Le 30 mars dernier se sont déroulées en Turquie les élections municipales, qui ont fait l'objet d'un déploiement de forces militaires bien supérieur à celui observé lors des dernières élections locales précédentes, en 2009.
Ce sont des élections qui concernent l'ensemble des collectivités locales : les mairies des villes métropolitaines, de districts et des communes de plein exercice. Elles concernent aussi les assemblées départementales (équivalentes à nos conseils régionaux). Le système est celui de la proportionnelle à un tour avec un barrage de 10%, en dessous duquel une liste ne peut pas entrer au conseil municipal. Le vote est obligatoire, ce qui relative le succès d'une participation qui frôle les 90%.
C'est écrit dans tous les journaux : l'AKP (« Parti pour la justice et le développement »), parti islamo-conservateur du Premier ministre R.T. Erdogan, a triché. Ce n'est pas nouveau : les partis majoritaires ont toujours usé de tous les moyens pour détourner les règles démocratiques et gagner les élections. Le parti kurde, aujourd'hui le BDP, hier le DTP et tous ceux qui ont été successivement interdits par le pouvoir turc, ont toujours dénoncé ces pratiques scandaleuses et anti démocratiques. Ce qui est nouveau en 2014 c'est la dénonciation de ces man½uvres partout, dans la presse, et par toutes les forces politiques. L'ampleur des tricheries est telle qu'on est en droit de se demander si elle ne remet pas en cause la victoire, pourtant confortable si l'on s'en tient au niveau des chiffres, du parti au pouvoir. La violence du discours de R.T. Erdogan après la proclamation des résultats laisse à penser qu'il n'a pas l'intention de relâcher la pression sur ses adversaires, y compris sur ceux qui sont à l'intérieur de son propre camp. Pour autant, elle trahit la fébrilité d'un homme qui vient d'échapper à une défaite annoncée après les révélations de corruption et de détournement de fonds mettant en cause sa propre famille et quelques-uns de ses ministres, sans compter le scandale des écoutes téléphoniques éclairant les pratiques affairistes du clan Erdogan et ses dérives autoritaires se manifestant par une répression féroce comme celle qui a suivi les manifestation de Gezi. Le nouveau rapport de l'IHD (Association turque des droits de l'homme) note à ce sujet 9 morts (directement dus à la violence de la répression), 9 564 blessés, 6 977 personnes arrêtées dont 187 retenues en garde à vue. Pour autant qu'un décompte ait pu être établi, 3 276 personnes ont été poursuivies en justice dans 78 actes d'accusation.
Un chat est venu au secours du ministre de l'Energie qui a expliqué que les pannes d'électricité, observées dans plusieurs villes du pays, dimanche soir à l'heure du dépouillement des bulletins de vote seraient dues aux facéties d'un matou entré subrepticement dans un transformateur électrique. Le coup de la panne, version AKP ! La pratique courante d'achat des votes n'avait donc pas suffi pour rassurer le Premier Ministre, ni sa décision de bloquer l'accès aux réseaux sociaux Twitter et YouTube à dix millions d'internautes. L'AFP signale que la police turque a dispersé à coups de canons à eau des manifestants dénonçant des fraudes Ankara après que le CHP, principal parti d'opposition, ait déposé une requête devant le Haut Conseil électoral au vu des irrégularités découvertes à Istanbul et à Ankara, et qu'il ait demandé sans l'obtenir, le recompte des voix. Tous les recours demandés par le BDP sont également rejetés, bien que des cas patents de fraude aient été signalés dans plusieurs villes notamment à Bingöl, à Ahlat et Mus où la victoire a échappé au BDP de quelques voix seulement. Par contre les recours de l'AKP sont pris en considération comme à Agri, acquis par le BDP, où les bulletins de vote sont recomptés pour la quatorzième fois ! Des milliers de votes pour BDP ont été trouvés brulés à Ceylanpinar, dans la province d'Urfa (près de la frontière syrienne), provoquant la colère de centaines d'électeurs contre lesquels les forces policières n'ont pas hésité pas à employer la manière forte : grenades lacrymogènes et canons à eau. A Urfa même, la victoire de l'AKP au détriment d'Osman Baydemir est entachée d'irrégularités. L'intimidation a été permanente, avant et pendant les opérations de votes tant l'enjeu était important. La fraude, d'après des estimations incertaines et difficilement contrôlables, serait de l'ordre de 5%, suffisante pour faire basculer le destin d'un homme.
A défaut d'observateurs internationaux du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) de l'OSCE, dont la présence aurait été fort utile sur le terrain, des militants associatifs et politiques sont venus d'Europe pour accompagner les responsables du BDP soucieux de protéger la régularité des procédures de vote. Ils ont été frappés par le déploiement des forces militaires à l'entrée des villages et plus particulièrement à proximité des bureaux de vote, à l'entrée des bureaux et même à l'intérieur des bureaux. Dans ce modeste village de Yapanardi (Myalan en kurde)
dans le secteur de Cernik (circonscription de Diyarbakir), bureau de vote N°1132, regroupant une petite centaine d'électeurs, les responsables du BDP, sous l'½il d'avocats français et allemands qui les accompagnaient, ont dû forcer le barrage pour faire leur travail de délégué du parti.
La délégation des Amitiés kurdes de Bretagne a été quant à elle appelée à pour se rendre dans la région de Sirnak où, repartie en quatre groupes, elle a eu l'opportunité d'élargir son champ. Un groupe qui a accompagné Me Ramazan Demir, avocat BDP, enfant du pays, pour faire la tournée des bureaux de vote du secteur de Guclukuonak, fief contrôlé par l'AKP, a été témoin d'âpres discussions entre représentants des deux partis autour de l'isoloir, le BDPpointant des irrégularités (trois personnes dans l'isoloir pour aider une personne âgée, une famille, dans un autre, pour accompagner une électrice sourde et muette). Un autre groupe revient avec des photos et une vidéo (en camera cachée) en appui de ce qui a pu être constaté sur le terrain.
André Métayer