La Turquie va élire une assemblée parlementaire de 550 membres le 7 juin prochain, au cours d'un scrutin proportionnel à un tour. Les députés élus le seront pour un mandat de cinq ans. Pour qu'un parti soit représenté au Parlement, il doit présenter un candidat dans au moins la moitié des provinces de la Turquie, il doit par ailleurs obtenir un minimum de 10 % des voix au niveau national.
Ces élections vont être difficiles pour le parti au pouvoir. Un signe qui ne trompe pas : les investisseurs internationaux craignent le retour de l'instabilité politique. La livre turque chute face au dollar depuis décembre dernier. Elle a reculé de 21 % en 5 mois. La croissance, qui avait atteint le taux record de 11% en 2011, n'était plus que de 4,2 % en 2013, 2,9% en 2014, est quasiment nulle au premier trimestre de cette année. L'inflation reste forte (8,2 %, loin de l'objectif des 5 %). Les investissements étrangers, dont le pays reste très dépendant, se tassent sous la double pression de la Banque centrale des Etats Unis et d'un interventionnisme politique turc croissant. Standard & Poor's a abaissé sa note. L'opposition kémaliste est montée au créneau et fait des questions économiques la priorité de son programme de campagne. Mais c'est surtout la question kurde qui risque, in fine, de faire perdre à l'AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir, la majorité absolue des sièges qu'il détient depuis 2002.
Suite aux résultats encourageants de Selahattin Demirtas à l'élection présidentielle de 2014, le HDP, Parti de la Démocratie des Peuples, a décidé de participer aux élections en tant que parti. Le HDP est un parti de gauche rassemblant les forces du mouvement kurde et élargissant sa base électorale aux hommes et aux femmes de Turquie militant pour les droits des autres minorités (Arméniens, Juifs, Roms, Alevis, homosexuels), pour la défense de l'environnement et pour des réformes sociétales en faveur de la démocratie, de la laïcité, de l'égalité homme/femme et des droits pour les travailleurs. Le pari est risqué mais pas déraisonnable. Un score en dessous de 10 % le priverait, certes, d'une représentation nationale et rejetterait le mouvement kurde et la démocratie aux plus mauvais moments de leur histoire, mais un bon score enverrait à la « Grande Assemblée » un groupe parlementaire de 80 députés qui empêcherait sans doute à l'AKP d'obtenir la majorité des 2/3 nécessaire pour modifier la Constitution et peut-être même la majorité simple, l'obligeant à passer des improbables compromis. Cette perspective plonge la campagne électorale dans un climat délétère : depuis le 24 avril, le HDP a été, selon l'AFP, la cible de 73 attaques dont deux attentats à la bombe contre deux de ses permanences, 18 mai, l'une à Adana, l'autre à Mersin. Pour le HDP, coalisé avec toutes les couches sociales, la responsabilité du pouvoir ne fait pas de doute :
"Le but de ces agressions est d'entraver les progrès réalisés par notre parti et notre campagne électorale. Le président Erdoğan en particulier, le premier ministre et les autres membres du gouvernement de l'AKP sont politiquement responsables de ces attaques".
Le HDP invite les observateurs internationaux à venir surveiller étroitement les opérations de votes "afin d'apporter un maximum de transparence lors du déroulement du scrutin et d'obtenir les résultats les plus incontestables possibles".
Les opérations de vote sont déjà commencées depuis le 8 mai pour les électeurs de la diaspora. Elles seront closes le 31 mai. Elles concernent 2,8 millions d'électeurs potentiels - soit plus de 5% d'un total de 53 millions - répartis sur plus de 50 pays dont notamment l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suisse, la Belgique et l'Autriche. Le nombre d'électeurs potentiels en France est de 300 000. Les partis politiques font une campagne active. La clef du succès pour le HDP est peut-être là, lui qui vise un score supérieur à 10% des voix sur le plan national pour être représenté à la Grande Assemblée de Turquie.
Le HDP présente, en 4e position sur la liste régionale d'Erzurum, la candidature de Dilin Bingöl, une jeune avocate de 31 ans, bien connue à Rennes où sa famille, fuyant les persécutions, avait trouvé refuge. Son père Bahattin, militant du HADEP (parti pro-kurde) avait été arrêté et torturé après qu'il fut candidat aux élections municipales de mars 1994. La famille avait donc été exfiltrée d'Erzurum et pris la route de l'exil alors qu'Evin (Dilin) n'était encore qu'une enfant. Après des études à la faculté de droit de l'Université de Rennes 1 et à l'Université de Galatasaray à Istanbul, Evin entend participer au combat pour la reconnaissance des droits du peuple kurde, en digne arrière-petite-fille du Cheikh Saïd qui, en 1925, prit la tête d'une révolte et rallia en l'espace d'un mois, le tiers du Kurdistan de Turquie.
André Métayer
nota : La France, en autorisant l'utilisation de la ligne du chemin de fer, permit aux troupes turques de passer par la Syrie et de prendre à revers les combattants kurdes. Le Cheikh Saïd fut capturé le 15 avril 1925 et pendu, au centre de la ville de Diyarbakir, avec une cinquantaine d'autres leaders de la révolte qui porte son nom.