Après le front, durant la Guerre 14, Lom ar Geol revient au pays. Lom est une de ces Gueules cassées. Avec son visage perdu, qui est-il vraiment ? Est-il lui encore même ?
Yvon Ollivier (1), dans ce roman bouleversant, prend le prétexte du retour de Lom pour se poser les questions qui lui tiennent tant à coeur sur la déculturation, le rejet de l'autre, les rapports entre le Droit et l'Homme (Lom ? (2)), tout ce que subissent la Bretagne et les Bretons face un état centralisateur, destructeur des différences et du respect de l'altérité.
Ce livre sort juste à la date anniversaire du début de la Première Guerre mondiale. Ce n'est pas un hasard. Cette guerre a été un véritable charnier, et les Bretons ont payé un lourd tribut, eux qui ont été envoyés en première ligne.
Yvon Ollivier jette un regard lucide sur cette guerre. Il ne se limite pas à la classique historiographie, mais avance des causes beaucoup plus profondes.
Le principal responsable de cette guerre ? Le souverainisme Qui est toujours présent. Écoutons l'auteur, qui n'hésite pas à extrapoler à notre période :
« Le souverainisme est une idéologie qui a toujours cours, dans les esprits, dans le Droit. Il part de la logique que la nation serait Absolue, indivisible. Or, il faut désormais viser une souveraineté partagée. Cette souveraineté partagée aurait deux horizons : vers le haut, l'Europe et vers la base, les territoires.
Dans ces territoires, les choses qui nous concernent au premier chef comme notre langue, notre culture et notre mode de développement économique ne devraient dépendre que de nous ».
Une des questions que se pose Yvon Ollivier est le rapport de l'Homme au Droit. « L'Homme doit-il se plier à la Loi, ou la Loi doit-elle s'adapter à l'Homme », s'interroge l'écrivain, et juriste. Cette question aurait pu être posée au bac philo, faute de l'être dans la tête de nos législateurs et décideurs nationaux. En Bretagne, le Droit et sa représentation ne sont pas du tout en phase avec notre pays. Les Bretons sont conscients d'eux-mêmes comme jamais peut-être dans l'histoire, mais le Droit en vigueur leur impose des représentations en lesquelles ils ne se retrouvent pas : une identité française monolithique exclusive d'eux-mêmes et pire encore en Loire-atlantique, avec une identité « ligérienne » afférente à la région des PDL (décidément, je n'arrive toujours pas à écrire son nom, NdlA) en lieu et place de leur identité bretonne.
On veut nous faire croire que Nantes est ligérienne !!! Non, Nantes est maritime !!! Nantes est aussi ligérienne que le Mont-Gerbier-des-Joncs, à 50 km au sud de Saint-Étienne et à 40 km à l'ouest de Valence.
Ligérien ne veut donc rien dire. « Qui est au bord de la Loire ». C'est tout. En revanche, le Val de Loire veut dire quelque chose, avec Orléans, Tours, Angers. C'est d'ailleurs un site classé au patrimoine mondial de l'UNESCO, comme le rappelle ici Bretagne Réunie ( voir notre article ). Ce Val de Loire ne vient pas jusqu'à Nantes. La Loire devient bretonne à Saint-Florent le Vieil (49).
La réunification de la Bretagne donnerait à notre pays une assise au niveau Européen. Pas la Bretagne amputée, dont un des principaux membres fait partie d'une région faite de bric et de broc qui ne veut rien dire. Qu'en est-il de l'Humain dans cette région PdL imposée par le droit et soutenue par l'ensemble de la sphère publique jusqu'aux plus grands media ?
Lom ar Geol pourra-t-il se retrouver ? Son visage perdu est l'image de sa dépersonnalisation, de sa déculturation. Lom est ici l'image de la Bretagne. Il endure le rejet, comme la Bretagne depuis plus d'un siècle, face au rouleau compresseur étatique. Comme la Bretagne il pourrait s'adapter et vivre avec les Autres, si on lui en laissait le loisir, et surtout, si les hommes n'avaient pas autant peur de sa « gueule ».
« Avec des lunettes de vue françaises, la Bretagne n'existe pas pour elle-même. En revanche, vue du reste du monde » (97 % de la planète, par parenthèse), « la Bretagne est une nation comme les autres, les Bretons un peuple comme les autres. Et là, nous tombons sur la question de la domination politique et culturelle. Nous sommes dans une situation d'aliénation !!! Seulement 2 % de nos enfants apprennent le breton à l'école !!! Même pas une heure en breton dans la télé publique » (en Loire-Atlantique, c'est encore zéro).
La Bretagne connaît aujourd'hui un tragique décalage entre ses élites et le peuple. Entre le Droit et l'Homme. Attention, les élites bien pensantes peuvent être partout. « Prenez l'exemple de l'appel des maires des quatre grandes métropoles !!! » ( voir notre article ), « vous verrez qu'il y a une rupture. Pourtant ils sont bretons !!! » s'emporterait presque Yvon Ollivier. Ces maires et ces grands élus sont coupés du peuple. Pourquoi ? Ils représentent le Droit, la sphère publique, peut-être encore une certaine représentation bourgeoise du monde. L'Homme doit-il s'adapter au Droit qui postule son inexistence ?
De retour dans son Porzay, à Dineault, Lom rencontrera le Recteur, récemment muté du Léon. Ici, le Recteur représentera le légitimisme. Son discours ? L'obéissance qui le consume... Avec la perte de son visage, Lom a compris beaucoup de choses. La langue française apparaît dans les campagnes, portée par le légitimisme et le Droit. Avec elle, l'esprit bourgeois et l'individualisme bousculent la vieille société communautaire bretonne. Lom voit sa vieille Bretagne se transformer, mais il est aussi témoin de la naissance du sentiment breton, de ses premiers combats, de sa première prise de conscience face au légitimisme ambiant, porté par quelques-uns. Où trouver son Honneur? Dans l'Obéissance, ou dans la lutte contre la déculturation ?
L'on retrouve ici encore un thème fondamental dans la pensée d'Yvon Ollivier. Assimilation (rendre similaire) et déculturation vont de pair. Les deux impliquent le reniement de l'Autre, de l'altérité, par la culture, par l'uniformisation voulue par l'État jacobin, pour qui la nation française serait une et indivisible, et donc incompatible avec les nations et les identités qui la composent. Celles-ci ne sauraient être reconnues comme peuples ou cultures minoritaires.
Dans son étonnant ouvrage, « La Désunion française, Essai sur l'altérité au sein de la république » édité par L'Harmattan en 2012, il pose les bases théoriques de la sacralisation de l'égalité en France, qui vise à gommer la disparité entre les territoires. « Pour se soustraire au grand délitement, la nation devra puiser dans son essence universelle la force de se dépasser, pour refaire l'unité avec et non plus contre l'autre ».
« Le système français est le système le plus redoutable pour déshumaniser, car il le fait au nom des grandes valeurs. Le droit est son outil. Le Breton a su garder sa dimension humaine. Il sait regarder au-dessus du droit, il sait regarder ailleurs. C'est pour cela qu'il a tenu bon, malgré toutes les difficultés, lorsque tant d'autres peuples sont déjà morts ».
« L'altérité est un long chemin » nous dit l'auteur, « Lom aussi s'était perdu. Avec sa gueule, il n'avait pas eu la force de retrouver les siens et Gwenn, son épouse, la belle paysanne du Porzay qu'il aime d'une manière étrange, absolue. Pourra-t-il se retrouver ? C'est dans la transcendance du visage de son épouse qu'il trouvera le salut. D'ailleurs, Lom, est-ce réellement son nom ? »
Yvon Ollivier est Léonard de naissance, et est aussi un observateur attentif du Porzay. Son roman fourmille de références à la culture et au mode de vie du Léon et de la partie nord-ouest de la Cornouaille, aux liens solides qui unissaient les hommes, basés sur une vision sociale et chrétienne, sur un terreau associatif. L'Homme breton est décidément différent de celui que voudrait fabriquer l'État jacobin. « Il vit encore dans le respect de l'Autre et trouve la force de s'unir toujours lorsqu'il le faut ».
Lourd constat que nous fait Yvon Ollivier. Le décalage, dont on parlait plus tôt, est aujourd'hui dramatique. C'est inquiétant. « Pour la France, il faut envisager l'avenir avec les Hommes, avec la Bretagne. Le système est déjà en perdition. Les extrémismes arrivent quand le terreau est fragile, lorsque plus rien ne nous unit ». On sent Yvon Ollivier souffrir pour sa Bretagne, mais aussi pour la France. Quand il parle de la Bretagne, toujours il parle aussi de la France qui doit se relever. Et son seul chemin, c'est le respect de l'altérité. Il faut retrouver une démocratie sensible, empathique, émancipatrice, et ne pas craindre le peuple.
Hasard du calendrier, ce livre sort au moment précis où se joue le sort de la Bretagne, avec la réforme territoriale voulue par le Gouvernement. Le risque est énorme que la Bretagne disparaisse, cet été si les parlementaires suivaient ceux qui souhaitent sa fusion-disparition dans un grand-ouest. Que se passerait-il alors ? Les élus sont tellement éloignés du peuple…
Les appels à manifester pour samedi prochain 28 juin se multiplient.
Notons ceux de 44=Breizh http://44breizh.com/ ;
de Bretagne Réunie https://www.bretagnereunie.bzh/ ;
et de Kevre Breizh http://www.kevrebreizh.org/ ( voir notre article ) ;
du Collectif Breton pour la Démocratie et les Droits de l'Homme ( voir notre article ), entre autres.
« Une assemblée unique dans une Bretagne à quatre départements ne doit pas être notre cheval de bataille, ni un pis-aller. Non, il faut la Réunification d'abord. Rendez à la Bretagne la Loire-Atlantique (3). Après, il sera trop tard car les départements sont appelés à s'effacer progressivement. On ne pourra plus raccrocher la Loire-Atlantique à cette Assemblée unique ».
En un mot, il ne faut pas lâcher la proie pour l'ombre.« Attention, une Assemblée unique dans une Bretagne à quatre départements ne serait qu'un lot de consolation. Certains préparent les esprits à ce lot consolation. Il faut se mobiliser.
La Réunification, c'est tout de suite !!! Il faut aussi affronter la question politique de notre aliénation.. Comme beaucoup, Jean-Michel Le Boulanger a un discours qui paraît séduisant. Oui, la Bretagne est riche, oui la Bretagne est belle, multiple, diverse, et rayonnante l'été, dit-il ( voir notre article ). Mais il ne pose jamais la question politique des droits culturels bafoués. Du Droit qui nous échappe !!! ».
« Nous sommes peut-être en train d'atteindre le point ultime, en termes d'assimilation donc de disparition. En interdisant toute réunification de notre territoire historique, le pouvoir nous impose le dilemme entre la marginalisation progressive à quatre département – la réserve d'Indiens – ou la disparition de notre vieux pays. La clé de la recomposition de l'ensemble de l'ouest de la France, c'est la Bretagne. Étonnant que le pouvoir ne le voit pas ».
Ou ne veut pas le voir ? ou le craint ? La réunification de la Normandie s'est faite sans soucis. Alors ?
« La Bretagne pour moi ne se réduit pas à la langue ou à son territoire. Ce ne sont que des éléments de son identité. Selon moi, la Bretagne, c'est avant tout un état d'esprit qui nous vient de la Bretagne rurale, communautaire, chrétienne, humaniste. Il nous reste un substrat, notre capacité à nous regrouper, à faire valoir l'intérêt commun avant tout et notre envie de partager. La Bretagne n'a jamais été bourgeoise comme le sont ses métropoles. Le Droit ne définit pas la Bretagne, c'est l'Esprit. Nous avons une capacité à regarder ailleurs. On est partout, on est de l'avant ».
Jolie conclusion que nous livre Yvon Ollivier. On le sent écorché vif. La Bretagne, sa Bretagne, risque de disparaître dans un GOM (Grand Ouest Mou). S'en sera fini alors de l'Homme, place au pouvoir et à son Droit. La fin de l'interview se termine avec ces mots « la Bretagne, c'est la reconnaissance de l'Autre. C'est une erreur de la rejeter. Ce n'est pas l'intérêt de la France ».
A la manifestation de samedi prochain à Nantes, nous verrons Yvon Ollivier. Vous l'aviez compris. Est-ce la manifestation de la dernière chance ? Le calendrier politique le suggère, avec les vacances arrivant, et une démobilisation attendue des Bretons en cette période, alors que le législateur, lui, se réunira à Paris pour voter pour cette carte dessinée sur un coin de bureau de l'Élysée, à Paris, en quelques minutes. « Je ne sais pas ce qui va se passer samedi... ».
Hormis les citations, les lignes de cet article n'engagent que son auteur, et non Yvon Ollivier.
(1) Yvon Ollivier est magistrat. Il est membre de l'Institut culturel breton. Il délivre, à l'Université de Nantes, un enseignement sur la médiation par le droit.
(2) Lom (Lomig) est le diminutif de Gwilhom. http://www.fr.opab-oplb.org/28-prenoms-bretons.htm de l'Office public de la langue bretonne
(3) Voir la très expressive affiche réalisée par Awen studio ( voir notre article ) pour Breizh-Impacte http://breizhimpacte.org/.