À l’heure où Manuel Valls rappelle que l’État refuse un statut de co-officialité de la langue corse en Corse, au moment où l’on apprend que la zélée Poste de Douarnenez refuse d’envoyer un courrier à destination des écoles sous prétexte qu’il est écrit uniquement en breton, il est opportun de se questionner sur ce que cache cette obsession de la langue unique chez nos gouvernants et administrateurs.
On sait déjà que la France est le seul pays de l’Union Européenne, avec la Grèce, à ne pas avoir ratifié la Charte des langues minoritaires. La mesure, qui n’a pas posé de problème ailleurs, est en effet chaque fois retoquée par le Conseil Constitutionnel, sous prétexte qu’elle est justement contraire à la Constitution et à sa phrase emblématique : "Le Français est la langue de la République".
Il est amusant ici de voir que les conseillers constitutionnels agissent comme si cette Constitution était d’inspiration divine, et qu’en changer une virgule, surtout quand il s’agit de langue, mettrait l’humanité en péril.
Il faut remarquer également qu’il n’est pas dit dans cette constitution sacrée « Le français est la langue de la France ». Ce qui aurait pu amener à penser que les lieux où l’on parle encore une autre langue ne seraient pas tout à fait français, et ce n’est surtout pas le but recherché. Non, le vocable République est utilisé à dessein, pour habiller de vertu (la République prétendument issue des Lumières) une mesure qui n’en est pas moins liberticide pour les Corses, Bretons, Occitans, Flamands, Basques, Catalans et Alsaciens qui peuplent originellement une grande partie de cet Hexagone. On leur indique en effet que la langue parlée par leurs grands-parents est hors-la-loi, au sens strict puisqu’elle n’a pas le droit, justement, d’être utilisée sur le terrain juridique, et encore moins dans un argumentaire politique. Plus prosaïquement, on leur annonce que ces langues vont bientôt mourir, faute de reconnaissance officielle, mais c’est pour le bien de la République, donc ils ne devraient pas se plaindre.
Le vocable République est utilisé ici et là pour faire penser à tous ces peuples que ce n’est pas par la France qu’ils sont dominés, mais par une forme de contrat social auquel ils sont supposés avoir librement adhéré. Pourtant, aucun vote n’a jamais permis aux citoyens de l’Hexagone de s’exprimer sur le bien fondé de cette République née, rappelons-le, sous la Terreur.
Avec le temps, cette ambiguïté entre le terme de république et celui de nation a fini par être acceptée de Brest à Strasbourg, en passant par Calvi, à coups de désinformation officielle, d’histoire nationale réinventée par l’éducation tout aussi nationale, de monuments aux morts pour la « patrie » largement disséminés, et pour cause, de commémorations tricolores diverses et variées, et de défilés militaires bien sûr inspirés par les Droits de l’Homme.
Et pour que la confusion soit totale entre la France guerrière, celle qui a pris par les armes, en leur temps, la Bretagne, la Corse ou encore l’Alsace, et la République supposée universaliste, il faut que rien ne dépasse, il faut que la langue de cette République soit bien la langue française, qui n’est autre que celle des vainqueurs. Quant à celui qui s’oppose à ce monolinguisme d’État, il devient un mauvais républicain, celui qui n’a rien compris à l’universalisme. Et celui-là encore qui voudrait parler plusieurs langues, devient un zélateur du repli sur soi, un ennemi de la patrie en tous les cas. Après Ubu roi, c’est bien un Ubu républicain qui mène la danse des mots.
Rappelons au passage que ce bel édifice républicain, un et indivisible, ne connaissant qu’une langue, constitue un pays de plus en plus mal classé en termes de liberté de la presse, de lutte contre la corruption, de qualité de son système éducatif. Mais ce sont sûrement de mauvaises langues étrangères qui établissent ces classements.
Au moment de la mort de Michel Rocard, véritable décentralisateur, rappelons qu’il avait convenu en 2004 que la France était une construction militaire, et que pour que naisse la culture française, il avait fallu détruire les cultures bretonne, basque, alsacienne, occitane, catalane, flamande et corse.
Ainsi, si le français est la langue de la république, c’est que cette république, qui allait, il n’y a pas si longtemps, de Dunkerque à Tamanrasset, n’est que le cache sexe d’un empire français en déshérence. Ce que disent les langues minoritaires c’est que, dans l’Hexagone, tout bon républicain est essentiellement un nationaliste français. Qui s’ignore, ou pas.
Caroline Ollivro, présidente de Breizh Europa