Cas n° 1 : il y eut, en 2009, une exposition sur la légende du roi Arthur à la BNF de Paris. Magnifique ! Cependant au fil de la visite, un malaise grandit chez le Breton d'Armorique que je suis ou que je crois être, ce qui est du pareil au même, il n'y était fait absolument aucune mention des Bretons de petite Bretagne !
À vrai dire, j'étais à moitié surpris, n'étant pas né de la dernière pluie bretonne. Cette exposition est en réalité exemplaire de la façon cavalière dont la France traite l'histoire de ses "sujets". La légende arthurienne est sans doute l'une des plus belles qui soit où se mêlent un idéal très fort, la quête du Graal, un amour très pur, une modernité étonnante, un lancinant parfum de magie, des exploits et des aventures de toutes sortes et une nature omniprésente. Le béotien n'y voit que du feu et ses flammes le captivent mais derrière ces merveilleux incunables offerts à la vue, que voit-on ? Une légende en lévitation, sans connexion aucune avec des hommes et femmes de ce pays. Derrière l'érudition apparente on découvre de l'ignorance, du conformisme et de la mauvaise foi, rien moins.
En réalité les Bretons d'Armorique sont coproducteurs de cette "matière de Bretagne", de ces merveilleux récits semi-légendaires. Geoffroy ou Wace, par qui tout a commencé, le disent assez. Voici pourquoi.
Geoffroy de Monmouth (1100-1155). Après 1066, à la suite de la conquête, les Bretons d'Armorique possédaient 20 % des fiefs de Grande-Bretagne. Gallois et Bretons d'Armorique se parlaient et se comprenaient ! Geoffroy eut sans doute des liens forts avec la petite Bretagne. Évêque de Saint Asaph, au Pays de Galles, auteur de « Historia regum Britanniae », il était sans doute de la famille des lords de Monmouth. Dès 1075, la châtellenie de Monmouth fut octroyée au Breton Guihénoc de Laboussac, de Dol, d'où vient également un certain Fitzflaad, à l'origine de la dynastie des Stuart. Il écrit, parlant de Caradoc de Lancafarn, de Malmesbury et de Huntingdon, «je leur demande de faire silence concernant les rois bretons (GB), car ils n'ont pas ce livre, que Walter (Gautier), archidiacre d'Oxford, apporta de Bretagne armorique, une véritable histoire écrite en langue bretonne, publiée en l'honneur de ces princes, et que j'ai pris le soin de traduire».
Ce livre breton (Armorique) est peut être Le livre des faits d'Arthur dont parle La Borderie puis Léon Fleuriot dans « Les Origines de la Bretagne ». Du reste, bien avant Geoffroy, Gildas (VIe siècle), originaire de Grande-Bretagne, qui finit sa vie à Rhuys, était déjà l'auteur de « Excidio et Conquestu Britanniae », histoire de la Grande-Bretagne aux Ve et VIe siècles, où est mentionnée la bataille de Badon.
Wace (né en 1100), vassal, gwaz en breton (Armorique), naquit à Jersey vers 1100. Les îles "anglo-normandes" appartenaient aux Bretons d'Armorique il y a peu. Dans le Roman de Brut, histoire des rois de Bretagne, il est beaucoup question de l'Armorique. Dans le Roman de Rou, Brocéliande apparaît comme une terre de légendes. Chrétien de Troyes parle aussi de Brécelien dans « Yvain et la Dame de Brécilien ». Wace écrit : «ceux de Brecheliant dont les Bretons (Armorique) disent maintes légendes», il cite Barenton : «La fontaine de Berenton sort d'une partie lez le perron». Wace décrit comment les chasseurs de Brocéliande recueillent l'eau de la fontaine et mouillent une pierre pour appeler la pluie. Il parle de fées et de magie. Wace fit le voyage de Bretagne armorique, à la recherche de ces contes : «J'y suis allé [à Brocéliande] à la recherche de merveilles; je les cherchais et vis la forêt et la terre, mais tout se dérobait. Je vins insensé et m'enfuis comme un fou, j'y allais comme un fou et en revins égaré. Je cherchais des sottises et me vis comme un fou... »
Le combat d'Arthur contre les Saxons (et les Pictes) est largement évoqué dans l'exposition, mais sans lien avec l'Armorique. Pourtant Gildas de Rhuys, (venu de GB) contemporain de ces combats, s'y réfugia ; des Bretons (GB) y vinrent en masse car leurs rois régnaient des deux côtés de la Manche, de même que Vortigern, possible saint Gunthiern (Armorique) et Ambrosius Aurélianus (alias Riothime), possible Merlin, personnages bien réels.
Les Bretons d'Armorique et les Bretons d'Arthur sont le même peuple.
Si le nom d'Arthur est cité nommément dans les Annales Cambriae (British Museum), en 499 ou 518, on lit : "bataille de Badon, où Arthur porta la croix de Jésus Christ sur son bouclier, trois jours et trois nuits, les Bretons (GB) furent vainqueurs" et en 539, "bataille de Camlann, où Arthur et Mordred périssent, alors le fléau gagna la Grande-Bretagne et l'Irlande" ; Arthur est sans doute un personnage composite qui agrège les exploits bien réels de plusieurs personnages historiques.
Constantin I, chef de l'armée de Grande Bretagne, proclamé en 306, qui le premier des empereurs romains, se convertit au christianisme ; Magnence, né à Amiens, d'un père breton, près des Britanni de Picardie, qui se proclame empereur en 349 et, depuis la Grande Bretagne, marche sur Rome ; Maxime, empereur et usurpateur en 383, le Macsen Wledig gallois, qui s'établit à Trêves. Quant à Ambrosius Aurélianus (Riothamus), parent de saint Pol Aurélien ? (de Léon), il aurait, selon Fleuriot, été « roi des Bretons (Armorique) et des Francs » avant 460, et repoussa les Francs de Childéric sur la Somme. Les exploits d'Arthur, sont inspirés de ces hommes-là et l'épisode d'un Conan Mériadec, donnant la terre de Bretagne (Armorique) à ses soldats, après la défaite de Maxime, n'est plus si fumeux, de l'avis même de Fleuriot.
On se contente dans l'exposition d'évoquer le général romain, Lucius Artorius Castus ! Thèse qui a l'intérêt de faire disparaître du paysage le contexte historique breton…
Arthur aussi bien que Tristan et Yseult, dans la réalité ou le songe, ont foulé la terre d'Armorique. "Parce qu'ils se méfiaient de Vortigern, ils prirent Ambroise et Uther (père d'Arthur), les menèrent, par delà la mer, en petite Bretagne où ils les confièrent aimablement au roi Biduz (Budic)", Layamon. Saint Efflamm aurait aidé Arthur à se débarrasser d'un dragon (à Plestin-lès-Grèves). D'après la Chronique de saint Brieuc, en 490, Hoel Ier alla en Grande-Bretagne avec 15.000 soldats, pour aider son oncle Arthur contre les Saxons. Puis en 513, le roi Arthur débarqua à Cézembre avec le nouveau roi d'Armorique, Hoël Ier, [en.Wikipédia]. Arthur terrasse le dragon du Mont-saint-Michel. Il assiège le château de Joyeuse Garde près de Landerneau, une garde (tour de garde gallo-romaine) de Jovi (Jupiter) sans doute. Le Roman de Brut (Wace) relate l'enlèvement de la fille du roi d'Armorique par le géant Dinabuc qui sera tué par le roi Arthur. En petite Bretagne, le peuple raconte que, les nuits de pleine lune, à Châteauneuf-du-Faou (à Cadbury aussi (GB)), Arthur et son armée chevauchent au faîte de la montagne. Caerleon, au pays de Galles, signifie ville de la légion, de même Saint Paul de Léon en Armorique.
Le peuple breton (GB) qui combattit les Saxons et les Pictes avec Arthur, Vortigern, Ambrosius, etc., était ce même peuple qui s'établit en masse en Armorique avant et après le VIe siècle. Il n'y a pas lieu de les disjoindre comme on le fait à loisir dans cette exposition de la BNF. En outre, on voit qu'Arthur est très présent dans le légendaire armoricain.
Cependant dans cette exposition, la Bretagne armorique et donc son peuple, les Bretons (Armorique), n'apparaissent quasiment pas, car cette histoire ne doit les concerner en aucune façon. D'où vient cet étrange négationnisme chronique et franchouillard ?
Ignorance et conformisme
Tout d'abord, la culture française s'est amourachée excessivement de culture classique, gréco-romaine. Les petits Français ne savent rien de leur région, ancienne nation parfois, ne connaissent rien aux Celtes et à l'histoire des Bretons (Armorique), pour ce qui nous concerne. Les légendes les plus belles ne sont pas enseignées. On fait comprendre aux enfants que tout cela est secondaire, que leur peuple, que leur culture, dans le contexte hexagonal, n'a guère d'importance ni de prestige. Conformisme aussi, car cette appétence pénible, en France, pour le "Grand Siècle", Mme de Pompadour, de Sévigné, et autres personnages "cucul la praline", le Masque de Fer, les "Grands" hommes et autres fadaises, cette histoire au galop, est vraiment fatigante et oblitère tout. Conformisme encore, quand certains historiens réécrivent l'histoire sans tenir compte du peuple français, Charles VII le "Victorieux", pas mal pour un personnage médiocre et pusillanime, Louis XIV "le Grand", enterré subrepticement, Louis XV le "bien aimé" !
Je crois que les historiens qui s'intéressent aux gens, au peuple, sont tout simplement plus intelligents, plus originaux... et plus rares.
Mauvaise foi
La Bretagne gêne. Grégoire de Tours, déjà, préférait taire les défaites de Childéric (et des Francs) plutôt que d'avouer qu'il fut rejeté sur la Somme par des Bretons. "On" n'accepte pas dans ce pays qu'un peuple qui le compose ait son originalité, sa culture, sa langue, cela dérange les esprits obtus. Ces petits esprits-là ne sont pas seuls en faute, plus de deux siècles unificateurs leur ont fait croire que la liberté se fatiguait à l'usage. Notre pays ne s'enrichit pas que de ses fromages et de ses vins, il gagne en beauté par les peuples qui le composent, peuples déjà présents avant les Francs pour certains, les Bretons (Armorique) et les Basques, et le fonds gaulois. D'un autre côté peut être faut-il plaindre des gens qui peinent à garder plus d'une seule idée en tête, cette funeste idéologie centraliste, sous peine de déprimer ? Aussi voici leur méthode pour passer les peuples de France à la trappe, les Bretons (Armorique) ici. La sottise a quand même de ces raffinements.
Si un Breton (Armorique) est remarquable, deux cas se présentent ; il n'est pas au service de la France, alors on l'oublie (Guillaume Brouscon, Jean Brito). Mais être un allié n'est pas suffisant car voilà ce qu'il advint de Richemont. Jeanne d'Arc avait paru telle une comète et cela dura deux ans. Son successeur, Richemont, le connétable, le généralissime, le digne continuateur de Jeanne, celui qui mit fin à la guerre de Cent ans, fut honteusement effacé des livres d'histoire (note 2) ! Le rôle essentiel de la Bretagne dans la victoire finale de Charles VII sur les Anglais est gommé tout simplement. De même, passer trop de temps en Bretagne est très mal vu pour accéder à la notoriété (du Fail, Lejean). Dans l'autre cas, on en fait un Armoricain, un "bon Breton", un Français, un Malouin ou je ne sais quoi (Du Guesclin, Cartier).
En règle générale, si des faits se déroulent avant 1532, le mieux est de ne parler de rien quand c'est possible (histoire de la marine bretonne). Quand ce n'est pas possible, guerre de succession de Bretagne par exemple, les protagonistes sont anglais, français et c'est tout, les Bretons (Armorique) sont juste des supplétifs. Bien sûr, Charles de Blois est défait et on s'amuse quand même. Il n'empêche que ce n'est pas correct. Si le terme Breton est employé souvent, gager que c'est des Grands Bretons que l'on veut parler (BNF). Un crime presque parfait. Des Bretons (Armorique) se mettent au service de cette sotte entreprise, il faut bien le dire, cette entreprise d'effacement de l'identité bretonne qui commence dès l'école. Le déclin dramatique de la Bretagne à la fin "du Grand Siècle" n'est quasiment pas étudié. La place Richemont (connétable puis duc de Bretagne) est tellement petite à Nantes, qu'elle n'apparait même pas sur la carte !, le Musée de la Marine de Brest ne parle pas une seule fois de la marine bretonne avant 1532, l'une des premières d'Europe !
Ainsi, Aux armes citoyens … bretons !, l'histoire bretonne est une matière trop sérieuse pour la laisser sans partage entre les mains des historiens parisiens et de leurs affidés.
Outre la langue, il faut enseigner l'histoire de Bretagne aux petits Bretons (Armorique) pour leur faire recouvrer la fierté de leurs ancêtres, car si l'on parle "d'accès à la culture", thème à la mode, il convient que chacun puisse accéder tout d'abord à sa propre culture…
Notes :
1. GB signifie Grande-Bretagne
2. Arthur de Richemont, connétable de France, duc de Bretagne, libérateur de Paris, négociateur du traité d'Arras, réorganisateur de l'armée française, vainqueur de Formigny (victoire franco-bretonne), etc.
3. Vies des grands capitaines français du Moyen Âge : Arthur de Richemont..., par Alexandre Mazas
4. Guillaume Brouscon : grand cartographe breton
5. Jan Brito, un des pionniers de l'imprimerie en Europe.
6. Noël Du Fail, observateur inégalé des moeurs campagnardes (XVIe)
7. Histoire maritime de la Bretagne avant 1532 (ABP)
8. Les Bretons faiseurs de rois (ABP)