Qu’Erdoğan n’ait rien su, tout prévu ou habilement surfé sur le putsch, peu importe au fond ! Vraie ou fausse, cette tentative de coup d'État ressemble à une querelle de famille entre deux frères ennemis, Fethullah (Gülen) et Recep Tayyip (Erdoğan), d'abord complices et adeptes d'une même politique, puis fâchés à mort parce que concurrents dans un même challenge, comme deux crocodiles dans le même marigot : celui de la quête du pouvoir personnel et absolu. Le putsch serait l’œuvre de militaires gülenistes et d'officiers ultranationalistes La puissante armée turque (la deuxième de l’Otan) serait tiraillée par de violents courants souterrains. Les conséquences seront désastreuses pour l'image de la Turquie et son économie mais la grande perdante est déjà la démocratie et ses institutions. Le putsch a échoué et le monde entier s'en est réjoui. Pour autant l'ampleur de la répression déclenchée par Erdoğan a semé l'inquiétude, voire la terreur : le vrai visage du dictateur Erdoğan, celui que l'on décrit dans nos colonnes depuis des années, apparaît inexorablement aux yeux de tous : il met progressivement en place sa politique, celle qu'a stigmatisé en quelques lignes Erol Özkoray, écrivain et éditeur turc, au sortir de son procès à l'issue duquel il fut condamné pour avoir publié son livre « Le Phénomène Gezi » (voir le site)
"Le pays court vers une catastrophe : un totalitarisme théocratique se met en place. Ce sera un régime de type islamo-fasciste. Le but d’Erdoğan, c’est de passer en 2023 - au centenaire de la République - à la Nouvelle Turquie, qui mettra définitivement fin à la République et à la laïcité. Nous sommes en face d’un dictateur qui a pour référence Hitler, qui soutient le sunnisme rétrograde des wahhabites, qui épouse les thèses des Frères musulmans, qui flirte politiquement avec l’État islamique et qui rêve de devenir Calife".
De grandes purges sont commencées frappant des milliers de personnes : l'armée, la justice et la police, l'éducation et les média sont principalement touchés. Faisant fi des recommandations et autres mises en garde de dirigeants de pays européens, le président Erdoğan a fait interpeller et écrouer plusieurs milliers de militaires, de hauts magistrats, mais aussi des enseignants. On parle de 50.000 fonctionnaires révoqués. Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires étrangères de la France, pays ami de la Turquie, qui avait manifesté quelque peu sa réprobation, a été prié de "s'occuper de ses affaires". Enfin, pour montrer qui est le chef, Erdoğan a décrété l'état d'urgence et parle maintenant de rétablir la peine de mort. Il serait temps que le monde s'aperçoive que les purges en Turquie, c'est monnaie courante : après chaque événement, subi ou provoqué, le pouvoir en place déclenche une série d'opérations répressives, la cible principale étant les populations kurdes et leurs représentants démocratiquement élus.
Les Kurdes de Rennes ont fait part de leur inquiétude en manifestant, mercredi soir, pacifiquement dans les rues de la ville. Un sit-in place de l'Hôtel de Ville a été suivi d'une minute de silence à la mémoire des victimes de la répression au Kurdistan de Turquie et de l'attentat de Nice, minute de silence observée également par les Rennais et les touristes présents, nombreux, sur la place, à cette heure :
"Le vrai coup d’État a eu lieu il y a un an, lorsque Tayyip Erdoğan avait intensifié la guerre contre les Kurdes en envoyant son armée dans les villes kurdes. Les villes kurdes ont été brûlées et détruites, l’immunité des députés a été levée, les maires ont été arrêtés et démis de leurs fonctions. Des répressions sans précédent ont été réalisées au Kurdistan. La tentative de putsch du 15 juillet en Turquie a ouvert les voies à la sale guerre et à la politique antidémocratique que mène Erdoğan en Turquie et au Kurdistan. Si les résultats des élections du 7 juin avaient été respectés et si le processus de paix avait continué, cette tentative de putsch n’aurait pas eu lieu. L’impasse de la question kurde et la non démocratisation de la Turquie ont toujours donné lieu à des coups d’État".
Le Conseil Démocratique Kurde en France (CDKF) fait part également de sa préoccupation concernant la sécurité d'Abdullah Öcalan, leader charismatique des Kurdes, détenu depuis 1999 dans l'île prison d'Imrali, dont on est sans nouvelles depuis des mois, et que les putschistes se promettaient d'exécuter. Öcalan est l'homme par lequel passe la négociation de paix dont la reprise est demandée par toutes les forces démocratiques en Turquie et par tous les gouvernements européens, dont celui de la France.
Le HDP (Parti démocratique des Peuples) opposé par principe à toute forme de coup d’État, n'apporte pas pour autant son soutien à Erdoğan dont il dénonce la politique anti démocratique, les couvre-feux arbitraires, les arrestations de masse, les assassinats quotidiens d’hommes, de femmes et d’enfants, le déplacement de plus de 500.000 personnes, et les destructions à grande échelle de sites archéologiques millénaires classés au Patrimoine Mondial par l’Unesco.
"Le régime dirigé actuellement par Erdoğan, tout comme le mouvement Güleniste, qui a orchestré le coup d’État militaire de ce 15 juillet, s’étaient auparavant unis pour organiser des coups d’État civils, en arrêtant plus de 7.000 opposants politiques kurdes, parmi lesquels des députés, des maires, des maires adjoints, des politiciens et autres responsables de notre mouvement politique. Le gouvernement actuel massacre, depuis un an, la population civile kurde".
La Coordination nationale Solidarité Kurdistan (CNSK) dont une délégation s’est rendue à Diyarbakir du 16 au 25 mars 2016, a publié un long rapport illustré de photos, fait d’observations, de témoignages et d’entretiens confirmant en tous points les déclarations du HDP et du CDKF. (voir le site)
André Métayer