Albert Poulain est toujours vivant dans nos mémoires. Né en 1932, il fut dessinateur, chanteur, conteur, et collecteur breton. Albert Poulain étudie le dessin et l'architecture au Conservatoire des arts et métiers de 1953 à 1958. C'est au cours de ce séjour parisien qu'il fréquente les groupes culturels comme Kêr Vreizh et qu’il s'intéresse à la culture populaire bretonne. Il est, en 1957, cofondateur du MOB (Mouvement pour l'organisation de la Bretagne). Il est bien connu comme conteur gallo, mais il a toujours défendu le breton. Il commença même à apprendre le breton à Paris. Il fut décoré de l’Ordre de l’Hermine en 2009. Militant breton de toujours, c’est avec ferveur et grande tristesse que tous ses amis entonnèrent le Bro Gozh ma Zadoù à la sortie de l’église de Pipriac lors de ses obsèques le 6 octobre 2015.
Et voilà maintenant qu’un groupuscule qui s’autoproclame « La Brigade Albert Poulain » s’amuse à détruire les quelques panneaux bretons placés démocratiquement par la Région ou des communes au nom de la défense du gallo. Il est nécessaire de rétablir la vérité et de rendre hommage à Albert Poulain. Il aurait été effaré des agissements de ce groupuscule qui a l’arrogance d’utiliser son nom, n’ayant aucune honte à dévoyer sa pensée et son positionnement politique pour la Bretagne depuis toujours et notamment pour le breton en Haute-Bretagne. J’en apporte ci-dessous toutes les preuves nécessaires.
En 2012, j’avais eu l’occasion d’interviewer Albert Poulain pour la revue Brezhoneg war-raok. Vous trouverez en pièce jointe l’interview dans son intégralité. 1ère partie, sur la langue bretonne, 2e partie, sur les droits des Bretons, 3e partie, sur le chant et la musique bretonne. Concernant son soutien à la langue bretonne, on ne peut être plus clair.
Voici un extrait de la première partie :
[AP] Non seulement je m'intéresse au gallo, mais je m'intéresse quand même un peu à l'histoire. Léon Fleuriot l'a bien noté. Et ceux qui n'ont pas les connaissances nécessaires ne peuvent pas prendre position. Ça veut dire que dès la fin du 4e siècle, Constantin avec ses légions bretonnes de Tours à Ouessant, a rafraîchi ce qui était le langage gallo-romain à l'époque. Or les gens parlaient encore le gaulois jusqu'aux 5e et 6e siècles. Une langue qui était à peu près similaire au breton. Alors, nous, on a quand même appris le breton. Les Bretons d'alors étaient très implantés, non seulement jusqu'à la Vilaine, mais aussi, suivant Yann Mikael qui est quand même un spécialiste, de l'autre côté de la Forêt de Blain et la toponymie le révèle. Avec ça, on sait qu'il y a eu un recul systématique, pour une bonne part par Salomon qui a ramené un millier de moines qui ne parlaient que le roman. Donc, administrativement, ce sont eux qui géraient et qui imposaient leur langage et ça a diminué petit à petit.
Pourtant, d'après le docteur Maurice Le Rouzic, jusqu'au 18e siècle, on parle encore breton à Redon, surtout au moment des foires. Mon père l'a précisé. Dans un pays comme Carentoir, où il faisait les foires, il faisait les ventes, il l'a remarqué. Je signale aussi le même cas avec la grand-mère à Gilbert Hervieux, qui savait le breton parce que sinon elle ne pouvait rien vendre dans les grands marchés et foires de Redon, Carentoir, Questembert, etc. Donc il y avait une présence obligatoire du breton. On en avait tellement conscience qu'à Pipriac, avant la guerre de 14, quand on recevait un évêque, il était reçu avec une banderole écrite en breton, avec un discours écrit en breton, lu en breton. Il y avait sans doute des bretonnants présents là qui le faisaient. Mais c'est quand même une preuve que nous avons ici un sentiment d'appartenance au breton. Lorsqu'Albert Delamarche a fait la demande, il y a une quinzaine d'années, auprès du conseiller général, il y a eu une cinquantaine d’élèves qui demandaient à apprendre le breton à Pipriac.
[AP] Les enfants apprendront ce qu'on leur donne à apprendre de toute façon. Mais ce sera permanent que s’il y a une sympathie de la part des parents et une pratique des parents. Seulement, il faut que ce soit étayé en même temps par l'histoire et en même temps par une pratique et de la musique et des différentes formes d'expression de notre culture bretonne. Alors il y a la musique bien sûr, il y a le chant bien sûr, il y a aussi la construction, l'art, il y a la gastronomie. Il y a toutes les formes d'expression des sens quoi. Je ne dirais pas les sept sens mais plus encore, de ce qu'on sent et qu'on ne voit pas, et là ça va très loin et c'est pour ça qu'on est obligé de voir la culture bretonne comme un tout. On ne peut pas pratiquer qu'un art, ça c'est le système à la française de saucissonner, par exemple, l'art de l'architecture, l'architecte ne doit pas fréquenter le sculpteur, qui ne doit pas fréquenter le décorateur, qui ne doit pas fréquenter le tapissier, le vitrier.
[AP] Ah bien forcément, et la plupart de ceux qui sont contre, des gens qui ne visent pas loin, avec l'ex- maire de Monteneuf et des extrémistes du latinisme, de la civilisation latine. Il a fait un tas de dires, en ce qui concerne les voies romaines. On lui laisse ce domaine. Mais les autres ne connaissent rien. Et quand dans la toponymie, les noms sont d'origine bretonne, on doit obligatoirement les mettre en breton. Même des noms qui sont français et qui ont été décolorés, qui ont été changés, alors qu'à l'origine ils étaient bretons. On met bien des noms en latin, Duretie par exemple. Non mais, faut pas déconner ! On met le nom en latin et on ne devrait pas - nous - mettre le nom en breton. Il y a quelque chose qui débloque. Il n'y a pas déraison, on doit être logique. Sinon qu'on enlève les noms en latin partout, et qu'on enlève les noms américains aussi. Et alors pourquoi ce serait le français ? Il ne faut pas oublier qu'il y a eu une occupation ! Si les Allemands nous avaient occupés, est-ce que les commerçants ne parleraient pas tous allemand aujourd'hui, parce que faut gagner des sous. Et parce qu'on nous a occupés - nous - il faudrait dire merci les occupants, faut pas déconner non !
Lors de la signature de la Charte de la langue bretonne à Redon en 2009, Albert Poulain était venu défendre le breton à Redon. Il donna son avis dans l’article « La charte de la langue bretonne fait causer » (O.F. 8/04/2009). Début de l’extrait : « Gilbert Hervieux [alors président du Groupement culturel breton des Pays de Vilaine] évoque la proximité du Pays vannetais ... « Sur le marché de Redon, ça parlait breton encore au début du siècle. » Et Albert Poulain rappelle une anecdote : « Avant la Guerre de 14, à Pipriac, on accueillait l'évêque avec des banderoles en breton ! » Et le gallo, dans tout ça ? « Attention aux Mollahs du gallo », prévient Albert Poulain. Même s'il est barbu, le conteur ne s'affiche pas dans cette catégorie. Derrière la provocation, la crainte d'opposer les cultures populaires. »
Fin de l’extrait.
« Attention aux Mollahs du gallo », Albert Poulain ne pouvait pas mieux dire, d’une façon prémonitoire, lorsque l’on découvre cette scandaleuse « Brigade Albert Poulain ». Qu’en est-il en Haute-Bretagne pour le breton ? En 2018, le rapport TMO, commandé par la Région Bretagne, donnait par département, des réponses pour le souhait de plus d’enseignement du breton dans les écoles et l’approbation d’une signalétique routière français-breton. Pour la première question, les résultats sont les suivants : 29, 22, 56, 35 : 75 % d’avis favorables et 44 : 68 %. Pour la deuxième question : 29 : 75 %, 22 : 72 %, 56 : 73 %, 35 : 71 % et 44 : 72 %. Ces chiffres sont sans appel, la demande populaire pour des panneaux routiers bilingues français-breton est aussi forte à l’Est qu’à l’Ouest de la Bretagne. Albert Poulain n’aurait pas dit le contraire. Alors « Les Mollahs du gallo », respectez la mémoire d’Albert Poulain, respectez la volonté populaire !
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