Pour célébrer ses 50 années de présence sur la scène politique, l'Union démocratique bretonne organisait une journée d'échanges (forum ou colloque) à Lorient, le 3 mai 2014. Jean-Yves Le Drian, ancien député-maire de Lorient et qui a formé des majorités à la Région Bretagne avec l'UDB, avait fait parvenir une vidéo exprimant son regret de ne pas être présent, étant retenu, en tant que Ministre de la défense, à une cérémonie en l'honneur des Bretons morts pour la France. Beaucoup d'autres invités de poids n'avaient pu se rendre libres, dont Louis Le Pensec, ancien ministre, Pierrick Massiot, président le Région Bretagne, et Jean-Jacques Urvoas, député de Quimper et président de la Commission des lois.
La première séquence donnait à voir les relations avec les partis de la même famille politique, la gauche, et qui veulent lutter pour l'autonomie de leur pays à l'intérieur d'un Etat. L'UDB travaille avec deux organisations supra-nationales, « Régions et Peuples solidaires » (partis de gauche autonomistes et indépendantistes en Europe) et l'« Alliance Libre Européenne » (35 partis et 7 députés européens), la seconde étant plus diversifiée politiquement et plus centrée sur les institutions de l'Union européenne.
Gustave Alirol, président des « Régions et peuples solidaires » et du « Partit Occitan », Vice-président de l'ALE, a été le plus ample dans sa vision, car, voulant montrer que l'Europe dissout lentement le concept d'État-Nation, il avance la notion d'« élargissement interne de l'Europe », citant les volontés d'indépendance qui s'expriment, de plus en plus clairement, en Catalogne et en Écosse.
Günther Dauwen, directeur de l'« Alliance Libre Européenne » (ALE), rappela le souvenir de Morits Coppieters (1920-2005) qui, le premier, à Bastia, vient dire à une assistance corse, en 1980, qu'en tant que député européen, membre du parti flamand, « Volksunie », il était leur député. Une fondation gérant un centre d'études portant son nom est reconnue par l'Union européenne depuis 2009. Roccu Garoby, venu de Corse et président de l'ALE-Jeunes prit aussi la parole et rappela que la liste de l'UDB aux européennes 2014 est soutenue par l'ALE qui soutient plusieurs autres listes.
Une table ronde réunissait Daniel Cueff, vice-président du Conseil régional « Bretagne Écologie », Paul Molac, député de Ploërmel soutenu par l'UDB et vice-président de la Commission des lois, et Patrick Mareschal, Parti socialiste, ancien président du Conseil général de Loire-Atlantique. Ils rendirent hommage à la capacité de l'UDB d'introduire des sujets importants, de les traiter et, souvent, de convaincre, des élus qui étaient réticents, au départ.
L'ensemble des propos montrait le pragmatisme que doit montrer le lobbying pour faire avancer de minuscules progrès dans la défense des intérêts de la Bretagne et de sa culture. Ainsi, tant le Pacte d'avenir que les discussions en cours sur le « big-bang territorial » annoncé, font que, soumis à la pression des administrations centrales, promptes à inonder les élus de SMS de mises en garde péremptoires, il faut souvent préférer se contenter de toute avancée possible à court terme. Chacun des intervenants est persuadé qu'une fenêtre de tir va s'ouvrir et se fermer rapidement, surtout pour ce qui concerne la réunification de la Loire-Atlantique avec la Bretagne, avec une chance qui ne se représenterait pas de sitôt.
Paul Molac a indiqué que la nouvelle loi, qui sera finie d'être élaborée en juillet, a pour nouveautés de donner dans un premier temps un délai très court aux collectivités de même rang de fusionner volontairement, mais, que l'État se gardera toute possibilité de manier le ciseau comme bon lui semblera.
Le livre «Histoire de l'UDB Union démocratique bretonne : 50 années de luttes » (Yoran Embanner), qui, paraissait le jour même, a été présenté par l'un des ses auteurs, Jean-Jacques Monnier (docteur en Histoire et militant historique du parti), les co-auteurs étant Lionel Henry (« Dictionnaire biographique du Mouvement breton ») et Yannick Quénéhervé (auteur d'un livre sur son parcours à l'UDB, « La Bretagne au coeur »).
Les archives du parti n'ayant pas pu être toutes conservées, il a fallu faire appel aux archives privées de nombreuses personnes, membres actuels ou passés. Le projet avait pour but principal d'avoir une vue globale sur une organisation qui a perduré, mais aussi de remettre en cause les clichés qui circulent à son propos. Pour Jean-Jacques Monnier, le travail témoigne des nombreux terrains sur lesquels elle a lutté et donc de « sa capacité à saisir le réel ».
Tudi Kernalegenn venait parler du travail historique, extérieur à l'UDB, qu'il a mené avec Romain Pasquier, dans le cadre de l'Institut d'études politiques de Rennes et qui a abouti à un colloque (avril 2013), dont les actes, complétés et enrichis, ont été publiés par les Presses universitaires de Rennes. Pour la première fois, une organisation autonomiste a été l'objet d'études de niveau universitaire écrites par des chercheurs venus d'horizons et de pays différents. Les deux universitaires rennais ont tenté de répondre à la question : « Pourquoi l'UDB est-elle victime du «paradoxe breton », car, bien qu'elle incarne avec constance les idées politiques et culturelles qui sont dans le débat politique en Bretagne, elle n'obtient pas de grands résultats électoraux? ». Ils en voient six raisons :
1 La doxa de l'État un et indivisible est prégnante chez les Bretons : globalement, pas de vrai conflit identitaire, car beaucoup s'estiment Français et Bretons
2 Le système électoral majoritaire contraint à des alliances
3 Le système médiatique est centralisé
4 Le Mouvement breton est éclaté
5 Le mouvement culturel breton se cantonne dans l'apolitisme
6 Récupération des thèmes de l'UDB par d'autres acteurs politiques.
Tudi Kernalegenn voit, cependant, une évolution favorable aux revendications autonomistes en Europe et, qu'en Bretagne, les « Bonnets rouges » ont vulgarisées, après leur rassemblement du 8 mars 2014 ( voir notre article ), des thématiques qui étaient portées par l'UDB (décider en Bretagne, langue, réunification, lutte contre le dumping social).
Yves Plasseraud, responsable d'une ONG, le « Groupement pour les droits des minorités » (GDM), qui est reliée à « Human Rights Watch », a témoigné du fait que les idées de l'UDB, si « complètes et intelligentes », soient-elles, restent invisibles pour ceux qui vivent dans la sphère du pouvoir parisien. Il a indiqué qu'à certaines périodes, les « bisbilles internes » avaient nui, mais, avec Tudi Kernalegenn, il a pointé aussi le travail de sape continuel des « anti-ethnicistes », dont beaucoup reviennent constamment et intentionnellement sur les collaborations des nationalistes bretons avec les nazis en 39-45.
Une autre question a été posée : pourquoi l'UDB a vu le passage de nombreuses personnes qui ne sont pas restées ou sont allées grossir les ranges d'autres partis : le chiffre de 20 à 30 000 personnes a été cité, à mettre en regard des 800 adhérents annoncés aujourd'hui. Il y a eu peu de réponses à cette question, à part le fait que s'engager dans l'UDB, n'est pas un moyen de faire une carrière politique et que le nombre de réunions peut rebuter certains militants. La question du faible nombre de femmes, qui n'est pas propre à l'UDB, a été posée par la conseillère régionale UDB, Naig Le Gars.
La dernière table ronde était sur le thème de l'histoire du magazine politique mensuel de l'UDB, « Le Peuple breton», qui a été créé par auto-financement, dès le premier mois d'existence du parti (janvier 1964) et qui n'a jamais connu de non-parution (604ème numéro, ce mois-ci). Il a vécu, pendant les années 80, à l'époque où son héroïque rédacteur en chef était Joël Guégan, au bord du gouffre financier et a coûté récemment jusqu'à 40 000 euros aux finances du parti, car il y avait un poste administratif à supporter. La nouvelle organisation, sous l'égide de Gaël Briand, jeune rédacteur en chef, en réduisant la charge salariale doit l'amener à l'équilibre. Le principe d'origine, qui est de ne faire appel qu'à des contributeurs bénévoles, reste en vigueur. Il n'est pas prévu de faire une édition sur Internet, car les bénévoles compétents n'ont pas été encore trouvés.
Ronan Leprohon, fondateur historique et influent de l'UDB , ancien conseiller régional, qui a été le premier rédacteur en chef, a insisté sur le rôle que l'organe du parti, par ses nombreuses études et analyses a joué pour aider à former politiquement les militants. Il a rappelé que les études thématiques publiées dans les premières années étaient signée d'un pseudonyme (Jean Thomas) et s'il s'agissait d'un fonctionnaire préfectoral qui puisait dans la documentation à laquelle il avait accès. Il a souligné que les élus de l'UDB pourraient, plus souvent, suggérer à certains entrepreneurs et organismes de choisir « Le Peuple breton» comme espace de publicité.
En fin de colloque, Christian Guyonvarc'h a fait une déclaration-profession de foi pour la liste «La Bretagne pour une Europe sociale » ( voir notre article ), commencée en breton et poursuivie en français. Il a indiqué que l'objectif était d'obtenir des pouvoirs réglementaires pour la Bretagne et que la proposition de l'Assemblée de Bretagne venue de Jean-Jacques Urvoas était soutenue par l'UDB, que la liste ne concerne pas uniquement les Bretons. Il s'agit de lutter contre les concurrences déloyales, qui sont attisées par les égoïsmes nationaux. Il a réaffirmé que l'UDB, parti de gauche, rassemblait des militants des luttes sociales, qui sont aussi des « écologistes de conviction et de terrain ».
La journée a permis, sous une forme vivante, de montrer que l'UDB avait réussi son insertion dans le pouvoir régional actuel, si limitée que soit l' influence de celui-ci au regard des visions archaïques des ministères parisiens et, que, sous l'empire de la crise de gouvernance de l'État, il s'est ouvert une période d'optimisme sur les possibilités de modifier les mécaniques centralisatrices et uniformisatrices.
Christian Rogel