Entre deux rendez-vous à Paris (entretien avec Fabienne Sintès sur France info lundi matin et sur le plateau d'Arte à 20heures) Eyyup Doru a fait un saut à Rennes pour répondre à nos questions.
Permettez-moi tout d'abord d'avoir une pensée pour les 128 victimes - et leurs familles - et les blessés, en grand nombre, des jeunes, surtout, venus dans un esprit fraternel demander la paix des armes. Cette lâche agression qui ne diffère guère des agressions que nous subissons dans tout le pays, certaines à la bombe comme à Adana ou à Mersin. C'est la suite des attentats de Diyarbakir et de Suruç.
AM - Vous pointez du doigt le président Erdoğan alors que les autorités turques considèrent le groupe Etat islamique comme le suspect numéro 1.
Tous les observateurs ont noté l'absence de policiers sur les lieux du rassemblement, et ceux qui sont arrivés après l'explosion ont délibérément entravé le travail des secouristes. L'explosion s'est produite en plein c½ur d'Ankara, à un kilomètre du ministère de l'Intérieur, et à trois kilomètre de la présidence de la République, dans un quartier hyper contrôlé, à deux pas des bureaux du MIT (services secrets turcs). Il est techniquement impossible de préparer et exécuter un tel attentat sans une implication directe ou indirecte de l'État même. Et tous les pouvoirs de l'Etat sont dans la main d'Erdoğan. De plus, tous les discours d'Erdoğan en campagne électorale sont des appels à la haine. Peu nous importe de connaître l'identité de celui qui fut le porteur de la bombe. Ce qui est important c'est de démasquer le commanditaire et pour nous, HDP, il ne fait aucun doute.
AM - Qu'attendez-vous des gouvernements étrangers ?
Nous nous étonnons du soutien qu'ils affichent au président Erdoğan, sous prétexte que la Turquie serait un Etat de droit. Nul n'est sans connaître les nombreuses violations des droits de l'homme : une presse bâillonnée, une corruption étouffée, des arrestations quotidiennes, des maires destitués, des magistrats poursuivis. La Turquie peut et doit jouer un rôle important dans la lutte contre Daesh. La Turquie ? Oui mais pas Erdoğan, qui n'est pas fiable. C'est un islamiste corrompu prêt à tout pour conquérir le pouvoir absolu. Nous espérons que cet attentat va enfin ouvrir les yeux des dirigeants européens. Nous souhaitons qu'ils envoient des délégations pour empêcher Erdoğan de truquer les élections prévues pour le 1° novembre prochain.
AM - Cet attentat peut-il remettre en cause la tenue des élections ?
C'est peu probable, bien qu'il renforce le mécontentement, y compris dans son propre camp. Chacun aura pu noter le silence du « sultan » observé depuis quelques jours. Il est à craindre qu'il prépare encore quelques mauvais coups mais sa position s'est fragilisée. Cet attentat, c'est « un coup de trop ».
AM – résolument optimiste malgré tous ces évènements tragiques ?
(sourires tristes) Raisonnablement optimiste. Nous comptons renforcer nos positions. Nous avons par exemple 11 députés à Istanbul et nous espérons gagner 4 ou 5 sièges supplémentaires. Il en est ainsi dans les différentes circonscriptions du Kurdistan nord. Mais partout il nous faudra l'appui de nos amis européens pour empêcher les fraudes. On peut raisonnablement espérer qu'un gouvernement de coalition soit formé après les élections et qu'il règle de façon pacifique et politique la question kurde qui est dans le contexte international actuel incontournable.
André Métayer