En attendant la visite du président de la République Française Emmanuel Macron en Bretagne, les élus bretons, à la tête de la Région, des départements, villes et communautés de commune, tous bords confondus, lui avaient écrit une lettre. Une lettre qui parle en introduction de l’aisance qu’éprouve la Bretagne à mixer ses identités : bretonne, républicaine et européenne. Une missive qui se poursuit en évoquant un éventuel pacte girondin qui permettrait à la Bretagne d’avoir plus de prise sur son propre avenir, le texte citant un ensemble de domaines pour lesquels ces prérogatives nouvelles seraient souhaitables : « l’équilibre (du) territoire, la mer, la pêche, l’agriculture, le numérique, l’économie tout entière, l’innovation sociale, la santé, le logement, les solidarités, les langues, les transitions environnementales et climatiques… ». « Les sujets ne manquent pas. Les idées non plus. » était-il même ajouté.
Voilà qui avait de l’allure ! Bien sûr, le souhait de la réunification n’était évoqué qu’en filigrane, peut-être au détour de cette phrase évoquant la desserte ferroviaire Rennes-Nantes, devant « intégrer Redon afin de bénéficier ainsi à tout le sud Bretagne ». Mais c’était sans doute pour ne pas choquer les élus jacobino-socialistes, dont il reste quelques spécimens en poste dans nos contrées.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la réponse du jeune président Macron a été très décevante, voire cinglante, méprisante diront certains. Totalement à côté de la plaque en tous les cas. Dans la forme d’abord : comme en Corse, il n’y a pas eu de drapeau local, mais seulement les drapeaux français (qui a les couleurs du blason parisien, il est bon de le rappeler ici) et européen. C’est bien le leader d’une république centralisatrice qui nous rendait visite et, quand on visionne la scène de la balade républicaine au Cap Fréhel, avec une maigre assistance retenue par des barrières de sécurité, et une file d’élus (au sens quasi biblique du terme) rangés en rang d’oignons pour avoir l’insigne honneur de serrer la main du Président, on ne peut s’empêcher de trouver un parfum très troisième république à cette petite escapade maritime.
Et sur le fond, en dehors de confirmer quelques projets liés au transport, la déception a été encore plus grande : ainsi, quelque soit le numéro de cette république, il faut se demander à quel point elle est capable d’évoluer. Et surtout si c’est vraiment la province qui peut donner l’impulsion, car depuis la victoire des Jacobins lors de la révolution, il est clair que toutes les évolutions de ladite république ont été impulsées par Paris, ou par d’encombrants envahisseurs, mais rarement depuis la province. En effet, ce qui a fait la force de la France, en même temps que sa faiblesse à venir, ce qui vaut ADN pour cette république, c’est ce principe d’unité et d’indivisibilité, cette unification forcée décrété par Paris, en d’autres siècles. Le but des présidents français jusque-là est donc bien de garder les régions sous tutelle, sauf à vouloir se tirer une balle dans le pied, et de leur laisser le moins de marge de manœuvre possible, relayés en cela par les préfets. C’est une question existentielle pour ce pays, la fameuse « grande nation » née sur la base d’un contrat social très corseté à la fin du 18ème siècle.
Et si depuis on regimbe, ici ou là, on nous oppose des « valeurs républicaines », on lance des chiffres en l’air, pas toujours vérifiables, mais surtout on en réfère au « pacte républicain ». Un pacte républicain aux contours parfois flous, mais qui ne se discute pas, pas plus qu’on ne discute du bien fondé de la bible ou du coran sous d’autres latitudes. Mais à qui profite réellement ce pacte républicain ?
Essentiellement à une noblesse d’État, disait Bourdieu, c’est-à-dire à à peine quelques centaines de familles dont les rejetons retrouvent souvent les postes au pouvoir laissés vacants par leurs parents ou leurs oncles, ou qui reprennent leurs entreprises. Une noblesse d’État dont beaucoup de membres ont étudié dans les mêmes grandes écoles (presque toutes situées en Île-de-France), cursus où ils ont parfois croisé des journalistes qui les inviteront plus tard sur une des 27 chaînes de la TNT à large diffusion. Canaux qui émettent, pour 26 d’entre eux, d’Île-de-France également. Une noblesse d’État dont chaque famille possède toujours au moins un pied-à-terre à Paris. Une noblesse d’État qui accepte parfois d’introduire en son sein quelques hobereaux serviles, ploucs envieux mais républicains méritants débarqués de « la province ». Une noblesse d’État qui est au-dessus des lois, et dont les membres, en cas de faute, échappent la plupart du temps à la prison, quelque soient les forfaitures commises.
Ainsi, deux siècles après la révolution, la classe politique bretonne, dont certains membres rêvent en secret d’intégrer un jour ou l’autre ladite caste tricolore, croit encore que le président de cette république est venu pour les écouter ?
Si on en revient justement à ce nouveau discours de Quimper, quel en est le bilan : sur les langues de Bretagne en tous les cas, rien n’a été annoncé de concret, toujours pas de ratification de la Charte des langues minoritaires en vue, et l’avenir pour Diwan ne cesse de s’assombrir. Quant à la réunification, dont l’évocation a semble-t-il ému l’assemblée à Quimper, ce serait une question d’un autre temps... C’est là qu’on comprend mieux toute la différence entre le concept de démocratie et celui de république ! A partir de là, quelle teneur pourra bien avoir ce Pacte girondin?
Il risque surtout de ne jamais voir le jour, d’être un pétard aussi mouillé que le fameux Pacte d’avenir pour la Bretagne, fourgué à la va-vite par une autre majorité sous la pression des Bonnets Rouges. Il suffit pour s'en convaincre de se rappeler qu’en 2017, le candidat Macron, ex-banquier et ministre à l’époque, avait évoqué la réunification de manière positive lors d’un précédent discours à Quimper, mais il était en campagne...
Alors, plutôt que de continuer à avaler des couleuvres venant de là-haut, est-ce que ces élus bretons ont bien pris le temps d'évaluer les véritables atouts de la Bretagne ? Ont-ils pris conscience de la force et de la cohésion que cette Bretagne pourrait transformer en une formidable énergie créatrice ? Est-ce qu’en plus de quémander les fameuses dotations qui viennent gratifier régions et villes de l'Hexagone en fonction de leur nombre d’habitants, après que nos impôts soient en très grande partie repassés par Paris, ils ont observé et appris du mode de gouvernance des petits pays européens ? Tels le Danemark, la Hollande, la Belgique ou encore la Suède : pays en bien des points comparables à la Bretagne en termes de nombre d’habitants ou de superficie mais aussi, comme le cite pourtant la lettre évoquée plus haut, par leur « capacité historique de rassemblement » ainsi « qu’une capacité collective à nourrir des ambitions et à bâtir des compromis ».
Savent-ils que ces pays ont un PIB par habitant (le chiffre qui compte vraiment en termes macro économiques) souvent bien supérieur à celui de la France ? Savent-ils que ces pays ont de meilleurs résultats que la France dans des domaines aussi variés que l’enseignement ou encore la sécurité des citoyens ? Des énergies renouvelables ? Est-ce que ces élus bretons voyagent en Europe ? Est-ce qu’ils osent comparer ? Est-ce qu’ils ont un intérêt particulier à ce que le nanisme politique des régions françaises perdure ?
Le doute est permis quant aux réponses à ces questions. En tous les cas, en attendant, nos élus restent obsédés par la distance qui les sépare de Paris, voulant tous être à moins de trois heures du saint des saints sans doute, en oubliant quelque peu notre façade maritime et ses possibilités d'ouvertures multiples. Enfin, pour toutes leurs autres doléances, ils prient, par lettre, le président de vouloir les écouter, s’il veut bien...
Mais il s’agit là du président d’une république endettée à hauteur de 2300 milliards d’euro, une république dont le commerce extérieur est en berne depuis des décennies, et dont la balance corrige à la marge son déficit abyssal essentiellement grâce à des ventes d’armes. Des armes dont un des concepteurs principaux, qui vient de décéder, a frôlé (comme d’habitude dans ces sphères-là) la prison mais a continué, après condamnation, à siéger au conseil départemental de l’Essonne, en Île-de-France.
Un pays prétendant être le champion des droits de l’homme, mais dont les prisons sont par ailleurs considérées comme parmi les plus insalubres d’Europe,et dont le classement mondial au niveau de la corruption (23ème) ou pour la liberté de la presse (33ème) le place derrière de nombreux pays africains.
Un pays qui a imposé une langue sans accents toniques à au moins une dizaine de peuples différents dans la Métropole, mais une langue que peu de ses citoyens sont actuellement capables d’écrire sans faire deux fautes par phrase. Un pays qui dérape de fait dans tous les classements mesurant la qualité de l’enseignement général (34ème nation au classement PIRLS de 2018 jugeant de la compréhension d’un texte en équivalent CM1, et c’est pire encore en mathématiques au classement TIMMS de 2016).
Un pays qui s’est enfoncé dans l’aventure nucléaire (que la Bretagne à cinq départements a su refuser, par la force !) à tel point que ce choix douteux menace cette république non seulement d’une catastrophe écologique, mais aussi d’une faillite accélérée.
Un pays qui a pris de fait a pris un retard considérable sur les énergies renouvelables : ainsi, chers élus bretons, si le parc de la baie de Saint-Brieuc devient productif en 2023, celui de Gwynt y Môr au Pays de Galles fonctionne depuis 2014, et celui de Arklow Bank Wind Park en Irlande (un des six parcs éoliens offshore irlandais) produit de l’électricité depuis 2010.
Un pays, la France, où il faut, selon une étude de l’OCDE de 2018, six générations pour qu’un descendant d'une famille en bas de l'échelle des revenus (les 10% les plus bas) se hisse au niveau moyen des revenus nationaux. Là où il suffit de trois générations pour arriver au même résultat au Danemark en Norvège ou en Suède.
Un pays, et même ce président l’admet, où les divisions sociétales sont de plus en plus profondes et se creuseront encore.
Un pays où le pacte républicain est si abîmé que de moins en moins de citoyens votent (Johanna Rolland, maire de Nantes, a par exemple été élue en avec seulement 34% des voix des inscrits).
Et c’est de ce pays-là, de ce système-là que vous, élus bretons, attendez l’autorisation pour vous émanciper ? Pour faire mieux ?
Et si vous arrêtiez de croire au Père Noël ? Parce qu'il n’a, même s’il le voulait, plus grand chose à vous apporter, sinon des mises au pas, des leçons de morale et un peu de l’argent qui nous appartient. Ainsi, ce pouvoir supplémentaire que vous quémandez pour mieux faire vivre la Bretagne, adapter notre fiscalité à nos besoins véritables, mieux gérer nos écosystèmes, adapter notre système de santé aux problématiques locales, sauver nos langues de Bretagne, personne, là-haut, à la « capitale », ne vous l’octroiera jamais ! Même pas un 25 décembre... Et vous pourrez bien aller écouter des discours de Quimper tous les 50 ans, vous obtiendrez au mieux des routes bien goudronnées, avec notre argent ceci dit, ou des trains qui nous amèneront plus rapidement vers les riches musées parisiens et les centres de décisions dont nous avons été spoliés.
Ce pouvoir, celui que vous mendiez auprès de Paris, mais que tous les länder allemands ont obtenu depuis le retour de la démocratie Outre-Rhin, ce pouvoir dont nous avons besoin si nous voulons voir la Bretagne s’élever et prospérer, c’est à vous de le prendre !
Frank Darcel, président de Breizh Europa