Mignoned ker, chères amies, chers amis,
L’année 2018 commence et certains semblent penser, dans le mouvement breton en général, qu’elle pourrait être décisive en bien des points pour l’avenir de notre Bretagne. On cite l’exemple catalan ici, écossais là, on se réjouit bien évidemment de ce qui se passe en Corse. Mais la Bretagne n’est pas une île comme la Corse, ce pays qui a défendu sa singularité et son identité longtemps par la violence, ce qui a compté, et qui a réussi par la suite à unir ses forces autonomistes et indépendantistes derrière des leaders de grande qualité. La Bretagne n’a jamais obtenu non plus ce qu’on a concédé à l’Ecosse ou la Catalogne, ici grâce à la dévolution mise en place par Tony Blair, là depuis le retour à la démocratie en Espagne et la constitution de 1978.
En effet, la Bretagne, même si elle s’est battue ces dernières décennies pour refuser le nucléaire, préserver sa langue, son patrimoine écologique et historique ou encore pour dire non à une écotaxe injuste, n’a jamais fait front, depuis très très longtemps, pour revendiquer une quelconque émancipation. On se souviendra cependant que ses responsables politiques ont parlé d’une seule voix au moment du CELIB, quand il s’agissait de compenser un retard en équipements routiers et autres, ce qui était très important, mais il n’était pas là question d’une quelconque évolution fédéraliste.
D’ailleurs, même si l’idée d’une réappropriation à l’échelle locale d’un certain nombre de prérogatives a progressé ces derniers temps parmi les Bretons, qu’ils soient de souche ou d’adoption, le souhait d’une Bretagne ne serait-ce qu’un peu plus autonome est sans doute partagé par peu de ses habitants.
Il y a à cela plusieurs raisons, mais elles découlent toutes du fait que le rouleau compresseur politico-culturel mis en place par la République il y a un peu plus de deux siècles a parfaitement rempli sa besogne. On ne reviendra pas ici sur tous les aspects de cette débretonnisation, mais il est clair que nous ne sommes pas plus aujourd’hui de 5 à 10% de la population globale de la péninsule à avoir profondément envie d’une autre Bretagne. A avoir résisté à la pensée unique dictée depuis Paris.
Alors, plutôt que d’imaginer que la « fièvre séparatiste », qui fait tant fantasmer les rédactions parisiennes justement, va gagner notre pays d’une manière presque naturelle en provenance d’une Europe en ébullition, il nous faut encore et toujours réfléchir à la manière de faire bouger les choses chez nous, avec nos moyens. Ce qui n’empêchera pas bien sûr certains de ces exemples européens de nous donner du courage, de nous aider à convaincre.
Ainsi, en cette année 2018, comme pendant celles qui suivront, il nous faudra continuer d’avancer pas à pas, en soutenant toutes les initiatives qui donnent voix à l’Histoire de Bretagne, grande oubliée des manuels scolaires officiels, mais aussi en apprenant nous-même mieux cette histoire et en la communiquant autour de nous.
Pour la langue bretonne, il faut également soutenir tous les efforts des filières bilingues ici et là. Ainsi qu’apprendre cette langue pour celles et ceux qui ne la maîtrisent pas encore, et lutter pour qu’elle obtienne un statut officiel, même si la réponse abrupte et saugrenue qui vient d’être faite à la Corse par le pouvoir central sur ce sujet montre que là aussi rien ne sera facile.
Quant aux media et à la main mise de Paris et de ses relais sur les différents canaux de diffusion, il faudra faire preuve de patience et de persévérance. Pour ce qui est des chaînes et stations hertziennes, qui nous abreuvent en provenance de l’Île-de-France la plupart du temps, et qui sont constitutifs de ce rouleau compresseur unificateur et appauvrissant, il faut apprendre à « fermer le poste » de temps à autres. Au niveau des media écrits, deux mensuels culturels et locaux seulement sont proches de nos idées, soutenons-les. Même chose pour les sites internet qui se font l’écho de nos combats. Pour le reste, lisons donc des revues internationales ! Regardons et écoutons des télévisions et radios tout aussi internationales ! En plus du breton, apprenons l’anglais. Et créons à terme nos propres media !
Quant à la classe politique bretonne qui nous gouverne depuis des décennies, elle lutte, à quelques rares exceptions près, contre les intérêts bretons, et ne rêve en réalité que de strapontins à Paris. Et cette caste pseudo-bretonne continue de nous présenter la république française (qui a donné le droit de vote aux femmes si tard, aboli la peine de mort parmi les dernières démocraties également, colonisé de manière si cruelle et stupide, oublié de décoloniser les DOM TOM, tenté de détruire toutes les autres langues de l’Hexagone hors le français) comme « la patrie des droits de l’homme ». De qui se moque-t-on ? En 2019, prochaines échéances électorales, votons pour les listes qui prennent vraiment la Bretagne en compte ou ne votons pas.
Pour ce qui est de la réunification, on s’est là encore moqué de nous. On a bien vu des responsables politiques « nationaux » monter à l’occasion sur des podiums lors de manifestations pour la réunification, mais ça, c’était avant… Maintenant qu’ils sont au pouvoir et influents, et qu’ils peuvent grimper sur des podiums plus prestigieux, plus rien... Circulez paisibles amis bretons, il n’y a plus rien à voir. De fait, la réunification, on nous ne la donnera jamais. Il faudra la faire à notre manière, en passant par la société civile, par les tissus associatifs et entrepreneuriaux. Ce qui n’empêche pas de soutenir la pétition pour un referendum qui a été mise en place au niveau du 44.
On sait tout cela, et on continue de militer, d’apprendre et transmettre, on continue d’essuyer le mépris de cette classe politique en place, et de la classe médiatique souvent. Pourtant, même si le chemin paraît âpre, difficile, fait de traitres pavés, il faut continuer de pousser le rocher, et imaginer Sisyphe heureux. Il faut continuer pour la Bretagne, pour nous, pour nos enfants. Et il y a quelques signes encourageants, ici, chez nous ! Nous les évoquerons sur la feuille de route 2018 que nous allons nous fixer dans les semaines à venir pour Breizh Europa.
Rappelons pour mémoire que le SNP écossais n’était pas à plus de 5% d’intentions de votes au début des années 1990. Il est aujourd’hui à plus de cinquante. Alors oui, même si les régions européennes en lutte pour leur émancipation ne nous viendront pas en aide directement, leur exemple peut nous aider. Mais c’est évidemment sur nous qu’il faut d’abord compter. Nous, militants bretons et amis sincères de la Bretagne, nous et aucune autre promesse.
Bonne année 2018 ! Bloavez mat d’an holl !
Frank Darcel, président de Breizh Europa