés français ont-ils été longtemps parqués dans des écoles-ghettos ? Le bref rayonnement de Paris dans les arts plastiques au moment des années 20, qu'aurait-il été sans l'apport des étrangers ? L'immense talent d'un Victor Hugo n'a-t-il pas été sublimé par ses années d'exil intérieur, quand il vivait clandestinement à Paris dans une famille anti-républicaine en danger de mort ? Pourquoi la masse des Algériens n'a bénéficié d'aucune éducation digne de ce nom avant 1962, alors que le but officiel de la colonisation était d'étendre la civilisation ? Pourquoi le Prussien, Anacharsis Cloots, a pu être député de l'Oise en 1791, être proclamé citoyen français en 1792, tout en revendiquant la citoyenneté du monde, être chassé de la Convention parce qu'étranger en 1793 et être guillotiné pour un prétendu extrémisme de gauche ?
Parlant de l'auteur de la " République universelle ", le dictateur Robespierre a dit ce que diront tous ses imitateurs sanguinaires : " Comment un baron allemand peut-il être un patriote ? " Cette " pensée " continue d'empoisonner nos campagnes politiques.
Yvon Ollivier, magistrat, membre de L'Institut culturel de Bretagne et partisan de la réunification de la Bretagne, donne des clés pour comprendre pourquoi la France a pratiqué l'assassinat de masse (génocide ?) en Vendée, à Madagascar et en Algérie, mais, aussi, pourquoi la culture à la française n'a que deux pôles, un pôle qui écrase et nivelle tout à Paris et deux villégiatures très brèves à Cannes et Avignon.
Impossible de résumer l'essai très riche et très charpenté, " La Désunion française : essai sur l'altérité au sein de la République ", paru cette année, à L'Harmattan (il est vendu aussi en version numérisée).
La répartition des ventes montre qu'il est lu partout où l'on s'interroge sur les discriminations de toutes natures et l'auteur est convié à réaliser un véritable Tour de Bretagne, et au-delà, pour des conférences.
Le livre est le fruit de nombreuses lectures, mais, malgré de grandes qualités d'expression, il peut paraître dense. Les critiques – il y a très peu de Parisiens parmi eux, sauf Louis-Georges Tin, dans Le Monde des livres du 28 juin (1) - ont compris qu'il apporte un éclairage nouveau sur une République bancale et sur les impasses d'une citoyenneté purement imaginaire, car, viciée à la base, par des préjugés qu'on qualifiera de racistes sous couvert d'une universalité à caractère frauduleux.
Rassurons (si c'est possible) les jacobins parisiens et bretons, nulle part, l'auteur ne préconise un fractionnement territorial, mais, au contraire, une meilleure union sur la base des la reconnaissance des autres, d'où que vienne l'altérité. Cette union suppose l'abolition des incroyables privilèges, pouvoirs sans contrôle, dérapages graves volontaires et involontaires et autres passe-droits que s'octroie la classe dirigeante parisienne.
L'auteur nous déclare qu'il ressent dans l'accueil très positif " une volonté de s'interroger sur le cadre juridico-politique dans lequel nous évoluons et qui ne répond plus aux besoins profonds de l'être humain ". Comme il le dit, page 93 : " Une nation fermée à la diversité humaine (ne) peut (pas) réussir dans la société ouverte " du XXIe siècle.
Voici une page extraite du livre et qui concerne au plus près les missions de l'Institut culturel de Bretagne, mais on pourra parfois remplacer Breton et Bretagne par n'importe quel autre élément " assujetti " de la République (autres " nations primitives ", DOM-TOM, gens " différents ", familles issues d'une immigration récente ?) :
" On n'apprend pas à penser la Bretagne qui ne s'appréhende que sur le mode sensible. Jamais, elle ne put s'abstraire du regard de l'autre, plus souvent hostile à sa différence ou soucieux de la compromettre. Comme il revient au dominant de figer le caractère du dominé dans un procédé qualifié de “mystification coloniale”, nous avons subi l'image d'une Bretagne sauvage et régénérée dans la grandeur française par le plus beau des mariages. Selon la représentation officielle, les Bretons sont des êtres primaires,... ils ont besoin de la Raison française.
Pour ne plus se conformer à ce qu'on attend de nous, accéder à la conscience du rapport de domination et espérer s'en défaire, encore faut-il remonter le torrent. Outre le monopole de l'éducation, le contrôle des grands médias et l'ensemble de la production culturelle façonnent un monde au prisme parisien avec son cortège de codes et de vérités officielles..."
" Et si le développement économique et l'étonnante vitalité culturelle de la péninsule ont modifié le regard des Bretons sur eux-mêmes, cette évolution ne modifie en rien la représentation qui reste négative. La différence bretonne s'appréhende toujours en rapport à la référence parisienne sur le mode de l'exotisme à moindre frais ou de la méfiance que suscite un tribal-communautarisme persistant. Notre identité est d'autant plus sympathique qu'on l'a réduite à une quelconque sous-culture... La République a réussi le tour de force incroyable de gommer la dimension politique de nos identités minoritaires pour les réduire à une question culturelle quelque peu surannée. L'image européenne de la Bretagne en constitue pourtant l'opposé. Les Européens aiment à considérer la Bretagne au rang d'une nation à part, à la culture singulière et digne d'intérêt " (p. 193).
Yvon Ollivier, La Désunion française, L'Harmattan, 2012. ISBN : 978-2-296-55986-8. 27 (édition papier) (voir le site)