A Istanbul, à Diyarbakir, comme dans d'autres villes de Turquie, les audiences se succèdent pour juger les milliers de prisonniers politiques détenus sans jugement depuis de longs mois, certains et certaines depuis avril 2009, soit près de quatre ans et demi. Et nous sommes loin de constater la fin des débats judiciaires. Nous sommes loin de la table des négociations de paix sur laquelle est posée l'une des revendications importantes de la partie kurde : la libération de tous les détenus politiques et le retour au pays, sans être inquiétés, de tous les combattants. L'emploi de la langue kurde est maintenant toléré dans les prétoires à ceci près que ce n'est pas l'administration judiciaire qui prend en charge les frais de traduction, c'est au prévenu qui veut s'exprimer en kurde de rémunérer son traducteur, sauf à prouver qu'il ne peut s'exprimer en turc.
Le procès dit du "KCK« ( »un réseau d'élus et de militants kurdes, accusés d'être la vitrine politique urbaine du PKK« - Jean Marcou, OVIPOT) en est à sa 6° audience devant la 15° Chambre criminelle d'Istanbul. Il concerne 205 prévenus - dont 95 sont toujours détenus - parmi lesquels se trouvent à comparaître le professeur Büşra Ersanlı, experte en droit constitutionnel et membre du Parti pour la paix et la démocratie (BDP), interpellée en octobre 2011, incarcérée et remise en liberté provisoire grâce à une campagne d'opinion internationale en juillet 2012. La prochaine audience est fixée au 1er octobre 2013 et dans cette attente tous les détenus restent en prison, sauf trois, Süreyya Aydın, Derya Göregen et Faruk Tur, deux femmes et un homme, trois jeunes kurdes dont la durée de l'incarcération a été jugée très disproportionnée aux charges retenues contre eux. Il faut dire que les preuves à charge sont particulièrement ridicules : pour justifier l'inculpation de l'étudiante Derya Göregen, par exemple, détenue depuis deux ans, la justice apporte comme preuve un livre, »Ainsi parlait Zarathoustra" du philosophe Friedrich Nietzsche, saisi lors d'une perquisition policière. Faut-il se souvenir ici que l'antique religion des Kurdes est le zoroastrisme et que le prophète Zoroastre, ou Zarathoustra, légua à ses disciples l'antique principe du feu comme symbole de la justice et de la lutte contre les forces du mal, qui se perpétue avec la célébration du Newroz.
Le 18 octobre 2010 s'ouvre devant la 6e Cour d'assises de Diyarbakir un procès politique d'un autre temps : 151 maires, anciens maires, élus locaux, cadres du BDP, le parti pro kurde, présidents d'associations, tous militants pour la Paix et la Démocratie, accusés d'être membres d'une organisation prétendue « terroriste ». Le 11 janvier 2011, une 15e audience s'ouvre dans une extrême tension : à l'arrivée des camions grillagés renfermant les personnalités kurdes détenues, certaines depuis près de deux ans, la foule nombreuse, massée depuis de longues heures, laisse exploser sa ferveur et sa colère. Dans la salle d'audience, l'ambiance est également tendue, la Cour refusant aux prévenus le droit d'assurer leur défense en kurde : les peines encourues par les présumés coupables, parmi lesquels se trouve Osman Baydemir, maire de Diyarbakir, vont de cinq ans de détention à la prison à vie.
Après l'audience du 26 avril 2012 qui ne dura que quelques minutes, le procès fut ajourné sine die. Le 16 septembre 2013, soit près de trois ans après son ouverture, il reprend pour être à nouveau suspendu jusqu'au 19 septembre. La prochaine audience est prévue pour ce lundi 23 septembre.
C'est à Istanbul que s'est ouvert le 16 juillet dernier, dans des conditions particulièrement indignes, le procès de 46 avocats, poursuivis pour avoir assuré la défense d'Abdullah Öcalan, chef du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), détenu dans l'île-prison d'Imrali depuis 1999 : 46 avocats, dont 36 détenus, un journaliste et trois membres de leur personnel étaient au banc des accusés.
Leur tort : avoir été, à un moment ou à un autre en contact avec Abdullah Öcalan, le leader du PKK condamné à perpétuité pour terrorisme. Les droits élémentaires des accusés ont été, lors de cette première audience, systématiquement niés. Ces conditions matérielles indignes n'auront que peu d'incidence sur la procédure, au regard de la parodie de justice à laquelle la délégation internationale a pu assister. Aux côtés des avocats hollandais, suisses, allemands, anglais, les bâtonniers de Rennes et de Montpellier représentaient leurs barreaux et la Conférence des Bâtonniers. Le CNB, Conseil national des barreaux (représentant les avocats français) était représenté, ainsi que divers barreaux, le SAF (Syndicat des avocats de France) et certaines organisations : la FIDH (Fédération internationale des Droits de l'Homme), l'Institut des droits de l'homme de Grenoble et de Montpellier... Ce soutien a, selon les avocats de la défense, largement contribué à la libération des avocats poursuivis (avec assignation à résidence de neuf d'entre eux). Comment ne pas qualifier de jeu d'apparence une audience sans procédure, sans respect, le président interpellant les avocats, les tutoyant et les menaçant de poursuites ?
a déclaré Me Sophie Mazas, du barreau de Montpellier.
Me Sophie Mazas était aussi présente à l'audience qui s'est déroulée le 17 septembre : 15 avocats étaient encore détenus et le sont toujours puisque le tribunal n'a procédé à aucune remise en liberté.
La Cour a changé de statut, alors même que la loi et le décret clôturant les anciennes Cours spéciales et initiant les nouvelles prévoyaient que les Cours ayant des procédures en cours devaient les mener à leur terme... Deux des trois juges en charge du dossier, les deux assesseurs ont changé : ils ne connaissent donc pas la teneur des débats précédents. Le président a fini d'entendre les prévenus et malgré l'absence de débat contradictoire sur les pièces et dépositions (notamment l'absence d'audition des témoins cachés) le procureur a demandé à faire ses réquisitions à la prochaine audience. Le juge a interrogé les avocats sur le contenu de leurs entretiens avec le défendu, Abdullah Öcalan, les incitant à violer le secret professionnel. Il a relevé à l'encontre de l'un des confrères détenu que son entretien avec Abdullah Öcalan n'avait pas du tout porté sur des questions de droit ou des procédures en cours. Il a ainsi essentiellement interrogé le confrère prévenu à partir des écoutes des entretiens confidentiels entre le défendu et son avocat. Or, ce principe de la confidentialité est le principe de base de la profession d'avocat, reconnu comme tel par la convention de la Havane de 1990, par la convention européenne des droits de l'homme et sa jurisprudence.
Depuis le début du procès, les délégations d'avocats venues de toute l'Europe sont présentes à toutes les audiences pour apporter leur soutien. Elles seront de nouveau là à la prochaine audience fixée au 19 décembre 2013. Me Sophie Mazas sera du nombre.
Les 24, 25 et 26 décembre 2013 s'ouvrira le procès des avocats des avocats, tous membres de Çagdas Hukukcular Dernegi – ÇHD, « Association des avocats progressistes ». Le ÇHD est une organisation à but non lucratif qui fournit une assistance juridique aux victimes de violations des droits humains. Ils ont été interpellés dans la nuit du 18 janvier 2013 :
la police a lancé un vaste coup de filet dans plusieurs villes turques et arrêté 15 avocats spécialisés dans la défense des droits humains, connus pour défendre le droit à la liberté d'expression des citoyens et les victimes de violences policières [...] L'arrestation d'éminents avocats spécialisés dans la défense des droits humains et la perquisition, selon toute apparence illégale, de leurs bureaux, vient renforcer une politique de poursuites qui semble avoir pour objectif de faire taire les voix dissidentes.
(Amnesty International)
André Métayer
Photo : dessin de Kadir
Exposition des dessins et textes de Kadir à la Médiathèque de Redon, visible jusqu'au 27 septembre.