10 août prochain, les électeurs de Turquie vont élire au suffrage universel le président de la République pour la première fois. Il était jusqu'à présent élu par la Grande Assemblée nationale de Turquie (le Parlement). Le seul vrai opposant au candidat du parti islamo-conservateur AKP, président auto proclamé avant l'heure, sera le candidat présenté par les Kurdes : Selahattin Demirtaş.
Pour tous les observateurs, en effet, le tout puissant Premier ministre Recep Tayyip Erdogan est donné gagnant au premier tour. Il est vrai que tout est fait, semble-t-il, pour favoriser cette prise de pouvoir. On a pu croire un temps que mouvement religieux de Fethullah Gülen, d'abord allié et maintenant ennemi juré du Premier ministre, pousserait la candidature du président actuel, Abdullah Gül, dont le mandat se termine le 28 août, mais ce vétéran de la politique, plusieurs fois ministre, Premier ministre en 2002/2003, élu difficilement président de la République en 2007, a préféré éviter la lutte fratricide entre deux candidats islamistes. Un scénario du type « Poutine - Medvedev » est-il en préparation ? Les paris sont ouverts.
Le plus surprenant est la candidature d'Ekmeleddin Ihsanoglu, Secrétaire général de l'Organisation de la Conférence islamique (OCI), candidature présentée à la fois par deux des trois formations politiques d'opposition - et néanmoins antagonistes - représentées au Parlement : le Parti républicain du peuple (CHP), parti nationaliste, laïque, membre de l'International socialiste et le Parti d'action nationaliste (MHP), parti fasciste d'extrême-droite. Choisir un discret diplomate inconnu, musulman ouvertement pratiquant de surcroît, pour défendre la laïcité contre un tribun prêt à tout paraît être le fruit d'une stratégie subtile ou d'une man½uvre désespérée. Ce candidat d'union de la carpe et du lapin ne fait pas l'unanimité chez certains députés CHP qui refusent de le soutenir, le considérant comme un candidat de droite. Ils pourraient d'ailleurs présenter un autre candidat.
Le Premier ministre candidat, quant à lui, dans une ultime man½uvre pour s'attirer les voix des Kurdes, qui représentent 20 % de la population, a fait déposer la semaine dernière au Parlement un projet de réforme destiné « à mettre fin au terrorisme et renforcer la cohésion sociale ». Le paquet de réformes comprendrait six articles dans divers domaines (politique, législatif, socio-économique, culturel, droits de l'homme et sécurité). Pour ce faire, le gouvernement s'engagerait à organiser une large concertation. Des mesures seraient prises pour favoriser le retour des combattants du PKK à la vie civile et assurerait l'immunité à toutes les personnes (comme les membres du MIT par exemple) ayant participé ou participant aux négociations de paix. Tout ceci est évidemment pris avec une extrême prudence par Kurdes habitués aux coups tordus d'Erdogan.
L'autre geste spectaculaire pour séduire les Kurdes est la libération de Hatip Dicle, une personnalité peu connue en France mais qui est sans doute la personnalité la plus populaire au Kurdistan de Turquie après Abdullah Öcalan. Hatip Dicle est la figure emblématique de la résistance kurde au Kurdistan, comme Leyla Zana, auréolée du prix Sakharov, l'est en Europe. L'un et l'autre, en 1994, alors qu'ils étaient députés du DEP, avaient été privés de leur immunité parlementaire, emprisonnés et détenus jusqu'en 2004. En 2009, Hatip Dicle était à nouveau interpellé et mis en détention. Elu député de Diyarbakir en 2011, son élection avait été invalidée par le Haut Conseil des Elections.
Selahattin Demirtaş, coprésident de la principale force politique kurde de Turquie, le Parti pour la Paix et le Démocratie (BDP) et du Parti de la Démocratie du Peuple (HDP), est le vrai candidat d'opposition. Le HDP a été créé pour prendre peu à peu la suite du BDP avec comme objectif de rapprocher les forces pro-kurdes de celles de la gauche turque, en vue de former, au plan national, une vraie force d'opposition. Déjà tous les députés kurdes ont démissionné du BDP pour former l'ossature d'un groupe parlementaire HDP. C'est donc en droite ligne avec cette politique que cette candidature a été posée : Selahattin Demirtaş sera le candidat des Kurdes à la présidentielle d'août prochain « avec notre peuple et nos principes » mais aussi au-delà : « j'aimerais être perçu comme le candidat de tous les opprimés et de tous ceux qui se sentent laissés-pour-compte en Turquie ».
Selahattin Demirtaş veut être aussi celui qui portera le flambeau de la lutte pour la paix « entre les Turcs et les Kurdes en Turquie ».
André Métayer