La Barre est un petit hameau sur la route de Guenrouët à Bouvron, près Notre-Dame de Grâce et la RD3. La Barre, c'est aussi un étang à droite, qui s'étire d'est en ouest de Lévrizac au Goutas, et qui recouvre une ancienne carrière de graviers jaunes reconvertie en étang. La Barre, c'est maintenant la nouvelle décharge du BTP de Loire-Atlantique, l'envers des milliers de constructions neuves de Nantes-Saint-Nazaire. Un scandale en toute illégalité. Enquête.
Depuis 2010, des dizaines de camions déversent chaque jour leurs bennes à l'ouest et au nord de l'étang, sous prétexte de renforcer la digue, officiellement. Parce qu'aujourd'hui, les tas atteignent quinze mètres de haut et des milliers de mètres cube de terres ont été déversés, sans aucune démarche officielle, ni même d'information aux riverains. L'étang est entouré de hameaux. A l'est, Lévrizac et ses 50 habitants. Au sud, la Barre, le Patis, le Goutas. Au nord, Grandchamp et le Mesnil. Le Pré aux Sourds à l'ouest, ces derniers hameaux regroupant 60 habitants. La route, couverte de poussière que la moindre voiture soulève en tourbillons, se transforme en bourbier l'hiver devant l'entrée de la décharge improvisée, à côté de la longère de la Barre.
Les riverains ont appris fin 2011 que le site allait accueillir une base de loisirs avec jet-ski et quads. Excédés par les désagréments, ils se sont constitués en association dont les statuts ont été déposés le 14 février 2012 et dont le président est Tony Le Mesle. Vingt-et-un propriétaires des alentours en font partie, et viennent de Lévrizac, Meigné, du Mesnil, de la Barre, Grandchamp, du Patis, de la Gannelais, du Pré aux Sourds.
A l'origine de l'affaire la Barre et des tas, qui s'empilent des deux côtés de la route, un arrangement entre trois personnes. Jean Couëron, propriétaire du terrain. Jean-Yves Leroux, propriétaire de la base de sports nautiques installée dans une ancienne carrière à Quilly, depuis 18 ans, et André Landais, entrepreneur en transports et travaux publics. Jean Couëron, propriétaire du terrain et de l'étang qu'il laisse en friche, s'est arrangé avec l'entreprise Landais pour qu'elle y mette ses déblais, contre une rente, comme il le fait aussi sur des terrains à lui à Peslan, près l'ancienne décharge, et de l'autre côté de la route à la Barre. Ces déblais ne sont pas installés n'importe comment près de l'étang, mais d'une façon qui arrange Jean-Yves Leroux qui a déclaré à Presse Océan souhaiter « aménager le site pour une activité motorisée en adéquation avec l'environnement ». Et effectivement, sur les photos que nous avons prises (jointes à l'article), nous voyons la digue côté étang renforcée, puis une large piste pour les camions, puis un large et épais tas à l'ouest, qui visiblement ne peut justifier le renforcement de la digue. Quant à Jean-Yves Leroux, les avis recueillis concordent : il est connu comme le loup blanc, notamment parce que la justice se serait – momentanément – intéressée à lui lors d'activités commerciales passées, notamment à Fay-de-Bretagne. Il gère une base nautique à Quilly, installée dans le plan d'eau d'une ancienne carrière, et d'après Franck Leroux son associé, il n'y a jamais eu rien de bien méchant, en termes de soucis, pour l'entreprise, même si les riverains eux estiment qu'il y a eu de gros problèmes de nuisances sonores, avant que des aménagements ne soient réalisés par l'entreprise pour les réduire, avec efficacité.
Nous écrivions un peu plus haut que Jean Couëron était propriétaire du terrain. Dans les faits, il est propriétaire de l'étang, son fils du terrain autour, à l'exception de la parcelle la plus à l'ouest (167) qui appartient à sa fille, résidente à la Barre, juste à côté de l'entrée des camions. Elle a rejoint l'association des riverains car elle s'estime spoliée de son terrain, qui a pour l'essentiel disparu sous un tas de terre de près de 15 mètres de haut. Un tas qui surplombe les maisons neuves bâties sur la route derrière le Goutas, maintenant invendables, leurs vues étant complètement bouchées par la colline terreuse. Jean Couëron avait fait signer à ses enfants un consentement préalable à l'utilisation de ces terrains, s'estimant libre de les utiliser sans les informer d'un dépôt de terres dans de tels volumes. Volumes qui étaient répartis avec un bulldozer et une petite pelle présents sur le site jusqu'au matin du 2 mai 2012. Mais qui ont eu le temps d'être pris depuis le ciel, un des riverains ayant loué un ULM pour photographier les dégâts depuis le ciel.
L'ancienne carrière de la Barre avait été remise en état en étang. Les abords avaient été replantés, la fontaine de village située au nord-ouest était utilisée par les hameaux alentours pour l'arrosage. Au nord et à l'est, l'étang voisine avec d'autres petites mares, des bois de bouleaux et des buttes plantées de bruyères, que suit au nord un bois planté de châtaigniers. Ces milieux accueillaient une grande diversité d'espèce, parmi lesquelles plusieurs sangliers, des biches, un couple de grèbes huppés (espèce protégée depuis l'arrêté du 17 avril 1981 http://fr.wikipedia.org/wiki/Gr%C3%A8be_hupp%C3%A9) qui nichait sur place, des grenouilles, des limicoles, etc. L'étang était empoissonné. Le site servait de lieu de promenade aux alentours, les gens pêchaient dans le plan d'eau, s'y baignaient l'été. L'eau y était propre. Le trop plein passait dans la fontaine, puis dans une mare en contrebas, puis dans le vallon transversal qui deux km plus tard rejoint le Canal de Nantes à Brest.
C'était ainsi avant les travaux. Dans la partie ouest du site, la terre a remplacé le champ, le niveau a été exhaussé de 1 à plus de dix mètres, l'eau qui suinte est récupérée en partie dans deux fossés en triangle qui se rejoignent directement à l'ancienne fontaine. L'eau est saumâtre, présente des tâches huileuses (voir photos jointes à l'article). La petite mare devant la fontaine est en train de s'eutrophier, l'eau de la source n'est plus utilisable pour l'arrosage.
Le week-end, quand les camions ne sont pas là, les quads prennent le relais. En toute illégalité. Ils ravinent d'ornières les chemins, passent à même le fond des petites mares, érodent les sols, bouleversent les bordures des chemins. Un passage a été taillé au bull entre l'étang et le chemin qui rejoint le Canal : le bois de châtaigniers, qui n'appartient pas à Jean Couëron, mais à une personne depuis décédée et qui était alors en maison de retraite, a été repoussé brutalement. La nature cède la place aux pétarades des quads, la paix de la campagne aux cris que provoquent les poussées d'adrénaline de ce loisir sans-gêne, cette activité motorisée en adéquation avec la nature pour reprendre les propos de Jean-Yves Leroux. Toute la partie du site qui n'a pas encore été transformée en tas de terre est dégradée par les quads, qui passent au raz des habitations de Lévrizac, à l'est et de la Barre au sud.
Tout ce qui se passe à la Barre est complètement illégal. En effet, l'article R421-23 précise Doivent être précédés d'une déclaration préalable les travaux, installations et aménagements (…) les affouillements et exhaussements du sol dont la hauteur, s'il s'agit d'un exhaussement, ou la profondeur dans le cas d'un affouillement, excède deux mètres et qui portent sur une superficie supérieure ou égale à cent mètres carrés, à moins qu'ils ne soient nécessaires à l'exécution d'un permis de construire. Or, il n'y a eu ni déclaration préalable de travaux, ni demande de permis de construire en mairie de Plessé. Le sénateur André Trillard, joint par l'association des riverains, a même précisé que la Préfecture devait être avisée des travaux faits sur cette ancienne carrière, d'autant plus qu'il s'agissait de mettre des remblais de BTP. Les gendarmes sont venus prendre des photos du site le dimanche 22 avril 2012. L'étendue des tas de terre et leur hauteur dépasse allégrement les limites fixées par la loi. Un membre du conseil municipal joint par l'ABP explique ce qui se passe, c'est que les gens du projet ne sont pas dans les règles. La mairie a fait le nécessaire pour qu'une procédure judiciaire soit engagée contre le projet et a rencontré les riverains. Le maire, que nous avons joint, affirme aussi sa totale opposition aux travaux en cours, et au projet de base de loisirs.
Sur le Plan d'Occupation des Sols (POS) de la commune de Guenrouët, actuellement en révision pour encore quelques années, la zone est classée NC, à savoir qu'elle est à vocation agricole, un permis de construire peut donc être demandé seulement par un agriculteur ou assimilé, ou alors pour une construction relative aux activités de la zone. Les conditions au sein de la zone NC sont propres à chaque commune, mais le cadre est commun. Nous joignons ainsi à l'article, pour que le lecteur puisse se faire une idée, les dispositions de la commune de Quiberon qui distingue au sein de la zone NC les catégories NCa (territoire affecté aux activités agricoles, sylvicoles ou extractives) et NCb (préservation et témoignage de l'espace rural traditionnel et coupure d'urbanisation). A Guenrouët, le site est sous le régime équivalent de la première situation, et la construction d'activités de loisir y est formellement interdite, le site n'étant pas classé en zone de loisirs.
La deuxième source d'illégalité quant aux travaux menés à la Barre depuis deux ans se recoupe avec la principale source d'inquiétude des riverains : qu'est-ce qui est déversé sur le site ? En visite avec le président de l'association des riverains, nous y avons trouvé et photographié (photos jointes à l'article) de la découverte (terres enlevées avant de creuser des fondations), des gravats, des briques anciennes provenant de démolitions (elles portent encore le cachet de la briqueterie qui les a faites), des blocs de ciment. Mais aussi un élément de pelleteuse, diverses ferrailles, un bout de barrière de chantier qui émerge d'un tas de terre et du barbelé lui aussi saillant, tous objets dont la place est au recyclage en déchetterie. Mais encore un tas complet de déchets d'enrobé routier (goudrons et graviers), des bouts d'enrobés épars, des fragments de tuyaux et de plaques en fibrociment amianté, des tuyaux en PVC, du tissu d'imperméabilisation pour chantiers, de la ficelle, des câbles électriques fins, de la bâche. Des riverains y auraient aussi vu des pneus, enterrés au plus profond sous les buttes. Source ? Les camions de l'entreprise Landais André, dont un était justement venu vider sur le site du sable et du gravier sous nos yeux.
Seulement, la législation sur les déchets du BTP est stricte – parce qu'il existe des lois. Tout d'abord, la loi n°75-633 du 15 juillet 1975 fixe la responsabilité toute personne qui produit ou détient des déchets (…) est tenu d'assurer ou d'en faire assurer l'élimination".. Ensuite, le code de l'Environnement, dans ses articles L541-1 à L541-50 fixe les priorités en matière de gestion des déchets et leur destination. Ainsi, les déchets inertes (gravats, briques, mortiers, terre, pierres, laine minérale, bétons bitumineux et asphaltes sans goudrons) rejoignent des sites de classe III, auxquels s'ajoutent les éléments en fibrociment amianté, selon une législation française reconnue le 1er décembre 2011 contraire au droit européen http://cinea84.asso-web.com/65+la-cour-de-justice-europeenne.html Ce qui n'empêche pas les centres de classe III, à l'image de celui-ci dans le Gard http://www.dechetspro-lr.fr/gard/centre-de-stockage-classe-3-cnde-bellegarde de continuer à accueillir les déchets amiantés, la législation française n'ayant pas été réformée. Les déchets banals (plastiques, emballages, bois non traité, verre, cartons, ferrailles, câbles, tuyaux plastiques, textiles) rejoignent des sites de classe II où ils peuvent être recyclés. Enfin, les déchets dangereux ou déchets industriels spéciaux (peintures, vernis, laques, solvants, bois traités, goudrons et hydrocarbures, goudrons, sols mélangés avec goudrons, colles…) rejoignent des sites de classe I. Tous ces sites de classe I, II et III doivent être déclarés avant ouverture, et l'autorisation de stocker des déchets accordée par la Préfecture doit être subordonnée à une enquête publique où la commission d'enquête doit préciser les raisons circonstanciées de son avis, comme le précise un arrêt du Tribunal Administratif d'Amiens qui a annulé le 22 février 2011 l'autorisation d'exploitation donnée à un centre intercommunal de stockage des déchets http://www.lunion.presse.fr/article/aisne/lenfouissement-des-ordures-devient-illegal
Dans un chantier, c'est le maître d'œuvre qui est le principal producteur de déchets. Par conséquent, la loi l'oblige à quantifier ce qu'il produit, à l'indiquer dans les documents contractuels et à tout mettre en œuvre pour que ces déchets soient traités et acheminés vers les sites de stockage. L'entreprise de BTP, parallèlement à l'acceptation des conditions du marché, prend le relais quant à la responsabilité des déchets, et a aussi un devoir de conseil du maître d'œuvre. Elle peut mettre en place et gérer des installations de stockage et de valorisation des déchets. Depuis 2006, toute installation de stockage de déchets inertes (l'ISDI, équivalent du site de classe III) doit être soumise à autorisation préfectorale http://www.developpement-durable.gouv.fr/Installations-de-Stockage-de.html et impose à leurs exploitants d'adresser chaque année au plus tard le 1er avril au préfet du département ou l'ISDI est située une déclaration de la quantité de déchets reçue durant l'année écoulée. Le dossier de demande d'autorisation doit contenir, outre l'identification du demandeur, une carte 1/25 000e du site et des 200 m alentour, une notice sur les caractéristiques géologiques et hydrogéologiques, la description des types de déchets, la quantité maximale annuelle pouvant être reçue, l'origine, la durée d'exploitation prévue, la quantité totale des déchets à déposer ou déposées, pour les installations qui existaient avant le 1er juillet 2007 (ce qui n'est pas le cas de l'étang de la Barre), la liste des dispositions prises pour prévenir les inconvénients et remettre en état le site. Cependant, il n'y a pas d'étude d'impact ni d'enquête publique, et la population est prévenue par affichage municipal (source : Direction régionale de l'Equipement de la Haute Normandie, 2007).
Deux failles auraient pu permettre à l'entreprise Landais de passer au travers. D'une part, l'emploi de matières inertes pour des travaux d'aménagement ou de remblais n'est pas soumis à déclaration (par exemple pour des merlons antibruit sur le bord des autoroutes), dans les limites posées par l'article R421-23 du code de l'Urbanisme. D'autre part, le stockage temporaire, de 3 ans avant valorisation ou d'un an avant stockage définitif est lui aussi possible sans déclaration. Mais l'entreprise aura du mal à prouver le caractère provisoire des remblais visibles sur le site de la Barre, et la législation ne s'applique qu'aux seuls déchets inertes, non mélangés à des déchets dangereux comme les goudrons ou banals comme les ferrailles et le PVC visibles sur le site. Or, l'article L547-7-2 du Code de l'Environnement précise Le mélange de déchets dangereux de catégories différentes, le mélange de déchets dangereux avec des déchets non dangereux et le mélange de déchets dangereux avec des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont interdits, à moins qu'il ne soit réalisé dans une installation ou un chantier qui puisse présenter un danger ou des nuisances, à condition que le mélange soit fait selon les meilleures techniques disponibles et, sans mettre en danger la santé humaine ni nuire à l'environnement, n'en aggrave pas les effets nocifs sur l'une et l'autre. Mais l'étang de la Barre et ses abords sont un site naturel, et la mise en place des déchets est faite en vrac.
Un site de classe III doit avoir aujourd'hui, outre une autorisation préfectorale, des installations de récupération des eaux qui suintent par suite de la décomposition des déchets et l'infiltration des eaux pluviales (les lixiviats), et éventuellement des gaz. Il ne peut accueillir que des déchets inertes. Des barrières de protection naturelle doivent être installées et des contrôles environnementaux réguliers faits http://www.vedura.fr/environnement/dechets/enfouissement-dechets . Cela, c'est la loi.
Aujourd'hui, sur les bords de l'étang de la Barre, et depuis trois ans, les déchets sont bennés par camions, en vrac, tout étant mélangé. Ils viennent de divers chantiers Landais dans tout le département de Loire-Atlantique. Il n'y a, pour récupérer les eaux qui suintent, que deux pauvres fossés à l'ouest et au nord, qui convergent vers la fontaine qu'ils ont tarie et contaminée. Les eaux coulent sans traitement vers le Canal de Nantes à Brest. Il n'y a pas de barrières de protection naturelle, aucun contrôle, aucune déclaration auprès des autorités, en clair, il n'y a rien. L'absence d'autorisation préfectorale pour une telle installation constitue à elle seule un délit. Des déchets qui n'auraient jamais du atterrir ici émergent des tas de terre. Les ferrailles et câbles qui saillent peuvent blesser les animaux et les hommes qui s'aventurent sur le site. Les quads lâchés sans autorisation sur le site finissent de saccager un des plus beaux coins de nature de Guenrouët, que les animaux, les oiseaux et les grenouilles fuient. Une plante rare, signalée sur le site, serait menacée. La qualité de vie des riverains s'est dégradée, la valeur de leurs biens avec « vue sur la décharge » s'est écroulée, l'un d'eux a renoncé à vendre son habitation après un an d'infructueux efforts.
Aujourd'hui, les Bretons de Loire-Atlantique paient la double peine. Alors que le bétonnage peu contrôlé de leurs côtes et de leurs grandes villes, Nantes ( voir notre article ) et ( voir notre article ) et Saint-Nazaire ( voir notre article ) dégrade leur qualité de vie et annihile le particularisme breton dans un conformisme immobilier français, voire mondial, les centaines de milliers de mètres cubes de déblais doivent bien aller quelque part, et les installations légales existantes ne suffisent pas à les accueillir ou sont trop chères. Par conséquent, des coins reculés du département qui ont la chance ou la malchance de voisiner avec un trou quelconque, fut-ce un vallon ou une ancienne carrière, sont transformés en dépotoirs. Pourquoi les abords de l'étang de la Barre doivent-ils devenir le Naples de la Loire-Atlantique… et jusqu'à quand ?
Louis-Benoît GREFFE